Nicaragua : vers une condamnation par l’OEA?
La tension monte encore d’un cran au Nicaragua. Le rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme rend le régime responsable de crimes contre l’humanité et va probablement entraîner l’application de la Charte démocratique. Le Secrétaire de la Conférence épiscopale appuie cette demande, tandis que le président Ortega accuse les évêques d’avoir une mentalité « terroriste et criminelle ».
Après la décision du gouvernement nicaraguayen d’expulser le Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIEI) et le Mécanisme spécial de suivi pour le Nicaragua (MESENI) de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), l’Uruguayen Luis Almagro, a annoncé la mise en route du processus d’application de la Charte démocratique, qui ouvrirait la voie à la suspension du Nicaragua de cette organisation. Cette activation fait suite au rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme sur la violence et les graves violations des droits de l’homme dans le pays, qui rend le régime de Daniel Ortega responsable de crimes contre l’humanité et renforce la pression internationale contre la dictature nicaraguayenne.
« Nous nous voyons dans l’obligation de mettre en œuvre l’application de la Charte démocratique interaméricaine pour le Nicaragua. L’absence de démocratie et de droits humains au Nicaragua concerne toute la région, la solution est encore politique et démocratique, et nous comptons sur les moyens interaméricains pour l’aborder, ce qui, pour le meilleur ou pour le pire, inclut le gouvernement nicaraguayen », a annoncé Almagro. La Charte est appliquée en cas de rupture de l’ordre démocratique et peut déboucher sur la suspension d’un État membre. Cela requiert 24 voix sur les 34 États membres. Actuellement, seuls le Venezuela et la Bolivie rejettent cette procédure contre le Nicaragua.
Malheureusement ici nous allons vers … la loi du revolver.
« Il est regrettable, poursuit Almagro, que l’un des principaux révolutionnaires historiques vivants d’Amérique latine, qui jusqu’à il y a un an représentait encore la possibilité d’une gauche révolutionnaire et démocratique sur notre continent, ait choisi la voie de l’autoritarisme, de l’abus des droits de l’homme et des formes répressives du maintien au pouvoir. (…) Assumez vos responsabilités, faites preuve de dignité, vous avez perdu votre crédibilité devant la communauté internationale, ne perdez pas la dignité révolutionnaire que vous avez eue ».
Monseigneur Abelardo Mata, évêque d’Esteli et Secrétaire de la Conférence épiscopale du Nicaragua, insiste sur l’urgence de l’application de la Charte. Selon lui, Ortega a créé toutes les conditions de violence et de répression pour pousser le pays à la guerre civile, dans le but de promouvoir « la haine et la vengeance entre Nicaraguayens ». « Malheureusement ici nous allons vers la loi du plus fort : la loi du revolver, malheureusement c’est ce que j’entrevois à l’horizon, car personne ne va vouloir se laisser tuer si facilement. On dirait qu’il y a une volonté d’aller vers la guerre civile, pour pouvoir justifier leur violence devant la population », déplore-t-il.
Pour Monseigneur Mata et pour l’ensemble de la Conférence épiscopale, le recours à la violence n’est pourtant pas la solution pour résoudre la crise, que seul le retour au dialogue pourrait endiguer. Dans son message d’Avent 2018, la Conférence en appelait à la nécessité du témoignage de prophètes non-armés, qui luttent pacifiquement et encouragent la solidarité entre tous.
Précisément le lendemain de la publication de ce message, le président Ortega accusait les évêques d’avoir une mentalité terroriste : « je sais clairement qui était derrière les blocages, qui encourageait les blocages, autrement dit, encourageait les crimes, alors qu’en principe, en tant que chrétiens, en tant que pasteurs, ils devraient rejeter tout crime. Ils n’ont rien de chrétien et agissent avec une mentalité terroriste, criminelle. Ils se sont joints allègrement au coup d’état terroriste et criminel », affirmait-il le 3 décembre 2018 devant l’Union nationale des étudiants du Nicaragua.
Monseigneur George Pontier, Président de la Conférence des Évêques de France, a écrit un message de soutien au cardinal Leopoldo Brenes, archevêque de Managua et Président de la Conférence épiscopale du Nicaragua.
Annie Josse
Janvier 2019
Pour comprendre la situation actuelle du Nicaragua, on pourra lire le dossier qui lui est consacré dans la Lettre de Justice et Paix n° 242 (janvier 2019).