Venezuela : l’espoir existe !
Georges Engel, prêtre dans la paroisse El Salvador à Caracas, a été 15 ans curé de la paroisse La Asuncion dans le célèbre quartier populaire « 23 de enero ». Il est rentré il y a quelques jours du Venezuela, où il a pu « vivre avec [ses] frères prêtres de Caracas cette immense espérance qui s’est levée sur le pays depuis le 23 janvier dernier », nous dit-il par mail. Nous lui avons demandé de nous expliquer la situation complexe que vit le pays.
Au Venezuela, l’espoir existe mais il faut qu’il se concrétise !!
Un immense espoir a jailli le 23 janvier 2019 lorsque Juan Guaido, Président de l’Assemblée Nationale Législative, est devenu Président de la République Bolivarienne du Venezuela. Il l’est devenu en vertu des articles 233 et 333 de la Constitution qui prévoient que c’est le Président de l’Assemblée Nationale qui assure l’intérim en cas de vacance du pouvoir exécutif.
Le mandat présidentiel de Nicolas Maduro devait prendre fin légalement le 10 janvier dernier, mais celui-ci, après des élections convoquées par une assemblée législative constituante illégitime et fortement contestée pour être entachée d’illégalités et de fraudes, prêta serment devant un Tribunal Suprême lui-même illégitime.
Il faut rappeler qu’il n’existe aujourd’hui au Venezuela qu’une institution légitime qui est l’Assemblée Nationale Législative élue en décembre 2015. Toutes les autres institutions, qu’il s’agisse du Conseil National Électoral, dont les mandats des membres sont échus mais ont été renouvelés par Nicolas Maduro, ou du Tribunal Suprême dont les juges ont été nommés par lui ainsi que la dénommée Assemblée Nationale Constituante, illégitimement élue, sont autant d’institutions au service d’un président qui est devenu dans les faits un véritable dictateur.
La question qui se pose actuellement au Venezuela est donc la suivante : à qui appartient la légitimité d’un Président de la République, entre un leader de l’opposition à la tête d’un Parlement élu légitimement, mais sans pouvoir, et un Président qui dispose du pouvoir, mais dont l’élection est largement contestée par 90 % de la population et la majorité des nations démocratiques, parce que entachée d’illégitimité et de manque de transparence des scrutins ?
Depuis maintenant 16 ans dans ce pays, j’ai vécu au jour le jour son dépérissement progressif jusqu’à la paupérisation extrême qui est la sienne aujourd’hui.
…l’enjeu aujourd’hui est la mise en place d’une démocratie véritable…
J’ai constaté comment peu à peu toutes les institutions mises en place par la Constitution de 1999 sont devenues des moyens pour le pouvoir de s’y maintenir, par le biais de fraudes électorales, dénoncées et avouées par la compagnie Smartmatic, elle-même en charge d’en organiser les scrutins électroniques. Au moyen aussi de pressions inadmissibles sur les juges pour faire condamner les leaders de l’opposition. Pressions avouées par ces mêmes juges qui ont demandé asile aux États Unis.
J’ai constaté aussi les entraves mises à la liberté d’informer au point qu’il n’y a plus aujourd’hui au Venezuela de télévisions ou de journaux à part ceux à la botte du pouvoir. Quant à ceux qui s’expriment encore par internet il est impossible de les capter à l’intérieur du pays. Je pourrais continuer la liste, les limites de cet article m’en empêchent.
L’enjeu qui se joue aujourd’hui au Venezuela est bien celui de la mise en place d’une démocratie véritable dans laquelle les institutions ne seront plus au service d’un pouvoir qui veut s’y maintenir pour réaliser un modèle de société qui a fait faillite dans la majorité des pays qui ont voulu l’instaurer.
L’enjeu est de taille car au Venezuela ce n’est pas une dictature quelconque qu’il s’agit de renverser comme celle de Perez Jimenez par exemple en 1958, c’est une dictature mise en place à l’aide du narco trafic et du terrorisme et qui a des ramifications internationales. Il ne faut pas oublier qu’il y a 22000 Cubains dans ce pays qui ne sont pas tous des médecins, mais des gens qui occupent les plus hautes responsabilités dans l’armée et dans l’administration. Il faudrait parler aussi de tous les membres des FARC, qui sont postés tout au long des 2000 kms de frontières avec la Colombie, ainsi que de tous les membres du Hezbollah à l’est du pays et dans l’ile de Margarita et qui ont bénéficié jusqu’alors de la sympathie du régime.
Cet enjeu est de taille aussi parce que l’armée soutient cette dictature. Nicolas Maduro s’en est assuré l’appui en lui octroyant un régime privilégié. Ce n’est pas sans raison qu’une des tâches prioritaires que s’est données Juan Guaido est justement de convaincre ses membres de se rallier à lui en mettant en avant la loi d’amnistie qui vient d’être votée.
Dans l’avion qui le ramenait vers Rome le 29 janvier après les JMJ, le pape François a mis en avant le dialogue nécessaire entre l’opposition et l’officialisme et s’est dit préoccupé par le risque que le sang coule au Venezuela. Au moment où il prononçait ces paroles il y avait déjà une cinquantaine de morts depuis le 21 janvier 2019 et près de 1000 prisonniers, dont des jeunes mineurs, dans les geôles du Venezuela. Ces bonnes intentions sont certainement louables mais ne tiennent pas suffisamment compte des échecs des tentatives de négociations antérieures qui n’ont eu comme impact que de donner un peu plus de temps à ce régime communiste. Beaucoup pensent ici que ce n’est pas par le dialogue que les choses changeront au Venezuela et qu’on n’a jamais vu un bourreau dialoguer avec ses victimes ! Ce n’est pas non plus par une intervention militaire comme option mise sur la table par le Président Donald Trump ! C’est bien au contraire par la position ferme de ce jeune président légitimement mis en place par une opposition qui a réussi à surmonter ses divisions. Cette position se résume en trois points. Disparition de ce régime d’oppression – mise en place d’un régime de transition – élections démocratiques dans les plus brefs délais. Comme l’a affirmé le 5 février le cardinal Urosa, archevêque émérite de Caracas : « pour éviter que le sang coule il faut que Nicolas Maduro s’en aille ». Cette position est celle de la conférence épiscopale du Venezuela. Même si elle n’est pas toute ajustée sur celle du pape, elle est dans la droite ligne de ce qu’il veut profondément, à savoir la juste autonomie des conférences épiscopales de chaque pays.
Georges Engel
6 février 2019
Sur le sujet, on pourra également lire : Les évêques du Venezuela : porter à Rome la voix des plus pauvres et Venezuela : ils ne nous feront pas taire !