Échos brésiliens du Synode sur l’Amazonie
Le 21 mai 2019, la CEF se mettait à l’heure de l’Amazonie, en recevant Dom Roque Paloschi, archevêque de Porto Velho (Rondônia – Amazonie brésilienne) et président du CIMI, et Sœur Maria Irene Lopes, directrice exécutive du réseau ecclésial pour l’Amazonie de la CNBB et responsable de la conférence latino-américaine des religieux (CLAR). Tous deux membres du Conseil pré-synodal de l’Assemblée spéciale du synode des évêques pour la région pan-amazonienne, ils ont fait une halte en France au retour de la deuxième rencontre de ce Conseil. Nous les avons interviewés.
Q : La semaine dernière, vous étiez à Rome pour la préparation du synode sur l’Amazonie. Nous savons que l’Intrumentum laboris a été adopté. Que pouvez-vous nous dire de cette rencontre ?
La rencontre qui a eu lieu les 14 et 15 mai, à Rome, avait pour but d’approuver l’Instrumentum laboris relatif au synode sur l’Amazonie.
Ce que nous pouvons dire, c’est que le processus d’écoute a été extrêmement riche du fait du grand nombre de personnes ayant participé : des personnes en lien avec les communautés, mais aussi différents visage de l’Amazonie au travers de groupes de parole, d’assemblées territoriales et évidemment de réunions paroissiales, de communautés diocésaines qui ont aider à ouvrir le cœur et les chemins de la thématique du synode.
Le document traduit la richesse de ce processus d’écoute très bien organisé. Le défi posé à l’Église est immense : comment accueillir l’appel des peuples amazoniens, des quilombolas[1], des communautés périphériques, des peuples indigènes… ?
Le Synode va devoir faire face à deux questions :
– celle de la diversité. L’Amazonie est multiple, multiethnique, multiculturelle, « multi tout ». Il existe plus de 300 peuples indigènes sans compter la centaine d’ethnies avec lesquelles il n’existe aucun contact et qui préfèrent vivre isolées.
– celle des distances dont l’une des conséquences est que la majorité des communautés indigènes ne bénéficient pas d’une célébration eucharistique hebdomadaire. Il y a des communautés où le prêtre passe une fois par an. Quand il peut passer deux fois, c’est la fête !
Il y a aussi le défi de l’écologie intégrale : comment vivre une écologie intégrale dans une Amazonie de plus en plus agressée, détruite par l’orpaillage, la recherche de pétrole, les monocultures qui détruisent les sols et l’espérance des peuples indigènes.
Nous faisons confiance à l’Esprit de Dieu, à l’Esprit Saint pour qu’il nous mène sur des chemins d’espoir et de paix.
Q: Où en est la préparation du Synode ? Comment celui-ci est-il préparé dans votre diocèse ? Comment les communautés religieuses s’impliquent-elles dans la préparation du Synode ?
Le synode a été préparé tout au long de ce premier semestre 2019 à travers les diverses activités diocésaines : lors des fêtes en l’honneur de notre sainte Patronne, des rencontres de réflexion… Dans mon diocèse, il en existe plus de quatre mille. À chacune de nos rencontres, la thématique du synode est au moins abordée. De nombreux séminaires, rencontres ont été tenus pour que tous puissent se préparer à travers une connaissance de plus en plus approfondie de la réalité. En écoutant les cris des populations amazoniennes mais aussi en priant pour que le synode soit conduit par l’Esprit Saint, pour que nous puissions être en accord avec les chemins que Dieu nous demande aujourd’hui de prendre pour vivre la mission dans cette grande région porteuse d’une immense beauté mais aussi marquée par la douleur et la souffrance. Nous louons Dieu pour l’implication de chrétiens, de catholiques mais également de personnes de bonne volonté qui ont le désir d’accompagner, de parler des thématiques qui sont au cœur du synode : de nouveaux chemins pour l’Église amazonienne, pour une écologie intégrale, pour protéger la création.
Q : Quel serait pour vous le « visage amazonien de l’Église » dont a parlé le Pape François ?
Le visage amazonien de l’Église est un visage pluriel. Pluriel de par le nombre de peuples indigènes qui, je vous le rappelle, sont plus de 300. Pluriel car l’Amazonie est marquée par la présence de nombreuses communautés quilombolas créées par des esclaves africains réfugiés dans la forêt pour fuir l’esclavage. Pluriel car l’Amazonie accueille aussi des populations vivant le long des fleuves qui lors de l’époque du caoutchouc se sont mélangées avec les populations venues exploiter les richesses de l’Amazonie donnant naissance à ce que nous appelons les « caboclos », qui n’est pas un terme péjoratif. Le visage amazonien est aussi celui d’une région qui s’est urbanisée très rapidement avec de nombreuses périphéries et surtout beaucoup de pauvreté.
Le visage dont parle le Pape est aussi celui d’une richesse ; nous ne pouvons désavouer les savoirs ancestraux des peuples indigènes, des peuples quilombolas ou des femmes et des hommes de la forêt. L’Église ne peut ignorer ces savoirs ancestraux, les traditions de ces peuples.
Ce visage n’est donc pas un visage avec une seule physionomie mais des visages qui font la richesse de l’Église amazonienne. Comment cette réalité va-t-elle être accueillie par le synode ? L’Esprit Saint doit agir, nous devons écouter et entendre l’appel de Dieu.
Le visage amazonien révèle un Dieu miséricordieux, un Dieu compatissant, un Dieu patient, un Dieu qui souhaite que nous ayons tous une vie épanouissante.
Q : En 1972, la conférence épiscopale brésilienne décide de créer le Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI). Quel est le rôle de ce conseil ?
Le Conseil indigéniste missionnaire (CIMI) fut créé après la réunion de l’épiscopat brésilien amazonien, à Santarem, en 1972.
Le CIMI doit avoir une présence de sœur, de frère face aux diverses réalités des peuples indigènes amazoniens. Il a le devoir d’aider à construire le Royaume de Dieu, en reconnaissant la présence des semences du verbe présentes dans chaque groupe ethnique. Il doit les aider à devenir les sujets de leur propre histoire. Le CIMI n’a pas un rôle de tuteur, il est là pour aider les communautés à cheminer en construisant leur destin, leur futur. Le CIMI œuvre inlassablement pour la préservation des langues, des cultures, des traditions, des coutumes pour que les communautés n’aient pas honte de leur mode de vie, pour leur faire prendre conscience que leurs modes de vie nous aident aussi à faire face à une société consumériste, une société du jetable, une société d’exclusion.
La mission du CIMI est d’être présent, je répète d’agir en sœur, en frère dans la quête de dignité et des droits de ces premiers habitant de l’Amazonie. Le rôle du CIMI est de les aider à montrer à l’Église et à toute la société brésilienne la valeur de leurs traditions, de leurs coutumes et, à nous, de nous permettre d’apprendre non à travers des paroles mais à travers leur témoignage de vie. Le rôle du CIMI n’est pas d’ostraciser leurs cultures mais, au contraire, de reconnaitre les semences du verbe qui sont présentes dans chaque communauté indigène, dans chaque groupe ethnique. Bien sûr, les échanges se font dans les deux sens. La rencontre avec la société actuelle entraine des changements positifs mais aussi négatifs et déplorables quand la culture, les traditions, les coutumes des peuples originaires de cette terre ne sont pas valorisées. Le CIMI a aussi un rôle de sensibilisation tant au sein de l’Église, que des peuples indigènes devant les autorités locales, étatiques, fédérales et face au pouvoir législatif, exécutif ou judicaire. Le CIMI aide également les peuples indigènes à être visibles sur la scène internationale, dans l’enceinte de l’ONU, du Parlement européen ou de la Commission interaméricaine des droits de l’homme par exemple.
Le CIMI les aide à ne pas perdre leurs racines, à accueillir l’Évangile de Jésus Christ incarné par les missionnaires et à vivre le message central de l’Évangile : le verbe s’est fait chair. Etre présents et apprendre à trouver les chemins du Royaume.
Q : Quel a été l’impact de l’élection de Jair Bolsonaro sur les communautés indigènes ?
Depuis la campagne électorale de 2018, c’est une tragédie car un discours de haine, de rancœur, de préjugés, se diffuse dans tout le pays. Une des conséquences est l’incitation à l’occupation, à l’invasion des terres indigènes même de celles qui ont cadastrées. Le nombre de terres indigènes envahies depuis l’élection de Jair Bolsonaro est supérieur à 16. C’est une des conséquences.
La seconde est que, dès le premier jour, à peine une heure après sa prise de pouvoir, il a signé la mesure provisoire n° 870-2019, retirant la tutelle du ministère de la justice sur la FUNAI, Fondation nationale de l’Indien, qui suit tout ce qui touche aux peuples indigènes et organise donc les groupes d’étude et de travail pour la reconnaissance et l’homologation des terres indigènes.
Jair Bolsonara a déclaré à plusieurs reprises lors de sa campagne électorale que plus un seul centimètre de terre indigène ne serait délimité, ce qui est contraire à la constitution brésilienne de 1988 qui stipule et garantit, en particulier dans les articles 2-3-1 et 2-3-2, les droits des communautés indigènes. Les normes transitoires garantissaient que, dans les 5 ans, les terres indigènes auraient toutes été délimitées, homologuées et légalisées. En retirant au ministère de la Justice la tutelle de la FUNAI, il l’a divisée et l’a placée sous celle des ministères des Droits humains et de l’Agriculture, mettant ainsi aux mains des groupes les plus anti-indigénistes du Brésil, les ruralistes, la compétence de la délimitation des terres indigènes. Les peuples indigènes disent que cela fait 519 ans qu’ils résistent, ce n’est pas un président qui va les priver de leurs droits.
Le campement « Terre libre » qui a eu lieu juste après Pâques, à Brasilia, malgré les menaces, les informations mensongères et même les tentatives de démobilisation du mouvement, a prouvé que les peuples indigènes ne plaisantent pas. Ils ne demandent rien d’autre que le respect de leurs droits constitutionnels.
L’élection de l’actuel président a été dramatique pour les rêves et les espérances des peuples indigènes mais ils ont démontré leur résistance en luttant non par la force mais avec persévérance et de façon non-violente face au pouvoir qu’il soit législatif, exécutif ou judiciaire.
Le CIMI est convaincu que petit à petit les droits des peuples indigènes vont être rétablis malgré cette vague d’invasions, d’agressions et de campagnes de dénigrement contre les premiers habitants de cette terre.
Annie Josse et Maria Mesquita Castro
SNMUE
Sur ce sujet, on lira aussi : - Instrumentum Laboris du synode sur l’Amazonie - Amazonie : Nouveaux chemins pour l’Église et pour une Écologie intégrale - Les interventions concernant le synode lors de la journée Amérique latine à la CEF
[1] Descendants d’esclaves en fuite.