Instrumentum Laboris du synode sur l’Amazonie
Présentation du Document de travail du synode sur l’Amazonie
La région Panamazone, laboratoire pour la société et pour l’Église
En octobre prochain aura lieu à Rome le synode des Évêques sur l’Amazonie. Celui-ci est donc dans sa dernière phase de préparation et la version française officielle du Document de travail (originellement écrit en espagnol) pour ce synode publié mi-juin a été récemment diffusée[1]. Si cette assemblée spéciale pour la Panamazonie implique spécifiquement les diocèses des 9 pays qui recouvrent cette immense région clé pour l’avenir de la planète, elle nous concerne tous. Car les sujets abordés – l’inculturation, l’écologie intégrale, les migrations, l’évangélisation urbaine, les nouveaux ministères… – touchent aussi des questions à dimension universelle. Le choix de convoquer un Synode pour l’Amazonie [2] reflète bien l’attention portée par le Pape François aux périphéries géographiques et existentielles ainsi qu’au défi majeur de l’écologie intégrale. Cette région est en effet une source importante d’oxygène pour toute la terre car elle concentre plus d’un tiers des ressources forestières primaires du monde. C’est en effet une des plus importantes réserves de biodiversité de la planète et elle contient 20% des eaux douces non congelées. Or ce territoire et ses populations diverses sont aujourd’hui particulièrement menacés par des dangers de tous ordres. C’est pourquoi l’Église par ce synode veut se mettre à l’écoute de ces populations avec le désir qu’elles soient davantage sujets et protagonistes en s’engageant davantage à leurs côtés de manière prophétique.
Quand il a annoncé la convocation de ce synode régional le 15 octobre 2017, le Pape François a ainsi indiqué comme objectif principal : « trouver de nouvelles voies pour l’évangélisation de cette portion du Peuple de Dieu, en particulier les indigènes, souvent oubliés et privés de la perspective d’un avenir serein, notamment à cause de la crise touchant la forêt amazonienne, poumon d’une importance capitale pour notre planète ». La démarche préparatoire de consultation en vue de recueillir les réponses et éléments synthétisés dans cet instrument de travail a comporté de très nombreuses rencontres pré-synodales pour écouter les populations amazoniennes. Ce Document très riche et intéressant est donc le fruit d’une large enquête dans les communautés amazoniennes. Il donne à entendre la clameur de ces peuples et la clameur d’une terre de plus en plus menacée. Il rend aussi compte des questions, chantiers et suggestions proposées pour que L’Église en ces lieux prenne davantage un visage amazonien et prophétique afin de relever les principaux défis sociaux et écologiques de ce territoire.
Comme l’indique le paragraphe 4 «L’Instrumentum Laboris comporte trois parties : la première, regarder-écouter, s’intitule La voix de l’Amazonie et elle a pour finalité de présenter la réalité du territoire et de ses populations. Dans la deuxième partie, Écologie intégrale : la clameur de la terre et des pauvres, est abordée la problématique écologique et pastorale et, dans la troisième partie, Église prophétique en Amazonie : défis et espérances, les questions ecclésiologiques et pastorales. ». Ainsi « le document se structure sur la base des trois conversions auxquelles nous invite le Pape François : la conversion pastorale, à laquelle il nous appelle dans son Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium (regarder-écouter) ; la conversion écologique décrite par l’Encyclique Laudato si’, qui donne le cap (juger-agir) ; et la conversion à la synodalité ecclésiale grâce à la Constitution Apostolique Episcopalis Communio, qui structure cette « marche ensemble » (juger-agir). Tout cela en un processus dynamique d’écoute et de discernement des nouveaux chemins par lesquels l’Église en Amazonie annoncera l’Évangile de Jésus-Christ dans les prochaines années. » (IL[3] §5)
Partie I de l’Instrumentum Laboris
Une lecture pas à pas de ce texte nous met donc à l’écoute des terres amazoniennes, dont les populations, riches d’une sagesse ancestrale et d’une vision cosmique de l’existence et où tout est en interrelation (hommes, nature, Dieu), ont beaucoup à nous enseigner. Cette première partie essaie de lire les signes des temps en posant sur la réalité amazonienne (territoire et peuple où Dieu travaille) un regard de foi. Elle met en lumière les « semences du Verbe » qui traversent ces cultures mais aussi les multiples menaces et drames qui mettent en danger cette région : conséquences des abus engendrés par la colonisation, destruction et exploitation de l’environnement, violation systématique des droits humains, crimes et assassinats des dirigeants et défenseurs du territoire, trafic de drogue, exploitations illégales et prédatrices, problèmes sociaux multiples… On comprend alors pourquoi l’Église pousse un cri d’alarme car « le changement climatique et l’augmentation des interventions humaines (déforestation, incendies et changement d’utilisation du sol) sont en train de conduire l’Amazonie vers un point de non-retour, compte-tenu des taux élevés de déforestation, des déplacements forcés de population, ainsi que la pollution, qui mettent en danger son écosystème et qui exercent une pression sur les cultures locales. (IL§16) ». L’Église se sent donc appelée à prendre le visage du « Samaritain » pour défendre la vie de ces populations et combattre l’exploitation de ce territoire de plus en plus blessé, et ce par une démarche d’écologie intégrale. Car en Amazonie territoire et peuples sont profondément liés (la nature fait un tout avec l’homme)[4]. C’est pourquoi la conception de la vie chez ces populations structurée autour de la recherche du « bien vivre »[5] rejoint l’approche de l’écologie intégrale. « Sur le territoire amazonien, aucune partie ne peut subsister par elle-même et en étant seulement reliée à l’extérieur, mais les dimensions qui existent sont en relation constitutive les unes avec les autres, en formant un ensemble vital. C’est pourquoi le territoire amazonien offre un enseignement vital pour comprendre dans une perspective intégrale nos relations avec les autres, avec la nature et avec Dieu, comme l’affirme le Pape François (cf. LS 66). (IL§21) » Pour affronter tous ces défis graves et urgents en ce temps de « kairos » qu’est ce processus synodal, l’IL insiste sur la nécessité du dialogue, d’autant que l’Amazonie est un monde pluriethnique, pluriculturel et plurireligieux. A la suite de Jésus, homme de rencontre et de dialogue, « Le dialogue est la méthode qu’il faut toujours appliquer pour parvenir à une vie bonne pour tous. Les grandes questions de l’humanité qui surgissent en Amazonie ne trouveront pas de solutions par la violence ou la contrainte, mais à travers le dialogue et la communication. » (IL§37). Il s’agit donc pour l’Église d’entreprendre un processus de conversion pastorale pour devenir davantage une Église prophétique en Amazonie, c’est-à-dire « une Église qui dialogue, qui sait rechercher des accords et qui, à partir de l’option pour les pauvres et de leur témoignage de vie, cherche des propositions concrètes en faveur d’une écologie intégrale : une Église capable de discernement et d’audace face aux exactions contre les populations et face à la destruction de leurs territoires, une Église qui réponde sans tarder à la clameur de la terre et à la clameur des pauvres. »
Partie II de l’Instrumentum Laboris
La deuxième étape de l’Instrumentum Laboris, poursuivant un processus de discernement qui conduit à regarder ce qui fait obstacle à la vie conduit donc à reconnaître les graves problèmes de ce territoire. Il s’agit de prendre la mesure de l’urgence d’une conversion écologique intégrale (cf ch. IX) qui implique de « désapprendre, d’apprendre et de réapprendre (§102) » afin de restaurer des relations ajustées de respect et réciprocité entre l’homme et la nature[6], entre les êtres humains, entre l’homme et Dieu. L’approche proposée vise donc à mettre en œuvre Laudato Si qui base la notion d’écologie intégrale sur « la reconnaissance de la dimension relationnelle comme catégorie humaine fondamentale. Cela signifie que nous nous développons comme êtres humains en fonction de nos relations avec nous-mêmes, avec les autres, avec la société en général, avec la nature/environnement, et avec Dieu. Cette approche relationnelle intégrale – « tout est en tout/tout est lié » – a été systématiquement soulignée durant les consultations des communautés amazoniennes. (IL§47)». Cette partie entre donc dans le détail de situations amazoniennes très concrètes pour proposer des suggestions pratiques qui seront discutées au synode. Est surtout mis en avant l’engagement nécessaire de l’Église pour la sauvegarde de la Maison commune, partie intégrante de sa mission. Celui-ci doit peut s’appuyer sur les communautés amazoniennes elles-mêmes parce qu’elles partagent fondamentalement les perspectives de l’écologie intégrale. Se jouent aussi en Amazonie des phénomènes plus globaux tels que les migrations[7] abordées au chapitre III, l’urbanisation (ch. IV), la transformation de la famille (ch. V), la corruption (ch.VI), la santé (ch. VI), l’éducation (ch. VII). Les analyses et suggestions proposées pourront ainsi venir éclairer et faire écho à ce qui se passe dans d’autres régions du monde.
Partie III de l’Instrumentum Laboris
La troisième partie intitulée « Église prophétique en Amazonie : défis et espérance » aborde les questions pastorales et ecclésiologiques dans une perspective clairement posée, celle de l’inculturation et de l’interculturalité. En soulignant que « l’Évangélisation est un banc d’essai pour l’Église et pour la société » (IL§106), ce synode se situe finalement tout à fait dans la même ligne que le précédent sur « les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ». En effet, on retrouve ici la question clé de l’évangélisation dans les cultures. De même que le synode d’octobre 2018 avait cherché à mettre en lumière ce qui permet une évangélisation inculturée dans le monde des jeunes – ce qui demande d’apprendre leurs codes et langages et de prendre en compte les mutations anthropologiques, sociales et culturelles qui les affectent – de même la mission de l’Église en Amazonie requiert une démarche d’inculturation créative, courageuse et audacieuse afin de faire advenir « une Église au visage amazonien et missionnaire » (ch. I). Aussi les défis propres aux réalités et populations amazoniennes touchent-ils en fait des chantiers importants de l’Église universelle. Car il s’agit ni plus ni moins d’aider l’Église d’Amazonie à sortir d’une « tradition faite de colonialisme mono-culturel, de cléricalisme et de domination » pour « discerner et assumer sans crainte les diverses expressions culturelles des peuples » (IL§110). Un des enjeux majeurs de ce synode centré sur une région particulière est en fait l’enjeu beaucoup plus global de l’inculturation et de la décentralisation de l’Église, chantier central du pontificat de François. L’Église, appelée à devenir Église en sortie, tournée vers les périphéries, doit prendre le visage d’une communion polyédrique riche en expressions diverses. Les pistes dessinées ici sont celles de L’Église synodale : une Église de l’écoute, une Église en dialogue, une Église missionnaire, une Église accueillante, une Église participative, une Église créative, une Église harmonieuse, une Église inculturée (notamment en proposant une plus grande inculturation de la liturgie chez les peuples autochtones), une Église engagée auprès des plus pauvres qui lutte contre les injustices. Au centre de cette partie se trouve le chapitre IV concernant « l’organisation des communautés » sur lesquels les médias se sont largement focalisés. Car est évoquée dans la liste des suggestions proposées la possibilité de « procéder à l’ordination sacerdotale de personnes ainées, préférablement autochtones, respectées et acceptées par leur communauté, même si elles ont une famille constituée et stable, dans le but de garantir la possibilité d’offrir les Sacrements qui accompagnent et soutiennent la vie chrétienne. » (IL§129.a). Et un peu plus loin, l’invitation à « Identifier le type de ministère officiel qui peut être conféré à aux femmes, en tenant compte du rôle central qu’elles jouent aujourd’hui dans l’Église amazonienne. » (IL§129.b), ce qui pourrait continuer à ouvrir le débat sur le diaconat féminin. Cette partie sur les nouveaux ministères insiste aussi plus généralement sur le rôle des laïcs (leur formation, participation et coresponsabilité), le rôle des femmes (avec la demande que les femmes soient écoutées, consultées et participent aux prises de décisions), le rôle de la vie consacrée[8] (en proposant de promouvoir une vie consacrée alternative et prophétique, inter-congrégationnelle, interinstitutionnelle) et le rôle des jeunes (avec qui il est urgent de dialoguer) (§129.e). S’ensuit un chapitre très intéressant sur l’évangélisation dans les villes (ch. V) qui invite à repenser les structures ecclésiales et à travailler davantage en synergie pastorale. Sont ensuite abordés le dialogue œcuménique et interreligieux (ch. VI), fondamental dans cette région qui voit la montée en puissance des églises évangéliques, puis la mission des moyens de communication (ch. VII) parce qu’ils sont aussi des éléments clés de l’évangélisation et de la sensibilisation à la conversion écologique. Cette partie se conclue par un dernier chapitre (VIII) sur le rôle prophétique de l’Église et la promotion humaine intégrale qui rappelle que l’engagement pour les plus pauvres[9] et pour le respect des droits des peuples autochtones font partie intégrante de l’évangélisation.
Ce synode sur l’Amazonie, s’il met le focus sur une région spécifique, stratégique pour l’avenir de la planète, nous concerne donc tous car il touche in fine à des enjeux globaux et vitaux pour la sauvegarde de notre Maison commune. Il concentre aussi des questions clés et des chantiers majeurs pour l’Église dans le monde d’aujourd’hui mondialisé et fragmenté en tension entre des forces de vie et des forces de mort. Nous sommes donc invités à prier spécialement pour ce synode, à approfondir et relayer ses réflexions et travaux, et nous mobiliser largement pour suivre et accompagner ce synode.
Sr Nathalie Becquart,
Xavière
Consultrice pour le Secrétariat général du Synode des Évêques.
Sur le sujet, on lira : - Amazonie : Nouveaux chemins pour l’Église et pour une Écologie intégrale - Les interventions concernant le synode lors de la journée Amérique latine à la CEF - Échos brésiliens du Synode sur l’Amazonie
[1] On peut retrouver tous les documents et informations sur le site officiel du Vatican dédié à ce synode sur l’Amazonie [2] Région qui comprend une partie du Brésil, ainsi que la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, le Venezuela, le Suriname, la Guyane et la Guyane française pour une superficie de 7,8 millions de kilomètres carrés où habitent 34 millions d’habitants, dont plus de trois millions sont des indigènes appartenant à plus de 390 groupes ethniques. [3] IL abréviation pour Instrumentum Laboris dans la suite de l’article [4] « la défense de la vie implique la défense du territoire, de ses ressources ou des biens naturels, mais aussi de la vie et de la culture des peuples, qui passe par le renforcement de leur organisation, la pleine exigibilité de leurs droits et la possibilité d’être écoutés. » [5] Voir IL§12 « La recherche de la vie en abondance chez les peuples autochtones amazoniens se concrétise dans ce qu’ils appellent le “ bien vivre ”.[4] Il s’agit de vivre en « harmonie avec soi-même, avec la nature, avec les êtres humains et avec l’être suprême, car il existe une interrelation entre tous les éléments du cosmos, où personne n’exclut personne et dans lequel il est possible de forger entre tous un projet de vie en plénitude ». » [6] « Un aspect fondamental de la racine du péché humain est de se détacher soi-même de la nature et de ne pas reconnaître qu’elle fait partie de soi et de l’exploiter sans limites, en rompant ainsi l’alliance originelle de l’être humain avec la création et avec Dieu (Gn 3, 5). (IL§99) ». [7] « L’Amazonie figure parmi les régions à plus grande mobilité interne et internationale d’Amérique latine. Les causes en sont sociopolitiques, climatiques, ethniques (persécution) et économiques » (IL§64) [8] « -Les peuples latino-américains et caribéens attendent beaucoup de la vie consacrée [… qui montre] le visage maternel de l’Église. Leur désir ardent d’écouter, d’accueillir et de servir, leur témoignage des valeurs alternatives du Royaume, montrent qu’une nouvelle société latino-américaine et caribéenne, fondée sur le Christ, est possible » (DAp. 224). Il est donc proposé de promouvoir une vie consacrée alternative et prophétique, inter-congrégationnelle, inter-institutionnelle, avec une disponibilité pour aller là où personne ne veut être et avec ceux avec qui personne ne veut être. -Soutenir l’insertion et l’itinérance des personnes consacrées, hommes et femmes, pour être avec les plus pauvres et les exclus, et leur plaidoyer politique pour transformer la réalité. -Proposer aux religieux et aux religieuses qui viennent du dehors d’être disponibles pour partager la vie locale avec leur cœur, leur tête et leurs mains afin de désapprendre les modèles, les recettes, les schémas et les structures préétablis, pour apprendre les langues, les cultures, les traditions de sagesse, les visions du monde et les mythologies autochtones. -Compte tenu des urgences pastorales et face à la tentation de l’activisme immédiat, il est recommandé de consacrer du temps à l’apprentissage de la langue et de la culture afin de pouvoir tisser des liens et développer une pastorale intégrale. -Il serait bon que la formation à la vie religieuse inclue des processus de formation axés sur l’interculturalité, l’inculturation et le dialogue entre les spiritualités et les visions amazoniennes du monde. -Il faudrait donner la priorité aux besoins des populations locales plutôt qu’à ceux des congrégations religieuses. [9] « L’Esprit parle dans la voix des pauvres ; c’est pourquoi l’Église doit les écouter, ils sont un lieu théologique. En écoutant la douleur, le silence se fait nécessaire pour pouvoir entendre la voix de l’Esprit de Dieu » (IL§144)