Regards sur le Pérou
Hubert Boulangé, du diocèse d’Amiens, exerce sa mission au Pérou. Il nous propose une vision du pays et de l’Église, et nous parle de la prélature de Chuquibamba, de création récente, dont il est actuellement le vicaire général.
Le Pérou n’est pas un pays pauvre, on y trouve un immense potentiel et de grandes richesses. En 2018, il a connu une croissance de 3,8 % et de 2004 à 2011 la croissance annuelle était de 5 à 7 %. On peut alors en déduire que le Pérou, s’il n’est pas un pays pauvre, est un pays injuste.
Voici quelques regards sur le Pérou : géopolitique, historique et finalement un regard sur la foi chrétienne.
Des éléments de type géopolitique
Le Pérou est :
– Un pays gangréné par une corruption devenue « institutionnelle » durant le gouvernement de Fujimori (1990 / 2001). Cette « institutionnalisation » de la corruption est toujours présente.
– Un pays dont les mouvements financiers (surtout par l’extraction minière) sont très au-dessus de ses possibilités opérationnelles de réinvestissement. En conséquence il y a une fuite de capitaux vers les U.S.A. et d’autres pays, mais surtout vers les paradis fiscaux.
– Un pays qui n’appartient pas à une alliance politique ou économique stable. La Communauté Andine n’existe pratiquement plus. Le Pérou n’a d’alliés stratégiques de poids ni dans la région ni au-delà. Une certaine distance avec l’économie des U.S.A., et pas de liens spécifiques avec l’Europe ni avec le bloc Asiatique-Chinois.
Des éléments de type historique
– Avec l’Équateur et la Bolivie, le Pérou fait partie de ces pays qui ont gardé une grande influence des cultures andines. Beaucoup de comportements sociaux sont marqués par les traditions précolombiennes. Il y a un maintien très important des langues, des cultures, du folklore local. Une identité historique qui est profondément inscrite dans les comportements humains.
– Le pays a un potentiel touristique très important qui offre un type de développement ouvert sur le monde. Les Péruviens parlent facilement anglais, quechua et espagnol.
– Le manque d’infrastructures, par exemple dans le domaine de la communication, a été l’occasion d’une avancée énorme quand est venu le virtuel. Là où il n’y a pas encore l’eau courante, il y a presque toujours Internet, et de ce fait le pays a fait un bond en avant dans l’histoire.
Des éléments en lien avec la foi
– Une partie du catholicisme s’identifie avec la classe sociale dominante. Ce qui entraine le pays à accueillir des courants conservateurs comme l’Opus Dei, « Pro Iglesia Santa », et autres courants actuellement peu soutenus par le Vatican.
– Le Pérou a connu une recherche théologique profonde sur la pauvreté évangélique en rupture avec la pauvreté existentielle. D’où une spiritualité qu’on a appelée Théologie de la Libération. En Amérique Centrale, elle s’est éloignée de la spiritualité pour basculer vers l’idéologie, mais dans le défi historique des pauvres du Pérou, elle représente un courant très fort de présence évangélique auprès des populations exploitées. Elle propose une spiritualité de la Croix et de la Rédemption qui participe clairement d’une indispensable libération des forces qui bafouent les droits des personnes et des peuples. Ce courant a permis que le pape François reçoive un accueil extraordinaire lors de sa visite au Pérou en janvier 2018, après une visite catastrophique au Chili. Ce courant est celui dans lequel Jorge Bergoglio, argentin, a nourri sa foi, et qu’il nous propose aujourd’hui comme modèle de vie chrétienne.
– C’est depuis le Pérou (en janvier 2018) que le pape François a lancé l’idée du Synode des régions amazoniennes. Ce n’est pas un hasard s’il a lancé cette idée depuis le Pérou, devenu un pays d’un très grand potentiel spirituel et théologique avec l’École de Théologie de Lima. Cependant les oppositions que le pape affronte à Rome se vivent ici aussi. La vigueur de l’Église conciliaire du Pérou doit permettre au pape de garder le cap de ses options sociales et spirituelles.
… pays d’un très grand potentiel spirituel et théologique…
Le Pérou c’est : 33 millions d’habitants, une démocratie fragile mais en constante progression. Ce sont aussi 3 régions géographiques.
La Côte désertique longue de 2 400 kilomètres du nord au sud avec de très grandes métropoles comme Lima (10 millions d’habitants), Tumbes, Piura, Chiclayo, Trujillo et Chimbote, toutes ces villes du nord du pays abritant entre 500 000 et un million d’habitants.
Les Andes très riches en minerais et agriculture avec plus de 50 sommets au-dessus de 5 000 mètres d’altitude. De grandes villes dans les Andes : Cajamarca, Huancayo, Cuzco et Arequipa.
La forêt amazonienne qui occupe 65 % du territoire national mais ne représente que 1% de la population du pays. Riche en biodiversité, elle l’est aussi en eau, gaz et pétrole.
Quand on parle des mines au Pérou, il s’agit de l’or, le cuivre, l’argent principalement mais aussi du premier grand gisement de lithium au monde.
Mon ministère actuel
Mon ministère à la Prélature de Chuquibamba est ma troisième mission au Pérou : j’ai été dans l’archidiocèse de Lima de 1987 à 1994, dans le diocèse de Chosica de 2001 à 2016, et je suis dans la Prélature de Chuquibamba depuis 2016.
Chuquibamba est une Prélature très pauvre qui compte 4 provinces du département d’Arequipa (1 000 km au sud de Lima). C’est en 2015 qu’un ami prêtre péruvien de 47 ans, Jorge Enrique Izarrigue, a été nommé Évêque de Chuquibamba. Il m’a demandé de le rejoindre pour l’aider.
Je découvre une réalité physique compliquée avec une partie côtière de près de 200 km et 3 belles vallées agricoles ou l’on cultive riz, oignons et haricots. Un petit port de pêche alimente la ville d’Arequipa des meilleurs produits de la mer. Très vite on monte dans les Andes et on y trouve un habitat dispersé vivant au gré du climat et des récoltes d’une agriculture vivrière aux modalités ancestrales. Les jeunes qui ont pu finir leurs études secondaires s’en vont et ne reviennent pas.
Les paysages sont magnifiques, ce sont ces glaciers tropicaux qui fondent si vite et alimentés en eau pour quelque temps encore, ces riches mais éphémères vallées côtières.
La Prélature (de la taille de la Belgique) s’est établie depuis sa fondation en 1962 à Camaná, la seule petite ville (15 000 habitants) située sur le flux routier de la Panaméricaine. Il faut de 3 à 10 heures de voiture 4×4 pour rejoindre les chefs-lieux des 3 autres provinces de la Prélature qui se trouvent dans les Andes, en passant par des cols parfois très élevés.
Les communautés paroissiales sont très étendues et se retrouvent au rythme des fêtes et célébrations traditionnelles liées aux coutumes locales. Pratiquement aucun laïcat n’a été préparé pour dynamiser une vie pastorale dans laquelle des prêtres s’épuisent dans une pastorale sacramentelle assez peu missionnaire. Le clergé est encore très imprégné de « complexes indigénistes » et en même temps conservateur, assez distant des orientations de notre pape François.
Depuis 3 ans, je travaille surtout à la formation, et à l’unité entre les acteurs d’une pastorale rurale qui puisse respecter à la fois l’histoire de ces communautés et une saine actualisation du mystère du Christ souffrant, joyeux, libérateur, vivant au milieu de nous.
Nous avons mis en place une « École de Formation Pastorale » et une « Semaine Sociale » pour que la Parole qui devient Présence, nous entraine tous vers la transformation du monde, répondant de cette façon aux défis de l’évangélisation aujourd’hui.
Si la vie au milieu des familles paysannes offre de grandes joies et nous éloigne du stress urbain, il faut aussi reconnaitre qu’il y a beaucoup moins de stimulations pour rendre le message de la Bonne Nouvelle actuel et libérateur.
Quelques célébrités
55 évêchés, 70 évêques, deux cardinaux : Cipriani (Opus Dei) et Barreto (S.J.)
Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature (2010)
Javier Pérez de Cuellar 10 ans secrétaire général de l’ONU (1982 / 1991)
Paul Gauguin (1848 – 1903) ce peintre français est aussi Péruvien par sa mère.
Le premier aviateur à avoir franchi les Alpes entre la France et l’Italie le 23 septembre 1910 est le Péruvien Jorge Chavez.
Le théologien péruvien Gustavo Gutierrez (o.p.) a reçu la Légion d’Honneur des mains du président Mitterrand en mai 1991 à l’Élysée.
La seule bataille gagnée par les Péruviens durant la Guerre du Pacifique (1879 – 1891) le fut grâce à l’appui stratégique de la France avec l’Amiral Petit Thoirs qui croisait dans les eaux du Pacifique Sud.
Hubert Boulangé Allègre
Prêtre Fidei donum du diocèse d’Amiens
Vicaire général de la Prélature de Chuquibamba – Pérou
décembre 2019