Écouter le cri du peuple vénézuélien
La Conférence épiscopale du Venezuela a publié le 10 janvier 2020, pendant son Assemblée plénière, une lettre ouverte que le cardinal Porras, archevêque de Mérida, a demandé de diffuser largement. Le peuple est le véritable acteur du changement dont le pays a besoin, affirme cette lettre adressée au peuple vénézuélien, dans le pays comme de la diaspora, ainsi qu’aux peuples et aux Églises-sœurs d’Amérique et du monde. La CEV réitère la dénonciation de la situation « d’urgence humanitaire » que vit le Venezuela et qui oblige des millions de Vénézuéliens à quitter le pays. Qualifiant le régime en place de « totalitaire et inhumain », elle appelle les gouvernements étrangers à exiger la tenue d’élections « libres et fiables ».
Lettre fraternelle des évêques du Venezuela
« Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » Mt 28,20
À nos frères et sœurs vénézuéliens dans le pays et la diaspora, à tous les peuples et Églises sœurs d’Amérique et du monde :
Salutations fraternelles
1.- Au début de cette année 2020, comme fruit de la prière et de la réflexion qui accompagnent et renforcent notre engagement envers le peuple auquel nous appartenons et dont nous sommes les pasteurs, poussés par la conscience de notre devoir comme prophètes qui font entendre le cri de notre peuple, nous adressons cette lettre fraternelle à toutes les Églises sœurs d’Amérique et du monde, aux hommes et aux femmes de bonne volonté et à tous les frères et sœurs du Venezuela qui vivent et luttent à l’intérieur du pays ou sont partis vers d’autres terres comme migrants.
2.- En communion avec le Saint-Père François, qui a répété à plusieurs reprises que « la voix des évêques vénézuéliens est la voix du Pape », nous dénonçons la situation de crise qui frappe notre nation et qui, loin d’être surmontée, s’aggrave. Il s’agit d’une crise sociale, économique et politique qui est devenue une « urgence humanitaire » moralement inacceptable, caractérisée par le mépris de la dignité humaine, car elle viole le droit fondamental à la vie, à l’éducation, à la santé, à l’intégrité et au développement.
À nos frères vénézuéliens
3.- Comme pasteurs, nous formons un peuple avec vous et nous partageons donc vos joies, vos espoirs, vos angoisses et vos difficultés. Nous voulons consoler les affligés, protéger les faibles et soutenir la construction d’une société juste, libre et fraternelle. Vous pouvez compter sur l’Église pour continuer à soutenir tous ceux qui souffrent de la faim, de la désolation, de la négligence médicale, de l’incarcération pour raisons politiques, de la persécution et de l’abus de leur dignité.
4.- Inspirés par les principes de l’Évangile et de la Doctrine sociale de l’Église, nous réaffirmons que le peuple, avec ses diverses expressions de vie sociale et culturelle, est l’authentique sujet et acteur du changement nécessaire au Venezuela, ainsi que du développement qui conduira le pays vers de meilleures conditions de vie. Cela implique d’agir avec en ligne de mire les principes et valeurs fondamentaux, sans se laisser manipuler par ceux qui veulent acheter les consciences avec des cadeaux ou de fausses promesses et attentes. Cela implique également l’union des efforts, seule capable de briser les intérêts particuliers des individus et des groupes, et l’émergence d’une nouvelle direction politique et sociale pour nous guider et nous accompagner tous vers un avenir de dignité, dans la justice et la liberté.
5.- Les derniers événements de violation de l’Assemblée nationale nous amènent à réaffirmer ce que nous avons exprimé le 12 juillet 2019 dans l’Exhortation adressée au peuple : « Face à la réalité d’un gouvernement illégitime et défaillant, le Venezuela réclame à grands cris un changement de cap, un retour à la Constitution. Ce changement exige le départ de ceux qui exercent le pouvoir de façon illégitime et l’élection d’un nouveau Président de la République dans les plus brefs délais. Pour qu’elle soit réellement libre et réponde à la volonté du peuple souverain, cette élection postule certaines conditions indispensables telles que : un nouveau Conseil Électoral impartial, la mise à jour du Registre Électoral, le vote des Vénézuéliens de l’étranger et la supervision des organisations internationales… de même que la révocation de l’Assemblée Nationale Constituante ». Le changement présidentiel susmentionné est rendu possible par les articles 70 et 71 de la Constitution vénézuélienne.
6.- Nous demandons aux membres des Forces Armées de se laisser inspirer par une conscience saine de leur devoir, sans servir de parti-pris politiques, en respectant la dignité et les droits de toute la population, comme ils l’ont juré devant Dieu et la Nation. « Au nom de Dieu, mettez-vous du vrai côté de la Constitution et du peuple auquel vous appartenez et que vous avez juré de défendre ! » (Communiqué de la Présidence de la CEV du 8 janvier 2020).
7.- Ceux qui font de la politique, tant au gouvernement que dans l’opposition, doivent être attentifs aux cris du peuple, regarder ses besoins et non les accommodements qui assurent leurs privilèges et leurs intérêts particuliers. Nous apprécions la générosité et le courage de ceux qui ont accepté les risques du sauvetage d’une véritable démocratie.
À nos frères vénézuéliens qui ont quitté le pays
8.- Des millions de Vénézuéliens se sont vus obligés à quitter leur patrie pour améliorer leur qualité de vie dans d’autres pays. Nous connaissons les vicissitudes qu’ils ont dû subir et les risques qu’a entraînés leur départ. N’oubliez pas que le Venezuela s’est toujours distingué comme un pays qui accueille des migrants de diverses régions du monde. Nous les recevons avec un sens fraternel et leur faisons une place dans nos activités sociales et culturelles. Beaucoup d’entre eux se sont intégrés de telle manière qu’ils ont formé de belles familles parmi nous. Leur contribution a renforcé à la fois le développement matériel et humain de notre nation et la foi dans chacune de nos Églises particulières. Nous vous encourageons, vous qui vivez comme eux sur une terre étrangère, à vous insérer et à vous intégrer dans ces nouvelles cultures. Ne manquez pas d’exprimer votre foi et votre charité en participant aux œuvres de la société et de l’Église. Soyez toujours les ambassadeurs de l’héritage reçu de nos ancêtres, surtout l’esprit de solidarité, de joie et de fraternité. Que Dieu vous protège. N’oubliez pas les vôtres et ressentez notre proximité dans la prière et les bénédictions.
… construction d’une société juste, libre et fraternelle…
Aux peuples d’Amérique et du monde
9.- Nous sommes très reconnaissants de l’accueil que les pays et les Églises du continent et du monde ont réservé à ceux qui ont émigré pour trouver la solidarité et la possibilité réelle d’un travail et de conditions de vie qui leur permettent de vivre et d’aider leur famille restée au Venezuela. Nous regrettons les actes négatifs de certains Vénézuéliens, ainsi que leur rejet par divers peuples frères. Nous prions les nations qui les accueillent de leur accorder les soins et l’attention qui leur permettront de vivre dans la dignité, en apportant ce qu’ils peuvent et sont capables de faire.
10.- Nous vous demandons d’écouter le cri du peuple vénézuélien. Face à la déclaration de normalité que les autorités et les médias gouvernementaux proclament et diffusent, nous dénonçons leur mensonge et leur cynisme. Il est inacceptable qu’un pays doté d’immenses richesses ait été appauvri par l’imposition d’un système idéologique qui, loin de promouvoir un authentique bien-être, a tourné le dos à ses citoyens, de sorte qu’aujourd’hui nous subissions l’augmentation de la malnutrition infantile, la destruction de l’appareil de production et la croissance d’une spéculation écrasante et d’une corruption intolérable.
11.- Pour ceux qui sont aujourd’hui à la tête du gouvernement, ce n’est pas le bien commun qui compte mais l’intérêt excessif pour la richesse et le pouvoir hégémonique, capable de faire échouer toute tentative de vivre dans une démocratie authentique. Nous vivons dans un régime totalitaire et inhumain dans lequel les dissidents politiques subissent la torture, la répression violente et les assassinats. À cela s’ajoutent la présence de groupes irréguliers sous le regard complaisant des autorités civiles et militaires, l’exploitation irrationnelle des ressources minières qui détruit de vastes étendues du territoire vénézuélien, le trafic de drogue et la traite des êtres humains.
12.- Nous reconnaissons les efforts déployés par diverses instances internationales pour faire face à la situation au Venezuela. Nous continuons à parier sur un dialogue et des négociations sincères qui répondent aux conditions de respect des droits fondamentaux du peuple vénézuélien : liberté, dignité, justice et démocratie. Nous pensons que le soutien international doit tendre à exiger de l’actuel gouvernement vénézuélien la tenue d’élections libres et fiables, outre la solidarité et l’aide humanitaire pour résorber la situation d’urgence de la majorité des Vénézuéliens.
Aux Églises sœurs d’Amérique et du monde
13.- Nous vous exprimons notre gratitude pour l’accueil, l’attention et l’accompagnement de tant de Vénézuéliens qui sont venus dans vos pays. Nous connaissons la solidarité avec laquelle vous les avez reçus, témoignant ainsi de la charité fraternelle sans limite qui distingue les disciples du Seigneur Jésus. Ils vous parleront de la triste situation qui secoue notre pays, à laquelle nous apportons une réponse ecclésiale pleine d’espérance. Nous sommes conscients de la complexité que représente l’accueil d’un si grand nombre de personnes et nous sommes sûrs que l’héritage de la foi vivante de beaucoup d’entre elles, enrichie par le travail dans les paroisses, les institutions ecclésiales et les mouvements d’apostolat, contribuera au bien-être de vos communautés chrétiennes. Un bon nombre de ces personnes participent à l’évangélisation. Nous vous exhortons à continuer à les accompagner dans leur engagement et la maturation de leur foi.
Salutations finales
14.- Frères vénézuéliens, Églises sœurs et peuples du monde : nous réaffirmons notre vocation de pasteurs et de serviteurs de tous. Nous nous faisons l’écho des cris de liberté, de justice et de saine coexistence jaillis du cœur de ceux qui souffrent dans ce beau pays. Nous implorons la protection maternelle de Notre-Dame de Coromoto, patronne de notre nation, qui nous invite à faire ce que nous dit son fils Jésus-Christ.
Fraternellement,
Les archevêques et évêques du Venezuela
Caracas, 10 janvier 2020