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Les martyrs du Guatemala

Le Guatemala a connu un conflit armé sanglant d’une quarantaine d’années qui a fait 200 000 morts et 45 000 disparus. L’Église y a été violemment persécutée, et le martyre de dix de ses membres vient d’être reconnu par le Vatican. Dix martyrs du Quiché (1980-1991) vont être béatifiés en 2020 au Guatemala.

Guiados por el Evangelio entregaron su vida[1]

Martyrs du Guatemala

Martyrs du Guatemala

 

Dans le cadre des violences contre la population au Guatemala, le département du Quiché a particulièrement souffert, surtout dans les années 1980-1984. Les membres de l’Église qui ont voulu permettre à la population de survivre ont été considérés comme des guérilleros, comme on l’écrit encore en 2020 dans des tribunes publiées par le quotidien le plus sérieux du Guatemala. Pour comprendre, il faut noter, par exemple, que l’Église a facilité le développement des coopératives, ce qui permettait aux paysans de ne pas tomber dans les pièges des usuriers (c’est tout à fait conforme aux dénonciations des psaumes). Mais cela n’était pas pour plaire à tout le monde.[2]

Dans ces conditions l’Église du Quiché a subi de très violentes persécutions. Il faut situer ces événements dans le cadre de la guerre dîte « froide », qui ne fut pas froide pour tout le monde, et dans la suite du coup d’état de la CIA de 1954, pour défendre des intérêts américains privés dans la « banane », dont ceux du chef de la CIA et de son frère Secrétaire d’État. On peut comparer, en plus ridicule, avec le coup d’état pour le pétrole en Iran en 1953, avec les conséquences que l’on connaît jusqu’à aujourd’hui.

Au Guatemala, la violence a été planifiée. Mais il y avait dans l’exécution un caractère irrationnel, alcool, drogue, menaces et stupidité.[3] A ma première arrivée au Guatemala, dans l’accueil par des soldats armés, ce qui m’a paru le plus terrifiant, c’est qu’ils ne paraissaient vraiment pas très intelligents. Il valait mieux éviter de faire des plaisanteries.

Dans des conditions difficiles où il était encore dangereux de suggérer des noms, et après enquête minutieuse, la reconnaissance de dix cas de martyres a été proposée en 2013 à la Congrégation de la Cause des Saints. Trois prêtres des Missionnaires du Sacré Cœur, et sept laïcs au service de l’Église. En janvier 2020, après approbation par la Congrégation, le pape François a signé le décret de reconnaissance des dix martyres.

Cette reconnaissance constitue une grande consolation après les souffrances encourues. Il est également souhaitable que cela puisse être un moyen de témoigner de l’Évangile bien-au-delà du Quiché, y compris dans des régions du monde, qui ont souvent ignoré la situation.[4]

Les Missionnaires du Sacré Cœur, même s’il s’agit d’une fondation française, venaient d’Espagne. La congrégation est arrivée dans le Quiché en 1954, alors que le Quiché ne disposait que de très peu de prêtres. Même avec ce renfort, les laïcs jouaient toujours un rôle important. Voici ci-dessous la liste des martyrs, par ordre chronologique, selon leurs lieux, chacun avec ses charismes.

Zacualpa, 18 janvier 1980
Juan, un enfant catéchiste de 12 ans

Juan, d’un aldea de Zacualpa, d’une famille très engagée dans l’Église, avait 12 ans et faisait déjà preuve de maturité. Il avait une fonction de catéchiste, présidait des prières et s’occupait des autres. Il fut dénoncé comme guérillero. Comme son frère réussit à s’échapper, les militaires s’acharnèrent contre lui et le torturèrent jusqu’à la mort.
Dans les années 2000, lors de sessions de travail à Zacualpa sur la Bible en K’iche’, je me rappelle que le dictateur Rios Mont avait encore de fidèles partisans. Ils contrôlaient la mairie. Le jour où nous sommes allés visiter le lieu d’un massacre, ils se sont montrés très désagréables.

Chajul, 4 juin 1980 et 6 septembre 1980
Le père José Maria et ses sacristains Domingo et Tomas

Vivre au milieu des plus pauvres reproduisait pour le père José Maria, l’expérience de la Nativité. Il allait visiter les communautés au milieu d’un paysage désertique. Né en 1945, ordonné en 1972, arrivé dans le Quiché en 1975, il fut assassiné, par derrière, le 4 juin 1980, lors de ses pérégrinations dans la région de Chajul.
Aux côtés du père José Maria a été retrouvé, tué de cinq balles, le sacristain et catéchiste Domingo, qui accompagnait le père dans ses pérégrinations.
Suite à l’assassinat du père José Maria, le premier sacristain, Tomas, avait la responsabilité de s’occuper de l’église de Chajul.  Il le fit malgré les menaces de l’armée qui voulait occuper le bâtiment comme ce fut le cas pour de nombreuses églises du Quiché. Il ne voulut pas se plier aux menaces. Le 6 septembre 1980, l’armée fit irruption dans l’église, et les soldats se dirigèrent directement où Tomas avait l’habitude de prier pour le tuer.

Joyabaj, 10 juillet 1980
Le père Faustino

Le père Faustino, né en 1931, ordonné en 1956, est arrivé au Guatemala en 1959. Il a travaillé dans la région Ixil à San Juan Cotzal, où il a promu les coopératives, mais a été assassiné à Joyabaj en territoire Quiché, où il avait également commencé son ministère. Le père Faustino était un bon coordinateur, ouvert au dialogue, pacifique, avec un grand équilibre. Il était sérieux et ouvert à tous. Il visitait les familles, annonçait la Parole, réunissait les responsables, animait la catéchèse, célébrait les sacrements, confessait un bon moment, visitait les malades et apportait des médicaments.
Le 10 juillet 1980 au soir, deux jeunes demandèrent à parler au prêtre. Il sortit pour répondre à la demande et ils l’assassinèrent, pour remplir leur contrat.

Chicamán, 29 septembre 1980
Nicolas, 35 ans, catéchiste, ministre de la communion

Nicolas était un homme tranquille, amical, honoré et travailleur. Il était disposé à remplir les tâches les plus difficiles. S’il n’était plus possible de se réunir dans l’oratoire, il fallait le faire dans la montagne, les grottes, ou de nuit de manière cachée dans les maisons.
Comme il n’y avait plus de prêtres, il allait chercher les hosties consacrées à Cobán ou San Cristóbal, dans le département voisin. Il cachait les hosties dans le maïs, pour déjouer les contrôles des militaires. Il fut dénoncé comme « mauvaise personne ». Le 29 septembre 1980, après 23h, des inconnus firent irruption chez lui et le tuèrent dans la cour de sa maison.

Uspantan, 21 novembre 1980
Reyes, catéchiste, promoteur de santé

Reyes se préoccupait à la fois de l’annonce de la parole de Dieu et du développement de la communauté. En tant que promoteur de santé, il partait s’occuper des malades quelle que soit l’heure où on venait le chercher. Également préoccupé par le développement, il participa à divers projets dont la construction d’une route. Il voulait que ses enfants étudient. Il considérait qu’il fallait comme Jésus s’intéresser à la fois au spirituel et au matériel.[5]
Se sentant menacé, il recommanda sa mère et ses projets aux siens. Le 21 novembre 1980, des inconnus le tuèrent à quelques mètres de sa maison.

« Zone Nord », 15 février 1981
Le père Juan

Né en 1933, il fut ordonné prêtre le 11 juin 1960 et arriva au Guatemala la même année. Il avait opté pour la « Zone Nord », où le respect de la vie humaine était inexistant. Le Pasteur doit défendre le troupeau. Il voulait suivre Jésus jusque dans la mort si cela était nécessaire. Ses méditations : Matthieu 20,28 ; Jean 10,18 ; Jean 3,30 ; 1 Corinthiens 9,16 ; 2 Timothée 2,9. Lui aussi fut assassiné en chemin, entre Uspantan et Cunen.[6]

Chiniqué, 22 juillet 1982
Rosalio, 68 ans, catéchiste responsable de l’action catholique

Né en 1914, Rosalio avait d’importantes responsabilités. En l’absence de clergé, il était même responsable des célébrations en particulier les enterrements. Comme il ne savait ni lire ni écrire comme les membres de sa communauté, il faisait tout de mémoire, textes et chants. Il fut assassiné lors d’une embuscade tendue par l’armée, avec son fils Pedro et 48 autres personnes, alors qu’ils rentraient de Chiché, bourg voisin. Chiniqué est le premier bourg que j’ai connu dans le Quiché.

Sacapulas, 31 octobre 1991
Miguel, 50 ans, catéchiste, responsable de l’Action catholique

Quand vinrent les menaces, il prévint sa famille de continuer dans la religion. Quand quelqu’un dit la vérité, on le présente comme une mauvaise personne.[7] Si je meurs, je meurs comme Jésus. Jésus n’a pas péché et on disait du mal de lui, moi oui j’ai péché.
Il devait être à Sacapulas quand j’ai célébré la première veillée pascale en 1987, l’armée venant tout juste de quitter l’église et le presbytère, enfin il y avait encore quelques militaires au fond de l’église. Le lendemain les militaires armés nous encerclaient encore, quand le jour de Pâques j’ai célébré les baptêmes sur la place du bourg, par manque de place dans l’église. Il n’y avait pas eu de baptêmes depuis plusieurs années. J’ai baptisé entre autres deux enfants du nom de « martyr ».

La diversité des charismes

Il apparaît que ces martyrs avaient des charismes différents, dans leurs rapports aux autres et dans la manière de servir l’Église et leurs concitoyens. Mais ils avaient en commun d’accomplir leurs tâches avec exigence et sérieux, de ne pas avoir peur des menaces et de la diffamation, et d’être qualifiés de « mauvaise personne ». Ils se sont rejoints dans le témoignage du martyre. Leur vie et leur mort constituent un enseignement et un encouragement pour l’ensemble de l’Église.

Bernard Gosse, diocèse de Nanterre
Traducteur de la Bible et du lectionnaire en k’iche’

[1] Jean 15,13 : « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : déposer sa vie pour ses amis » 
[2] Voir Bernard Gosse, « L’Église des conquistadors au Guatemala », CHOISIR 693 (2019), pages 135-139. Article reproduit par le SNMUE. L’asservissement de la population a toujours été planifié. Au début il s’agissait pour le conquistador de contrôler la population indigène. D’où incitation à l’alcool, contrôle de l’endettement… Je me rappelle d’une finca, où les employés vivaient sur place, achetaient le nécessaire dans des boutiques contrôlées par le propriétaire de la finca, et les dettes des uns et des autres étaient affichées publiquement.
[3] Tout finissait par se savoir, par les militaires saouls. On tuait pour montrer que l’on était du bon côté.
[4] Vivant à Antony, j’avais connaissance de la situation par la résidence universitaire. Mais en Europe seuls les pays scandinaves se préoccupaient de la situation.
[5] Isaïe 65,17 : « Car voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle, on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l’esprit »
[6] Le père Axel, originaire de Joyabaj, connaissait lui tous les trucs pour échapper aux embuscades, il est le seul à être resté dans le diocèse et à survivre. Mais il est mort de maladie, car pendant ce temps il ne se soignait pas beaucoup. Dans l’Évangile on voit bien que Jésus savait parfaitement, lui aussi, échapper à ses adversaires. Mais la passion était la volonté de son Père.
[7] Une chanson française dit la même chose.
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