Message des Dominicains du Brésil
Depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en janvier 2019, les institutions démocratiques du Brésil sont largement mises à mal par un régime de plus en plus autoritaire, augmentant son contrôle sur les institutions culturelles, scientifiques et éducatives, ainsi que sur la presse, certains allant jusqu’à parler de « chasse aux sorcières ».
Le gouvernement Bolsonaro veut aller à l’encontre des politiques publiques mises en œuvre au cours des dernières décennies pour rendre la société brésilienne plus inclusive et moins inégale. Il méprise les leaders qui se battent pour la préservation de l’environnement, en particulier dans les communautés indigènes et quilombolas, attaque les minorités et ferme les yeux sur les actions violentes des paramilitaires et la corruption. Bolsonaro vient de présenter au Congrès un projet de loi autorisant les activités minières dans les territoires réservés aux indiens. L’agriculture, l’élevage et les activités pétrolières y seraient également permis.
Au terme de leur assemblée annuelle, les dominicains du Brésil ont publié le 31 janvier 2020 un message percutant dans lequel ils dénoncent les dérives actuelles et réaffirment que « l´engagement pour la défense de la vie et la promotion des Droits Humains » est pour eux une priorité, et qu’il est « l´heure d’assumer sans peur notre engagement pour la défense sans concession de la vie, de la diversité et de la planète, notre « maison commune ».
« Celui qui prend la vie du pauvre est un meurtrier » Si,34,21-22
Message des Dominicains du Brésil réunis en assemblée annuelle
Aujourd’hui au Brésil, les Droits Humains souffrent violence, non à titre d´exception, mais de manière routinière. Les indiens du Brésil sont menacés dans leurs droits et dans leurs territoires : plusieurs dirigeants indiens ont été assassinés au cours des derniers mois, comme Paulo, Firmino et Raimundo, du peuple Guajajara, dans l’État de Maranhão. L´Amazonie est mise à mal par des exploitants miniers, forestiers, chercheurs d´or, et grands propriétaires. Sur ces terres aujourd’hui livrées à la cupidité des puissants, les petits occupants et les sans-terre, les dirigeants de mouvements populaires et les défenseurs du droit sont assimilés à des délinquants et détestés par un État qui a abdiqué ses responsabilités en matière de réforme agraire et urbaine, et de toute politique sociale inclusive.
Au même moment, les responsables de désastres environnementaux, mortifères comme ceux de Mariana et Brumadinho demeurent impunis ; la réforme du code du travail épuise toute possibilité d’exiger des conditions dignes de travail : elle démantèle la législation et rend dissuasif le recours à la Justice. C´est la porte ouverte au travail précaire, au sous-emploi, au chômage, y compris à la tolérance envers le travail esclave.
Poussés par une idéologie ultralibérale néfaste, les pouvoirs publics se désengagent, abandonnant à leur sort ceux qui sont sans défense et laissant les puissants à leurs bonnes affaires. À chaque minute, dans notre pays, quatre femmes sont battues. L’espérance de vie des transsexuels, ici, ne dépasse pas 35 ans. Environ cent mille personnes vivent en situation de rue. La moitié de la population brésilienne n’a ni eau courante ni égouts, se trouvant ainsi exposée à toutes sortes de maladies, alors que le système public de santé est à l´abandon. Des enfants, des jeunes et des adultes meurent victimes de balles “perdues”.
Bien que la moitié de la population brésilienne soit formée de noirs et de mulâtres (faisant de notre pays la deuxième nation avec le plus grand contingent de noirs au monde) et que l´esclavage ait été aboli voici plus de 130 ans, nos frères et sœurs sont doublement victimes de préjugés et de discrimination : parce qu´ils sont noirs et parce qu´ils sont pauvres.
Il y a beaucoup de gens tombés au bord de la route. Comme dans la parabole du « bon samaritain » (Lc 10, 30-37), chacun de nous est mis au défi d´ouvrir les yeux et d´agir. Nous-mêmes, comment réagissons-nous ? Avec cette sorte d´indifférence que dénonce le pape François ? Ou même avec cette agressivité – pour ne pas dire : cette haine – qu´expriment ceux qui réduisent les Droits Humains à une « affaire de bandits » ? Serions-nous disposés à briser notre routine et à nous dévier de notre route pour nous mettre au service des victimes de toutes ces injustices ? En fin de compte, qui prétendons-nous « sauver » : nous-mêmes ou bien ceux et celles qui ont été violentés, dépouillés et assassinés, la plupart du temps avec la complicité de l’État et de son allié, le pouvoir économique ?
L´engagement pour la défense de la vie et la promotion des Droits Humains est pour nous, Frères Dominicains du Brésil, une priorité, en accord avec nos Constitutions et avec les décisions de nos Chapitres, et en conformité avec celui dont le nom identifie notre Province : Bartolomé de las Casas. Comme lui, nous prenons au sérieux cet avertissement de la Bible : « Quiconque prend la vie des pauvres est un meurtrier. Il tue son prochain, celui qui lui retire ses moyens de vivre et il verse son sang, celui qui prive le travailleur de son salaire. » (Si 34, 21-22)
Disciples de Jésus, à l´instar des disciples d’Emmaüs, nous ne voulons pas nous laisser abattre et nous n’avons pas l’intention de cheminer tout seuls. Aussi, depuis notre Assemblée générale annuelle, mus par l’urgence en face de tant de violations du droit, de la dignité et de la justice, nous lançons un appel à toutes les personnes de bonne volonté : c´est l´heure d’assumer sans peur notre engagement pour la défense sans concession de la vie, de la diversité et de la planète, notre « maison commune ». Disciples d’un prophète assassiné, mais ressuscité, nous proclamons notre foi en la promesse d’une terre sans mal et réaffirmons notre engagement à mettre notre vie religieuse consacrée au service du Royaume qu’Il a inauguré.
São Paulo, le 31 janvier 2020