Brésil – Jura : Gaby Maire 30 ans après
Le 23 décembre 1989, Gabriel Maire, prêtre fidei donum français originaire du Jura, envoyé au Brésil dans le diocèse de Vitoria, était assassiné. Les circonstances de cet assassinat sont encore obscures, mais il ne fait pas de doute qu’il est lié à son engagement en faveur des droits humains et des plus pauvres. Pour commémorer le 30e anniversaire de la mort de Gaby, un groupe de l’association des amis de Gabriel Maire s’est rendu au Brésil en décembre 2019, tandis qu’une délégation brésilienne est venue en France en janvier.
Il est bien difficile de tout dire sur le voyage au Brésil pour la commémoration du martyre de Gabriel Maire. Il y aurait tellement de richesses à partager. Le 5 décembre 2019, nous partons cinq Français pour rejoindre une autre Française déjà présente au Brésil depuis quelques mois. Merci à Bernard Colombe, prêtre à Lyon qui a vécu quelques années au Brésil, accueilli Gabriel à son arrivée au Brésil et vécu proche de lui de 1980 à 1982. Il fut pour nous un guide précieux qui nous a permis quantité de rencontres avec des témoins de la vie de Gaby au Brésil.
Deux dimensions ont marqué ce voyage : tout d’abord la rencontre de témoins qui vivent encore de manière très simple dans une diversité d’engagements ce qu’ils ont vécu avec Gaby. Ils nous ont donné de dé couvrir ce que Gaby vivait avec eux. Il partageait avec eux la vie quotidienne, dans les mêmes conditions de vie qu’eux. Et puis différents moments du séjour ont été marqués par des célébrations du souvenir de Gaby.
La rencontre des témoins de Gaby : qui était-il ?
La principale préoccupation pastorale de Gaby, c’était les communautés ecclésiales de base, les Ceb’s. Pour Gaby la paroisse n’était pas le lieu central qui décide de tout. Gaby écoutait ce que disaient les communautés, intervenait pour des formations, mais surtout invitait à faire partie de groupes de jeunes, de travailleurs/ses, de femmes. Avec les différentes Ceb’s, il se trouvait au cœur des luttes pour réclamer une baisse du prix des transports en commun, un meilleur état des rues dans les quartiers, de meilleurs salaires, le respect des droits, des élections plus claires… Il avait lancé une enquête sur les enfants exceptionnels (c’est ainsi qu’on appelle souvent en Amérique latine les enfants handicapés) : une institution a vu le jour au temps de Gaby et elle est aujourd’hui la 3° institution la plus importante du pays pour accueillir des enfants exceptionnels ; et quelle émotion de voir les plus anciens d’entre eux animer une soirée en hommage à Gaby à la Municipalité de Cariacica.
Quelle surprise de découvrir dans une rue le siège de l’association des habitants d’un quartier qui s’appelle tout simplement : «Association des Habitants Gabriel Maire».
Et les gens racontent comment ils s’organisaient pour occuper des terrains et obtenir les services publics : c’était une période de fort exode rural et les municipalités avaient beaucoup de difficultés à organiser des lotissements surtout que les propriétaires ne voulaient pas lâcher un pouce de terrain.
Gaby s’est également beaucoup engagé dans le groupe Foi et Politique : il veillait à organiser et à coordonner des petits groupes pour faire avancer le bien commun sans corruption et éliminer les votes achetés.
Il était préoccupé de la culture des habitants. Avec les Ceb’s, il avait poussé à la mise en place du ‘jour C’ ! Le ‘jour C’, c’était la fête des Ceb’s mais aussi la fête de tous, avec le Carnaval, la mise en valeur de la Conscientisation, de la Culture, du ‘Companheirismo’ (le fait d’être Copain), de la Créativité, de la Communauté.
Il y avait aussi un mouvement « Paix et Démocratie » à Cariacica. C’était une coordination entre prêtres et pasteurs engagés dans les luttes du peuple, ou dans des actions de solidarité des différentes Églises.
Et Gaby trouvait aussi le temps de participer à la rédaction hebdomadaire d’un feuillet liturgique diocésain pour les Ceb’s, de ‘Ferramenta’, bulletin d’information pour les travailleurs. De plus, il enseignait la Théologie pastorale au Séminaire et était, à la demande de l’évêque, le principal célébrant de la messe dominicale depuis les studios de la télévision.
Les célébrations de la mémoire
Si les gens des quartiers font mémoire de Gaby, les institutions publiques ne l’oublient pas non plus. Depuis quelques années, une ‘comenda’ à la Municipalité de Cariacica a lieu maintenant en hommage à Gaby à une date proche de l’anniversaire de la déclaration des Droits de l’homme (10 décembre). Une ‘comenda’ est une récompense, et ici à Cariacica, c’est une remise de diplôme pour des actions en faveur des droits de l’homme ou pour la défense de la vie. La commune de Cariacica organise cette soirée début décembre et cette manifestation est animée par un groupe musical d’adultes formé par des anciens accueillis du centre d’enfants exceptionnels. Étonnant encore la croix de Taizé en bois remise à tous les participants à cette soirée : souvenir de cette ‘comenda’ avec la même croix de Taizé que Gaby portait habituellement et que le sang avait collée sur lui après l’assassinat.
Même soirée de remise de médailles et diplômes lors d’une session extraordinaire de l’Assemblé Législative de l’État de Vitoria en hommage à Gabriel Maire. De beaux témoignages sur Gaby par des gens engagés dans la politique mais aussi des services à la population ou comme bénévoles dans les associations et qui parlent de leur engagement, de leur foi ou de la flamme trouvée chez Gaby pour donner sens à leur vie.
Un autre moment intense a été la rencontre avec l’évêque de Vitoria. Il nous a reçus à l’évêché, nous a dit qu’il avait demandé à la pastorale des jeunes de recueillir des témoignages sur Gaby afin de voir la possibilité d’engager une cause de béatification, et nous avons célébré avec lui à la cathédrale le dimanche avant Noël. La messe du dimanche à la cathédrale a lieu très tôt parce qu’il fait chaud mais ce jour-là une autre messe avait été ajoutée pour faire mémoire de Gaby. Ce n’était pas pour faire bande à part mais l’heure plus tardive permettait aux gens des quartiers périphériques (où vivait Gaby) de pouvoir venir à la cathédrale plus facilement. Les temps de parcours en ville sont toujours assez longs…
Les moments les plus intenses ont été les trois jours de mémoire de l’assassinat du 23 décembre 1989 : le 21, à Castelo Branco, où Gaby a célébré pour la dernière fois, le 22 l’endroit où sa voiture a été interceptée et où il a été assassiné, et le 23 décembre à l’endroit où Gaby agonisant a été retrouvé dans sa voiture.
Le 21, à Castelo Branco pour la dernière célébration (c’était un mariage), Gaby avait demandé un chant où Jésus dit « C’est mon dernier repas, je vais vous quitter ». Et la responsable des chants lui fait remarquer que ce n’est pas adapté pour un mariage, ni pour le temps de l’avent. Et pourtant Gaby demande qu’on prenne ce chant. Prémonition ? Chacun reste avec la question.
Le 22, sur le terrain vague en bordure de la route où sa voiture a été déviée, c’est là que Gaby a été assassiné. La mort de Gaby est rappelée parmi d’autres martyrs (Gaby est toujours rappelé avec d’autres martyrs – il a donné sa vie comme bien d’autres).
Le 23, à Cobi de Cima où sa voiture a été retrouvée. Le véhicule a été abandonné là pour faire croire à un crime crapuleux. Dernière célébration des trois jours de mémoire. Toutes ces célébrations ont rappelé la mort de Gaby, mais ont aussi laissé entrer en chacun une soif d’engagement, une dimension de résurrection. C’est bien toi Gaby qui nous redisais avec tant d’autres : « Je préfère mourir pour la vie que vivre pour la mort. »
Grâce à l’accueil des amis brésiliens, nous avons marché sur les pas de Gaby au Brésil et le 31 décembre, 2 jours après notre retour, c’était à nous d’accueillir un groupe de Brésiliens. Ils venaient marcher sur les pas de Gaby en France, et bien souvent redire ensemble : « Padre Gabriel presente ! » et chanter ensemble :
Ils ont fait taire un prophète. Un frère encore est tombé.
Ton cap nous le maintenons : éclosion d’un monde nouveau
Ton rêve Gaby ne meurt pas Le Royaume avec nous se construit.
Jean-Marie Bouhans
Délégué diocésain Mission universelle – diocèse de Saint-Claude
En janvier 2020, 7 amis brésiliens venus sur les pas de Gaby dans le Jura dont un prêtre délégué de l’évêque de Vitória. Diverses commémorations ont eu lieu dans le Jura : à Lons le Saunier avec les Jeunes des samedis de saint Dé, à Poligny à la Maison diocésaine du Diocèse de saint Claude, à Dole et Saint-Claude, les paroisses où Gaby avait vécu, à Port-Lesney, village natal de Gaby, avec l’inauguration d’une place. Vous pouvez aussi nous rejoindre sur le Blog de l’association des amis de Gabriel Maire