Des nouvelles du Pérou en confinement…
L’Amérique latine est elle aussi soumise à des mesures de confinement dans certains pays, de couvre-feu dans d’autres, plus ou moins drastiques, plus ou moins bien respectées. Hubert Boulangé, du diocèse d’Amiens, est vicaire général de la nouvelle prélature de Chuquibamba au Pérou.
Depuis le 16 mars, nous sommes « confinés » dans nos maisons, avec couvre-feu et arrêt de toutes les activités éducatives, récréatives, religieuses, productives et commerciales. Seuls les magasins d’alimentation et les pharmacies restent ouverts quelques heures dans la journée.
Le Pérou ayant un système de santé particulièrement déficient, nos dirigeants ont anticipé le problème. Dès qu’il y a eu 20 personnes contaminées sur l’ensemble du pays, ces mesures ont été imposées. Naturellement il a fallu 2 ou 3 jours pour que la population réponde de façon responsable.
Donc nous voilà avec du temps, beaucoup de temps pour faire ce que nous n’avions pas le temps de faire … Du temps pour prier, se reposer, lire les 50 livres que je n’ai pas fini, écrire, ranger des dossiers, chercher et retrouver des documents égarés. Bref du temps, beaucoup de temps. Pour le moment, cela me va très bien.
Je suis à la Prélature (évêché), l’évêque est resté coincé dans sa famille à 1200 km j’ai donc un peu de grain à moudre avec les affaires courantes et le soutien des prêtres et communautés assez éprouvés par le fait que toutes les activités sont annulées. Certains prêtres même perdent pied, car trop souvent nos activités restent dans le domaine des célébrations et nous n’intégrons pas assez la prière, la contemplation ou l’oraison dans une vie missionnaire active.
Personnellement je me suis plongé avec joie dans l’expérience de l’Exil du Peuple de Dieu à Babylone (-587 à -538) avec la relecture des livres de Jérémie, Isaïe et quelques autres textes extraordinaires. Que nous soit retirée une partie de nos libertés ne signifie pas que nous n’ayons plus aucune liberté. Au contraire, celle de suivre ou pas le Christ, celle de se donner ou pas pour la promotion de la justice et de la paix, et plus encore pour une véritable conversion à un autre mode de vie qui respecte plus la nature et la planète. Bref un temps de retraite … et au bout de cela de nouvelles conversions et de nouveaux combats.
Il y aura un avant et un après le Covid 19. Quand plus d’un quart des activités de la planète, celles qui génèrent la contamination cessent, les indices de pollution vont enfin dans un sens plus salubre. Tout est désormais bousculé par cette première mondiale. Faut-il s’en réjouir ? certainement pas, pour les conséquences qu’une fois encore les plus démunis vont sentir avec violence et cruauté. Mais il faut surtout savoir en tirer les conséquences personnelles, politiques, sociales, humaines et même spirituelles.
Je suis heureux de vivre en ces temps naturellement difficiles, mais décisifs pour construire un monde d’Amour et de Paix. C’est un défi pour nos sociétés, c’est un défi pour l’Europe. Il faut transformer cette pandémie en mutation. Je sens que pour l’Église et les religions en général, il faut qu’elles apprennent à vivre plus dans la réalité afin de reconquérir la confiance et offrir une espérance chrétienne aux personnes et surtout aux plus pauvres. Il faut que dans l’Église catholique on travaille la question du pouvoir et des libertés. Les questions autour de la sexualité qui ont déstabilisé l’Église ces dernières années nous en donnent aussi l’obligation. Combattre l’idéologie de l’emprise sur les consciences, s’ouvrir à un style plus universel et moins sectaire pour retravailler notre rêve de mondialisation etc…
Pour revenir à mon quotidien, ici dans la maison nous sommes 12 dont 9 viennent seulement pour les repas, du séminaire et d’une paroisse voisine. Sinon je suis avec le secrétaire de l’évêque (un Argentin sympa) et un prêtre espagnol de passage. J’ai un « laissez passer » qui me permet de faire quelques visites urgentes, surtout que nous avons à Arequipa (3 h de route) un prêtre de 90 ans qui vit sans doute ses derniers moments.
Pardonnez-moi une espérance cynique : que cette pandémie mette en peine le président des U.S.A. pour sa réélection…on aurait, par le fait moins d’obstacles sur le chemin d’une écologie intégrale.
Hubert Boulangé
Lire aussi : Regards sur le Pérou pour une vision du pays et de l’Église.