Le coronavirus réveille l’humain en nous

La pandémie, nous dit le théologien brésilien Leonardo Boff, nous oblige à nous demander si ce qui compte, ce sont les biens matériels ou la vie. Elle nous oblige à prendre conscience de notre comportement vis-à-vis des autres et de la nature, à réaliser que nous sommes des êtres de relation, de solidarité, d’attention, de coresponsabilité, de spiritualité. Autant de valeurs à mettre en œuvre dans le monde qu’il nous reste à construire.

 2020.07.02_Ubuntu-mains. Le coronavirus réveille l'humain en nous

 

La pandémie de coronavirus nous oblige tous à réfléchir : qu’est-ce qui compte vraiment, la vie ou les biens matériels ? L’individualisme du chacun pour soi, du dos tourné aux autres, ou la solidarité des uns avec les autres ? Pouvons-nous continuer à exploiter, sans autre considération, les biens et les services naturels pour vivre toujours mieux, ou bien prendre soin de la nature, de la vitalité de la Terre Mère et du « bien vivre », qui est harmonie entre tous et avec tous les êtres de la nature ? À quoi a-t-il servi que les pays partisans de la guerre accumulent de plus en plus d’armes de destruction massive, pour maintenant devoir tomber à genoux devant un virus invisible prouvant l’inefficacité de tout cet appareil de mort ? Pouvons-nous pérenniser notre mode de vie consumériste, accumulant une richesse illimitée entre les mains de quelques-uns, au détriment de millions de pauvres et de misérables ? Est-ce que cela a encore du sens que chaque pays affirme sa souveraineté, s’opposant à celle des autres, alors que nous devrions avoir une gouvernance mondiale pour résoudre un problème mondial ? Pourquoi n’avons-nous pas encore découvert la seule Maison Commune, la Terre Mère, et notre devoir d’en prendre soin afin que nous puissions tous y avoir notre place, nature comprise ?

Autant de questions que l’on ne peut éluder.  Et auxquelles personne n’a la réponse. Une chose – attribuée à Einstein – est cependant sûre : « la vision du monde qui a créé la crise ne peut être la même que celle qui nous sort de la crise ». Nous devons nécessairement changer. Le pire serait que tout redevienne comme avant, avec la même logique consumériste et spéculative, peut-être avec encore plus de fureur. Là oui, parce que nous n’aurions rien appris, la Terre pourrait nous envoyer un autre virus qui pourrait peut-être mettre fin à l’actuel projet humain désastreux.

Mais nous pouvons envisager la guerre provoquée par le coronavirus sur toute la planète sous un autre angle, positif cette fois. Le virus nous fait découvrir notre nature humaine la plus profonde et la plus authentique : elle est ambiguë, bonne et mauvaise. Nous en verrons ici la bonne dimension.

Tout d’abord, nous sommes des êtres de relation. Nous sommes, comme je l’ai si souvent répété, un nœud de relations totales dans toutes les directions. Par conséquent, personne n’est une île. Nous jetons des ponts de tous les côtés.

Deuxièmement, nous dépendons par conséquent tous les uns des autres. La compréhension africaine « Ubuntu » l’exprime bien : « Je suis moi à travers toi ». Par conséquent, tout individualisme, âme de la culture du capital, est faux et anti-humain. Le coronavirus le vérifie. La santé de l’un dépend de la santé de l’autre. Cette dépendance mutuelle consciemment assumée a pour nom solidarité. En d’autres temps, la solidarité nous a fait quitter le monde des anthropoïdes et nous a permis de devenir humains, de vivre ensemble et de nous entraider. Au cours de ces semaines, nous avons vu des gestes touchants de véritable solidarité, donnant non seulement le superflu, mais partageant ce que nous avons.

Troisièmement, nous sommes essentiellement des êtres d’attention. Sans soins, depuis notre conception et tout au long de la vie, personne ne pourrait survivre. Nous devons prendre soin de tout : de nous-mêmes, sinon nous pouvons tomber malades et mourir ; des autres, qui peuvent me sauver ou que je peux sauver ; de la nature, qui sinon se retourne contre nous avec des virus nuisibles, des sécheresses désastreuses, des inondations dévastatrices, des événements météorologiques extrêmes ; prenons soin de la Terre Mère afin qu’elle continue de nous donner tout ce dont nous avons besoin pour vivre et qu’elle veuille toujours de nous sur son sol, car depuis des siècles nous l’avons agressée sans pitié. Surtout maintenant, avec l’attaque du coronavirus, nous devons tous prendre soin de nous, prendre soin des plus vulnérables, nous confiner à la maison, maintenir une distance sociale et prendre soin des infrastructures sanitaires sans lesquelles nous assisterons à une catastrophe humanitaire aux proportions bibliques.

Quatrièmement, nous découvrons que nous devons tous être coresponsables, c’est-à-dire être conscients des conséquences bonnes ou mauvaises de nos actions. La vie et la mort sont entre nos mains, les vies humaines, la vie sociale, économique et culturelle. La responsabilité de l’État ou de certains ne suffit pas, il s’agit de notre responsabilité à tous, car nous sommes tous affectés et nous pouvons tous affecter. Nous devons tous accepter le confinement.

Enfin, nous sommes des êtres de spiritualité. Nous découvrons la force du monde spirituel qui constitue notre moi profond, où les grands rêves prennent forme, où se posent les questions ultimes sur le sens de notre vie et où nous sentons qu’il doit y avoir une Énergie aimante et puissante qui imprègne tout, qui soutient le ciel étoilé et notre propre vie, et sur laquelle nous n’avons pas le contrôle total. Nous pouvons nous ouvrir à Elle, l’accueillir, comme dans un pari, avoir confiance qu’Elle nous tient dans la paume de sa main et que, malgré toutes les contradictions, Elle garantit une bonne fin à l’univers tout entier, à notre histoire à la fois sage et folle, et à chacun d’entre nous. Si nous cultivons ce monde spirituel, nous nous sentons plus forts, plus attentionnés, plus aimants, bref, plus humains.

Sur ces valeurs, il nous est permis de rêver et de construire un autre monde, bio-centré, dans lequel l’économie, selon une autre logique, soutient une société intégrée à l’échelle mondiale, renforcée par des alliances affectives plus que par des pactes juridiques. Ce sera la société du soin et de la sollicitude, de la douceur et de la joie de vivre.

Leonardo Boff
avril 2020 – source Koinonia
(Traduction Annie Josse)

 

 

 

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