Résistance et défis des peuples andins

Résistance et défis des peuples andins sur fond de pandémie de COVID-19

Cette pandémie mondiale a mis en lumière de nombreuses réalités dont nous n’étions pas pleinement conscients ou auxquelles nous ne prêtions pas suffisamment attention. Non seulement la faiblesse des institutions publiques, résultat d’une gestion corrompue et inefficace, mais aussi la qualité d’êtres humains que nous sommes.
Nous avons autant fait preuve de bonnes actions de solidarité que mis à nu les intérêts personnels, matériels et utilitaristes de nombreuses personnes, institutions publiques et entreprises. Au vu des résultats, la satisfaction des besoins matériels a prévalu sur la créativité et la responsabilité d’une prise en charge mutuelle pour créer des espaces d’engagements collectifs afin de prévenir la contagion.
Les peuples andins et surtout les zones indigènes ont été, sinon oubliés, au moins relégués par les autorités locales et nationales. Ce fut d’une part, un espace-temps opportun pour montrer leur résistance et, d’autre part, un appel à écouter les défis qu’ils nous présentent.

Résistance et défis des peuples andins sur fond de pandémie de COVID-19

Quelques signes de résistance(1)

Les peuples indigènes traversent plus de cinq siècles de résistance, prenant soin de la terre et du territoire, tissant des cosmogonies et des spiritualités à partir de leurs organisations, cherchant à alimenter ensemble la vie dans toutes ses dimensions. Dans ce contexte surgit un virus importé, qui ôte la vie et nous donne en même temps la possibilité de la réorganiser.

Pour le peuple andin, la COVID-19 a son ajayu (esprit), quand il arrive, il nous faut l’accueillir sans nous en agacer et lui dire au revoir avec amour, lui demander de partir, il nous a déjà fait pleurer, il est temps pour lui de partir vers les collines, vers la mer ; et une fois qu’il est parti, c’est le moment d’être reconnaissant et de se préparer à réorganiser la vie et le cosmos, à accueillir une nouvelle opportunité de vie, un nouveau temps pour le cosmos, pour de nouveaux projets de vie. Sumak kawsay, suma qamaña, bien vivre.

Une bonne partie de la population andine, pendant la période d’urgence nationale, n’a pas changé son quotidien et a continué ses activités agricoles et d’élevage.

Ils ont trouvé comment maintenir leurs fêtes religieuses et familiales et leurs offrandes à la Pachamama(2). Des rites de reconnaissance de la présence aimante et proche de la divinité tout au long de leur histoire. Dans la danse, la musique, la nourriture et la boisson partagées, les relations se renforcent, l’harmonie avec la nature est rétablie, la dignité collective est réaffirmée et l’histoire des peuples est renouvelée.

De même, les diverses organisations, de femmes, de mineurs, etc. ont cherché, de manière créative et solidaire, à s’aider mutuellement à rester en vie. Des coutumes qui répondent à : se sentir bien, penser bien et faire bien ensemble.

Cette situation a surtout permis de recourir à tous les moyens pour empêcher la propagation de la COVID et de prendre en compte l’existence de la médecine traditionnelle. La santé dépend également du soin mutuel que l’on vit avec les différentes plantes cultivables et sauvages. Elles guérissent, tant que nous savons comment nous mettre en relation avec elles pour qu’elles nous donnent leur esprit de guérison, basé sur le respect mutuel, l’affection, la réciprocité et la communication. Non seulement les plantes médicinales, mais aussi la nourriture. Tout cela collabore à une bonne santé : physique et spirituelle, car dans les communautés rurales et le monde andin, la santé est basée sur l’équilibre de tout l’être, sur l’intégralité. C’est ainsi que de nombreuses communautés indigènes se sont préservées et ont guéri de la COVID-19, car elles sont restées fidèles à leurs coutumes.

Défis(3)

Démontrer davantage la capacité de réaction communautaire face aux menaces qui pèsent sur le système mondial.

Renforcer l’esprit de communauté et l’empathie avec les exclus, l’amour de la vie, de la nature, la valeur de la réciprocité.

Renforcer la spiritualité de notre culture ancestrale et de la culture chrétienne qui nous conduit à nous engager dans la défense de la culture, du territoire, de la vie, de la participation aux intérêts qui nous concernent, et des droits des peuples originaires.

Le fait de constater que pendant la période de quarantaine stricte, notre Terre a été plus respectée, nous permet de voir que notre vie humaine irresponsable abuse de l’eau, de l’air, des plantes et animaux, du sol. Cette pandémie est un « cri de la Terre » que nous, les êtres humains, devons entendre et auquel nous devons répondre, en recherchant l’équilibre cosmothéandrique. La santé des personnes dépend de la santé de la terre, de la façon dont nous écoutons la terre et, si possible, de la façon dont nous la défendons. Avoir des rencontres qui guérissent, être des communautés de guérison. Si nous ne défendons pas la Pachamama, il n’y a pas d’avenir.

Face à ce monde occidental individualiste et matérialiste, en ces temps de pandémie, nous ne devons pas nous fermer et voir l’autre comme un danger ; nous devons continuer à renforcer les valeurs andines : l’ayni, la mita, la minka, la wayka(4).

Réinventer une nouvelle communauté, en recréant nos façons d’être ensemble, en optant pour les pauvres et la solidarité, en accueillant la fragilité et la mort de l’être humain dans le cadre de la vie avec la Pachamama.

Vers une spiritualité de la résistance

Il y a une spiritualité de la résistance. Une manière de suivre Jésus qui naît des exclus du pouvoir social, politique et économique actuel ; des personnes qui résistent au modèle économique destructeur, en s’inspirant de leurs expressions religieuses et de sens plurielles. Des communautés qui, au lieu de se résigner à leur « destin« , ont puisé dans leurs propres réalités vulnérables, dans leurs propres entrailles, dans leurs propres rémanences, la force, le courage et la sagesse, non seulement pour affronter la vie, mais aussi pour élever la voix de la protestation et construire des alternatives possibles. Non seulement de manière isolée, mais aussi dans la solidarité et en réseaux : entre différentes confessions, organisations, etc.

Cette spiritualité s’est forgée dans le long processus d’endurance et de ténacité face à l’oppression et à l’oubli. Des communautés qui, conscientes d’être « en dehors » de ce que le monde ou le statu quo voit et prend en compte, ont réagi de manière critique et créative. En gardant à l’esprit leur mémoire et en même temps la conviction d’un appel de Dieu à quelque chose de différent, c’est un cri prophétique de l’Esprit. Une spiritualité holistique et relationnelle par nature, fruit d’une vision du monde et de ses racines profondes, des peuples autochtones qui vivent dans la nature, dont les rites nous font entrer en communication avec la profondeur, la racine, la territorialité que nous sommes : feu-soleil, eau-sang, vent-souffle, terre-corps. Vu ainsi, le monde est un tout et l’être humain est immergé dans ce tout en tant que partie, appelé à vivre avec les autres en harmonie comme l’a rêvé son Créateur. Et, par conséquent, tout ce qui existe a de la vie et est appelé à se relier en amitié vers une communion : Créateurs-créatures/ créatures-créatures.

Une spiritualité qui ne se cantonne pas aux mots, au milieu d’un monde individualiste et consumériste ; mais qui montre son désir de vivre dans la solidarité et le partage. Au milieu de la soif de profit et des monopoles, ils défendent – par leur propre vie – la participation et la justice.

Avec tout cela, c’est une spiritualité où il n’est pas possible de séparer la foi, l’engagement politique, les luttes sociales, la défense des valeurs culturelles, l’harmonie personnelle et relationnelle de chaque être humain. Qu’est-ce, sinon essayer de vivre la Vie en plénitude ?

En Amérique latine, comme le dit si bien G. Vigil(5) : « Nous avons besoin d’une réflexion et d’une spiritualité ecclésiologique qui soit pratique, sereine et critique, adulte et responsable, aimante et en même temps prophétique, qui rende à la grande Église le service de la secouer de sa paralysie face à l’autoritarisme, à la peur et à l’involution« . Là où la prophétie n’est pas un événement individuel mais collectif, n’est pas l’annonce et la dénonciation de « grandes choses » mais le cri de la vie même dans ses multiples besoins, du plus primaire au plus profond. Où, comme poursuit Vigil : il s’agit « d’accompagner non seulement les plus faibles, mais aussi les plus courageux« .

Nous devons nous joindre au chant de Máxima(6) : « Je n’ai pas peur du pouvoir des entreprises. C’est pourquoi je défends la terre, je défends l’eau, parce que c’est la vie. Je n’ai pas peur du pouvoir des entreprises« . Savoir qu’un autre monde est possible et que partout nous construisons une pensée et une pratique où la connaissance théologique des peuples victimes du modèle économique capitaliste de libre marché dialogue avec la connaissance théologique de ceux qui, les pieds sur terre, par leur soutien direct, vital, à partir de leur travail théologique professionnel, s’engagent pour la cause de la défense des territoires et ne légitiment pas le pouvoir dominant qui génère l’exclusion, la pauvreté et la mort.

 

Amparo Alvarado Palacios
Pédagogue et théologienne péruvienne aux racines andines
Septembre 2020
(Traduction Annie Josse)

 

(1) 30e rencontre de Théologie et pastorale andine. Vécus andins en temps de pandémie. (Bolivie-Argentine-Pérou- 1-3 septembre 2020).
(2) Terre-Mère. (N.d.t.)
(3) 30e rencontre de Théologie et pastorale andine. Vécus andins en temps de pandémie. (Bolivie-Argentine-Pérou- 1-3 septembre 2020).
(4) Ayni est une forme d’aide mutuelle reprise des ayllus, type de communauté basée sur la famille élargie. Mita : un système de travail de l’empire inca, qui obligeait les hommes de chaque communauté (ayllu) entre 18 et 50 ans à travailler par roulement, pendant une période donnée, pour l’état. Minka : une ancienne tradition de travail communautaire ou collectif d’utilité sociale. Wayka : « travail en groupe pour le bien commun ».
(5) José María Vigil, Panamá, publié dans la revue : "Nuevamérica" 88 (décembre 2000) 30-35, Rio de Janeiro.
(6) Máxima Acuña de Chaupe, paysanne péruvienne lauréate du Prix Goldman pour l’environnement.(N.d.t.)

 

 

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