Équateur : le projet de pays dont nous avons besoin
Le dimanche 7 février 2021, l’Équateur appelle son peuple aux urnes pour élire son président. Dans un paysage politique très fragmenté, rien n’est joué pour les 16 candidats. Les Communautés ecclésiales de base ont analysé la réalité actuelle du pays.
Lors d’une réunion nationale élargie de leurs coordinateurs provinciaux, les Communautés ecclésiales de base (CEBs) ont analysé la réalité de l’Équateur afin d’avoir une idée du projet de pays dont nous avons besoin. De la réalité de notre pays, nous avons détecté les aspects suivants : d’un côté une hausse catastrophique du chômage et de l’autre une hausse significative des gains des entreprises, banques et affaires internationales, des gains scandaleux en temps de pandémie, où l’accumulation de richesses est une insulte à la pauvreté croissante et aux morts causées par le coronavirus.
Nous dénonçons la trahison du gouvernement actuel, qui a remis le pays entre les mains des plus riches au niveau national et international. Ces groupes ont profité de la situation pour s’enrichir de façon éhontée par la privatisation des biens stratégiques du pays, la corruption flagrante, l’évasion fiscale et la fuite massive de capitaux vers les paradis fiscaux. Le gouvernement a pactisé avec le FMI pour recevoir des milliards de dollars sans faire de travaux nationaux d’envergure mais en payant les intérêts au prix d’une réduction drastique des budgets sociaux tels que l’éducation, la santé et la sécurité sociale.
L’Assemblée nationale, contre la volonté nationale exprimée lors des élections présidentielles de 2017, a adopté des lois qui ont détruit l’institutionnalité de l’État et profité aux puissants, en contradiction avec les droits du travail, les droits humains et les droits constitutionnels. Nous sommes ainsi tombés dans une dictature de la misère matérielle, intellectuelle et culturelle camouflée, manipulés par les grands médias commerciaux qui nous cachent la réalité et justifient la situation désastreuse actuelle de l’économie et de la politique. Un immense rideau de haine s’est élevé contre le gouvernement précédent, basé sur la haine, le mensonge, la persécution, l’emprisonnement et l’exil des opposants et organisations sociales qui dénoncent la terrible réalité du pays.
Dans les propositions des nombreux candidats à la présidence pour les prochaines élections, on constate dans la plupart des partis politiques une absence de programmes gouvernementaux et de mesures qui conduiraient le pays vers une reprise économique, une revitalisation de la production et un renforcement de la dignité nationale. La présentation télévisée de ces binômes présidentiels par le Conseil national électoral ressemblait davantage à l’élection de Miss Équateur, de reines de beauté pour les fêtes nationales de Quito ou de Guayaquil, où les questions superficielles se terminaient en promesses ridicules et impossibles à tenir.
Nous avons besoin d’un nouveau projet de pays basé sur une analyse sérieuse de la réalité actuelle. Les projets du gouvernement doivent être orientés au recul de la faim, de la misère et de la pauvreté qui ont augmenté de 20% en 4 ans et qui accablent plus que la majorité de la population équatorienne. Ils devront affronter la corruption généralisée et le pillage des richesses nationales et des biens communs. L’État doit retrouver sa fonction d’orientation de l’économie et mettre les ressources de l’État au service de la population. L’Assemblée nationale doit être l’écho des besoins les plus pressants de la nation et le gardien des violations des droits des individus et du peuple en général, par les grands groupes financiers du pays ainsi que par les médias nationaux. Les secteurs populaires doivent retrouver un mode de vie et de travail qui leur redonne nourriture, dignité et participation. Nous devons reprendre l’intégration latino-américaine pour nous défendre contre les multinationales et les gouvernements, principalement des États-Unis et de l’Europe, qui ont entrepris une nouvelle colonisation de notre continent. La résistance à ce néocolonialisme est revenue en Bolivie, en Argentine et au Mexique, se poursuit au Mexique, au Venezuela et à Cuba et progresse dans d’autres pays.
Quinze des seize binômes nous cachent la réalité du pays : ils ne cherchent qu’à renforcer leurs intérêts personnels et leurs privilèges de groupe. Leurs propositions démagogiques visent finalement à approfondir les politiques néolibérales du gouvernement actuel. Tous les sondages nationaux et internationaux sérieux confirment que les Équatoriens vont confirmer le vote qui nous a été volé lors des élections de 2017, c’est-à-dire celui de la Révolution citoyenne avec le binôme et les membres de l’assemblée de la liste électorale 1 et 5. Cela apparaît comme la meilleure option pour nous renforcer en tant que pays puissant et digne, rebelle et organisé, plein d’espoir et heureux. Nous reprendrons ainsi la feuille de route que le pape François a tracée dans sa dernière encyclique : Construire la fraternité universelle par la fraternité sans frontières, l’amitié sociale et l’amour politique. Sachons discerner au milieu de tant de ténèbres l’arbre qui a produit de bons fruits, en le cultivant, en le promouvant et en le défendant contre les loups féroces déguisés en moutons dociles.
Pierre Riouffrait
Prêtre du diocèse du Puy
fidei donum à Guayaquil (Équateur)
Février 2021
Lire l'intervention de Guillaume Long, Équatorien d’origine franco-anglaise, universitaire, ancien ministre du gouvernement Correa et du gouvernement Moreno, intitulée Une nouvelle guerre froide en Amérique latine : origines, risques et issues possibles lors de la Journée Amérique Latine 2019.