Rutilio Grande, SJ, défenseur des pauvres, béatifié à San Salvador

Pour avoir régulièrement dénoncé les injustices sociales dont étaient victimes les paysans salvadoriens, Père Rutilio Grande, SJ, fut tué par balles le 12 mars 1977, à 48 ans. Son assassinat inaugure une ère de répression militaire contre l’Eglise catholique, qui visera ensuite son ami, Mgr Óscar Romero (1917-1980), archevêque de San Salvador, canonisé en 2018 par le pape François. Eclairage du Père Alberto Ares Mateos, SJ, directeur de JRS Europe, à l’occasion de la béatification, le 22 janvier au Salvador.

Qui est Rutilio Grande ?

Rutilio Grande est un jésuite salvadorien, un prophète de son temps, fidèle à la Bonne Nouvelle de l’Évangile : comme Jésus, il a annoncé la libération aux plus simples, les paysans salvadoriens qui vivaient une situation de très forte oppression, au début d’une guerre civile. Chemin faisant, il a fait connaître et popularisé les nouveaux enseignements de l’Église, en édifiant une communauté, une Église proche des plus démunis, en dénonçant les injustices, en formant des agents pastoraux et en proposant à tous de s’asseoir ensemble à la même table.

Quels étaient ses liens avec Mgr Óscar Romero, nommé archevêque peu avant son assassinat ?

Rutilio était un grand ami et collaborateur de Mgr Romero. Il existe un vrai consensus sur le fait que Romero s’est converti à une Église incarnée et proche des plus pauvres grâce au témoignage de son ami Rutilio. La mort de Rutilio due à son engagement en faveur des déshérités du Salvador et à sa dénonciation des injustices, a marqué un tournant dans la vie de Romero, qui l’a conduit à engager sa vie aux côtés de la communauté dont il était le pasteur, au point de donner sa vie : « S’ils me tuent, je ressusciterai dans le peuple salvadorien ».

Quelle est l’importance de cette béatification, pour le peuple salvadorien et pour le monde ?

La béatification de Rutilio, en même temps que Manuel Solórzano et Nelson Lemus, deux membres de sa communauté, et le père italien Cosme Spessotto, nous annonce, à mon avis, deux choses très importantes. La première est que l’Église propose comme modèles de sainteté des personnes qui, comme Jésus, ont consacré leur vie à l’annonce de la Bonne Nouvelle aux plus pauvres par amour. Un amour qui les a conduits à donner leur vie. Ce fait est d’une importance capitale pour le peuple salvadorien et pour le monde entier, qui a vécu durant des années dans l’oppression et dans l’oubli. Cette béatification montre que Dieu n’abandonne jamais son peuple. La deuxième, c’est une invitation à suivre leur exemple, à faire communauté, à nous asseoir ensemble à la même table, à annoncer la Bonne Nouvelle, à guérir les cœurs blessés et à proclamer la libération.

Comment cela vous interpelle-t-il, personnellement et en tant que jésuite ?

Je dois dire que Rutilio et Romero sont deux figures qui renforcent et encouragent ma vocation et me rapprochent de Jésus. D’eux j’ai appris à croire et à animer la communauté, à être proche des gens simples qui sont porteurs de la Bonne Nouvelle, j’ai appris l’importance de la formation, de l’annonce de la Parole et de l’incarner en communauté. Il y a quelque chose chez Rutilio et chez Romero qui m’impressionne fortement. Tous deux étaient des hommes fragiles, physiquement et mentalement, avec des périodes d’obscurité et de grande fragilité, et c’est dans cette réalité que Dieu les appelle. Non pas parce qu’ils étaient parfaits ou dotés de super-pouvoirs, plutôt parce qu’à partir de leur faiblesse le Seigneur les a rendus « forts ». Pour nous tous qui ne sommes pas parfaits, c’est une grande consolation de voir que le Seigneur appelle et donne en exemple une personne comme Rutilio. Ce n’est pas parce que nous faisons tout bien que Dieu nous aime, Il nous accueille et nous appelle malgré nos faiblesses et limitations, Il nous fait confiance, Il nous aide, à partir de là où nous en sommes, à faire des pas en avant, à marcher à ses côtés.

Quel message d’espérance pour notre réalité actuelle ?

Rutilio a prononcé une homélie qui fut décisive dans sa vie, car sa proclamation et sa dénonciation l’ont conduit à la mort. Dans ce célèbre « Sermon d’Apopa » (13 février 1977), il dit : « Un monde matériel pour tous, sans frontières. Une table commune avec de longues nappes pour tous. Chacun avec son tabouret. Que pour tous il y ait la table, la nappe et le « conqué1» .
Dans un monde parfois saisi par la peur et désireux de construire des murs, Rutilio nous invite à être généreux et à construire des ponts. Il nous encourage également à édifier la communauté, à marcher ensemble, à créer une table commune, avec de longues nappes qui donnent de la dignité aux convives, une table inclusive, où chacun a sa place, où personne n’est laissé de côté. Une invitation à vivre ensemble avec les déshérités de ce monde, à nous former, à être des prophètes de notre temps, à nous plonger dans la Bible et à lui donner chair dans la communauté.

Propos recueillis par Marcela Villalobos Cid (SNMM), traduits de l’espagnol avec la collaboration d’Annie Josse (SNMM)
[1] « conqué » est un mot de l’espagnol du Salvador qui signifie la nourriture qui accompagne les « tortillas ».

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