Message au peuple brésilien de la 59ème Assemblée Générale de la CNBB
La 59e Assemblée générale de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) a approuvé le traditionnel Message au peuple brésilien. Le texte présente « un message de foi, d’espérance et d’engagement courageux pour la vie et le Brésil ». Les évêques ont rappelé la solidarité pour surmonter la pandémie, ont remercié les familles et les acteurs de l’éducation pour leurs préoccupations dans le domaine de l’éducation, ils ont aussi réfléchi à la situation du pays, dont le cadre actuel jugé « très grave ». Pour les évêques, « le Brésil ne va pas bien ! »
Face à la crise éthique, économique, sociale et politique, complexe et systémique, le CNBB attend des dirigeants qu’ils « promeuvent des changements importants et urgents, en harmonie avec les pouvoirs de la République, conformément aux principes et aux valeurs de la Constitution de 1988 ».
Le message aborde également le processus électoral de cette année [Election présidentielle du 2 octobre 2022, ndlr], enveloppé « d’incertitude et de radicalisme, mais potentiellement plein d’espoir ». Il attire aussi l’attention sur les menaces qui pèsent sur les élections, et renforce l’appel à la démocratie brésilienne.
À la fin du texte, les évêques invitent chacun, en particulier les jeunes, « à se laisser guider par l’espérance et le désir d’une société juste et fraternelle ».
Message au peuple brésilien de la 59ème Assemblée Générale de la CNBB
« L’espérance ne déçoit pas » (Rm 5, 5).
Guidés par l’Esprit Saint et poussés par la Résurrection du Seigneur, unis au pape François, nous, évêques catholiques, dans la communion et l’unité, réunis pour la première étape de la 59e Assemblée générale de la Conférence épiscopale nationale du Brésil (CNBB) en ligne et avec la représentation de divers organismes ecclésiaux, nous adressons au peuple brésilien un message de foi, d’espoir et d’engagement courageux envers la vie et le Brésil.
Nos cœurs sont remplis de joie devant l’explosion de solidarité, qui a marqué tout le pays dans la lutte pour surmonter le fléau sanitaire et social du Covid-19. La solidarité alimentaire, le partage de biens et d’espaces, l’aide aux personnes seules et le dévouement inlassable des professionnels de santé ne sont que quelques exemples des innombrables actions de solidarité. Les professionnels de santé et les agents publics, confrontés à un scénario de peur et d’insécurité, ont été infatigables et résilients. Le Système de santé unifié (SUS) a montré son importance fondamentale et son efficacité pour la protection sociale des Brésiliens. La prise de conscience lucide de la nécessité des pratiques de santé et de la vaccination de masse a permis de surmonter le déni propagé contre les solutions présentées par la science. Cependant, nous n’oublions pas la mort de plus de 660 000 personnes et nous compatissons avec les familles qui ont perdu leurs proches, et nous les portons dans nos prières.
Nous remercions également en particulier les familles et autres agents éducatifs, qui n’ont pas négligé l’éducation des enfants, des adolescents, des jeunes et des adultes, malgré toutes les difficultés. Certes, la pandémie aurait eu des conséquences encore plus dévastatrices, s’il n’y avait pas eu les actions des familles, des éducateurs et des personnes de bonne volonté, et sans un esprit de solidarité et d’altruisme. La Campagne de la Fraternité 2022 nous appelle à poursuivre la lutte pour une éducation complète, inclusive et de qualité.
La grave crise sanitaire a plongé notre pays dans une crise éthique, économique, sociale et politique complexe et systémique, qui nous défiait déjà bien avant la pandémie, faisant exploser l’inégalité structurelle enracinée dans la société brésilienne. Le COVID-19, avant d’en être responsable, a accentué et aggravé toutes ces crises, en particulier dans la vie des plus pauvres et des plus marginalisés.
Le tableau actuel est très grave. Le Brésil ne va pas bien ! La faim et l’insécurité alimentaire sont un scandale pour le pays, deuxième exportateur de produits alimentaires au monde, déjà pénalisé par le taux élevé de chômage et de travail précaire informel. Nous avons regardé avec effroi, mais pas inertes, les négligences criminelles portant atteinte à la terre, notre maison commune. Dans un système vorace « d’exploitation et de dégradation », nous constatons le délabrement des écosystèmes, le non-respect des droits des peuples autochtones, des « quilombolas » (descendants d’esclaves brésiliens insoumis qui se sont libérés et ont créé des communautés autonomes, ndlr) et des riverains, la persécution et la criminalisation des militants socio-environnementaux, la précarisation des actions de lutte contre les crimes environnementaux et les projets parlementaires désastreux contre la maison commune.
Tout cela est le résultat d’une violence latente, explicite et croissante dans notre société. La cruauté des guerres, que nous regardons dans les médias, peut nous laisser anesthésiés et aveugles devant le climat de tension et de violence dans lequel nous vivons à la campagne et dans les villes. Les autorisations et l’avancement de l’exploitation minière dans les terres autochtones et dans d’autres territoires, la facilitation de la propriété et du port d’armes, la légalisation des jeux de hasard, du féminicide et du rejet des pauvres ne contribuent pas à la civilisation de l’amour et nuisent à la fraternité universelle.
Compte tenu de ce scénario, nous espérons que les dirigeants favoriseront des changements importants et urgents, en harmonie avec les pouvoirs de la République, conformément aux principes et aux valeurs de la Constitution de 1988, déjà si défigurée par les projets d’amendements constitutionnels. Ne permettez pas la perte des droits des travailleurs et des pauvres qui sont la grande majorité de la population brésilienne. La logique de confrontation qui menace l’État de droit démocratique et ses institutions, transforme les opposants en ennemis, démantèle les acquis et les droits consolidés, favorise la haine sur les réseaux sociaux, détériore le tissu social et détourne l’attention des défis fondamentaux à relever.
C’est dans ce contexte que nous irons aux urnes cette année. Le scénario est celui de l’incertitude et du radicalisme, mais potentiellement plein d’espoir. Nos choix pour l’élection présidentielle et celles des législatives détermineront le projet de nation que nous voulons. L’exercice de la citoyenneté, avec une participation politique consciente, capable de promouvoir la « bonne politique », comme nous le dit le pape François, est urgent. Nous avons besoin d’une politique salutaire, qui ne se soumette pas à l’économie, mais qui soit capable de réformer les institutions, de les coordonner et de les doter des bonnes procédures, notamment le respect de la Loi Ficha Limpa [sur le casier judiciaire vierge, ndlr], de la Loi complémentaire 135 de 2010, qui interdit l’élection de candidats condamnés par des décisions collégiales, et la Loi 9.840 de 1999, qui criminalise l’achat de votes. Il n’y a pas d’alternative dans le domaine démocratique en dehors de la politique avec une participation active au processus électoral.
Les tentatives de briser l’ordre institutionnel, aujourd’hui propagées ouvertement, cherchent à remettre en question le bon déroulement du processus électoral et la conquête irrévocable du droit de vote. Perturber le processus politique, fomenter le chaos et stimuler les actions autoritaires ne sont pas, en fin de compte, un projet d’intérêt pour le peuple brésilien. Nous réitérons notre soutien aux institutions de la République, en particulier aux fonctionnaires, qui se consacrent à assurer la transparence et l’intégrité des élections.
Deux menaces méritent une attention particulière. La première est la manipulation religieuse, menée à la fois par certains politiciens et par certains religieux, qui met en œuvre un projet de pouvoir sans affinité avec les valeurs de l’Évangile de Jésus-Christ. L’autonomie et l’indépendance du pouvoir civil vis-à-vis des religieux sont des valeurs acquises et reconnues par l’Église et font partie du patrimoine de la civilisation occidentale. La seconde est la propagation de fake news qui, par le mensonge et la haine, déforment la réalité. Porteurs en eux du dangereux potentiel de manipulation des consciences, ils modifient la volonté populaire, affrontent la démocratie et donnent une visibilité frauduleuse à des projets de pouvoir préfabriqués. Un engagement authentique envers la vérité et le respect des résultats électoraux est fondamental. La démocratie brésilienne, encore en construction, ne peut être mise en péril.
Nous appelons toute la société brésilienne à participer aux élections et à voter avec conscience et responsabilité, en choisissant des projets représentés par des candidates et des candidats engagés dans la défense de la vie, en la défendant dans toutes ses étapes, de sa conception à sa mort naturelle. Et qu’aussi ils ne négligent pas les droits humains et sociaux, ni notre maison commune où se déroule la vie. Tous les chrétiens sont appelés à se préoccuper de la construction d’un monde meilleur, par le dialogue et la culture de la rencontre, dans la lutte pour la justice et la paix.
Nous apprécions les nombreux gestes de solidarité de nos communautés à l’occasion de la pandémie et des catastrophes environnementales. Nous encourageons les organisations et les mouvements sociaux à continuer d’unir leurs forces pour la vie, en particulier pour le droit à la terre, à un toit et à un travail. Nous invitons tous les frères et sœurs, en particulier les jeunes, à se laisser guider par l’espérance et le désir d’une société juste et fraternelle. Que Notre-Dame d’Aparecida, patronne du Brésil, nous obtienne de Dieu les bénédictions pour tous.
Brasília – DF, 29 avril 2022.
Mgr Walmor Oliveira de Azevedo, archevêque de Belo Horizonte – MG, Président de la CNBB
Mgr Jaime Spengler, archevêque de Porto Alegre, RS, 1er Vice-Président
Mgr Mário Antônio da Silva, évêque de Roraima, RR, 2ème Vice-Président
Mgr Joel Portella Amado, évêque auxiliaire de Rio de Janeiro, RJ, Secrétaire Général
Traduit du portugais par Pierre Chovet