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Entre terreur et espoir : les élections présidentielles en Colombie

C’est un climat d’extrême tension, de violence physique et verbale, de violations de la Constitution, de menaces de mort à l’encontre du candidat le mieux placé, et même de coup d’État militaire, qui précède le premier tour des élections présidentielles en Colombie, prévu le 29 mai prochain.

Les candidats les mieux placés

Huit candidats se disputent actuellement la Présidence, mais tout semble indiquer qu’elle se jouera entre les deux qui ont le plus d‘avance dans les sondages, Gustavo Petro et Federico Gutiérrez ; le premier est donné gagnant dans tous les sondages, autant au premier tour que lors d’un éventuel deuxième tour, prévu le 29 juin, au cas où il n’obtiendrait pas 50% plus une voix au premier tour. Selon les sondages les plus fiables, Gustavo Petro obtiendrait plus de 40% au premier tour et même près de 45% et Federico Gutiérrez frôlerait les 30% ; le troisième candidat, Rodolfo Hernández, obtiendrait à peine 10% et le quatrième, Sergio Fajardo, 7%, tandis que les autres candidats n’arriveraient pas à 2% chacun. Il est donc possible que Gustavo Petro gagne au premier tour, d’autant plus qu’une grande partie de la population n’a pas encore décidé pour qui voter. Certains analystes estiment préférable qu’il gagne dès le premier tour, car au second tour la plupart des candidats restants s’allieraient pour le battre, bien que cela ne soit pas facile, en raison du discrédit de Gutiérrez et parce que tous les électeurs de droite ou de centre-droit ne le soutiendraient pas.

Gustavo Petro est un social-démocrate qui a une longue histoire dans la politique colombienne : il a été élu plusieurs fois sénateur et a participé à des débats historiques, comme ceux où il a dénoncé les relations de nombreux hommes politiques avec les groupes paramilitaires, auteurs d’innombrables massacres et spoliations de terres, entre autres horreurs, qui continuent à se produire sur le sol colombien ; à la suite de ses dénonciations, au moins trente sénateurs ont été condamnés par la justice. Mais le para-militarisme s’est renforcé sous le gouvernement actuel, qui a nombre de relations directes avec la mafia du narcotrafic, et qui a laissé le champ libre aux militaires et paramilitaires pour qu’ils poursuivent leurs actions, comme l’assassinat de civils innocents. Un autre succès dans la carrière politique de Petro a été son administration comme maire de Bogotá, grâce à laquelle le prix des actions des services publics de la capitale du pays a augmenté, une université et de nombreuses écoles ont été construites dans les quartiers pauvres de la ville ; il a développé des politiques sociales en faveur des éboueurs, des prostituées, des personnes de la rue, des toxicomanes, etc. Il est donc bien connu des quartiers pauvres de Bogotá, qui le considèrent comme leur candidat. Il a développé une politique de désarmement et sa politique de santé comprenait un accompagnement étroit des problèmes de citoyenneté.

Petro est un homme studieux ; comme économiste, il a été récompensé par trois Prix Nobel d’économie et le Français Thomas Piketty est l’un de ses conseillers dans la campagne actuelle, une garantie de plus qu’il développera une politique sociale en Colombie, le quatrième pays le plus inégal au monde selon les statistiques de l’OCDE. Le fait qu’il ait été longuement reçu en audience par le pape François a apporté un soutien incontestable à sa campagne, et peut avoir des conséquences positives sur l’électorat catholique en majorité conservateur, à la faible formation politique et facilement manipulable. C’est de fait cet électorat qui a fait rater le plébiscite pour la paix en 2016. Petro est un écologiste responsable qui propose l’abandon progressif des énergies fossiles et leur remplacement par des énergies propres (solaire, éolien et autres). Son programme de gouvernement vise la construction de « La grande paix », basée sur la mise en œuvre des accords de paix, accords que le gouvernement actuel a essayé de « mettre en pièces » ; le développement de l’économie paysanne et le renforcement de l’industrie nationale qui serait en outre protégée. On note aussi l’importance de sa proposition que tous les Colombiens qui travaillent accèdent à la retraite dans un pays dont seulement 2,5 millions sur 50 millions d’habitants bénéficient.

Gustavo Petro a cependant été l’objet d’attaques répétées, de calomnies et de persécution politique de la part de la grande presse aux mains de ses détracteurs, dans la mesure où sa politique a affecté les intérêts qu’ils représentent. Petro a gagné tous les procès qui lui ont été intentés dans le but d’empêcher sa participation en politique, il a même gagné sur l’État colombien devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, lorsque celui-ci a voulu entériner une sanction qui lui avait été imposée par un procureur général, en violation des principes de droit les plus élémentaires. La grande presse l’a traité de « Castro chaviste », de socialiste, voulant exproprier les riches, voulant installer des personnes sans domicile chez ceux qui ont de la place pour les accueillir. Ses propositions sont dénaturées, on dit qu’il a torturé lorsqu’il était membre de la guérilla M-19, alors qu’on sait qu’il n’a pas tiré un seul coup de feu puisqu’il appartenait à l’aile politique de cette guérilla.

Le gouvernement lui-même, le président en tête, a violé de nombreuses manières la Constitution dans le but de favoriser Gutiérrez. Parmi ces graves violations de la Constitution, citons la dérogation de la « Loi des garanties », qui interdit à toutes les instances de l’État de passer des marchés publics dans les mois précédant les élections, car ceux-ci sont souvent passés pour acheter des voix ; en effet les entrepreneurs, en échange de faveurs de l’État sous forme de contrats juteux, font campagne en faveur du candidat du gouvernement ; suite à l’abrogation de la loi sur les garanties, 600 000 contrats ont été attribués à ce jour ! Jusqu’à il y a quinze jours, le président était intervenu 32 fois en public pour attaquer le candidat Gustavo Petro.

Danger de coup d’État

Le plus grave, c’est peut-être l’intervention politique du commandant des forces armées lui-même pour attaquer Petro qui s’était référé à « quelques généraux » à la solde d’organisations paramilitaires. Cette affirmation de Petro repose sur de nombreuses sources : de nombreux officiers, au moins 6 généraux et beaucoup de policiers, sont payés par la mafia du narcotrafic et travaillent pour elle ; c’est en cela que consiste justement le para-militarisme présent dans 216 municipalités et 37% du territoire et qui est l’expression de l’alliance entre des secteurs de l’État, de son armée et la mafia, pour combattre les forces d’opposition, pour permettre et développer le narcotrafic, pour déplacer des communautés de territoires où l’on va mettre en œuvre des macro-projets miniers ou agro-industriels pour spolier les terres de paysans, indigènes et afro-descendants. La Constitution interdit aux militaires de s’ingérer dans les affaires politiques, mais l’intervention du commandant de l’armée a été soutenue par le gouvernement et les associations d’entreprises. Un certain nombre d’analystes pensent que, vu la crainte de l’extrême droite d’un éventuel triomphe de Gustavo Petro, il y a un réel danger de coup d’État ; le président a récemment augmenté les salaires des policiers et accru leurs nombreux privilèges. Sous ce gouvernement, des dizaines de jeunes et de citoyens ayant participé au soulèvement social de 2019 ont été assassinés ou poursuivis en justice. Sous ce gouvernement, qui concentre entre ses mains tous les organes de contrôle (bureau du procureur de la République, bureau du contrôleur général de l’État), des centaines de leaders sociaux et 353 ex-combattants des FARC qui respectent les accords de paix ont été assassinés, les journalistes d’opposition ou ceux qui enquêtent sur les atrocités commises par les forces armées sont persécutés et harcelés ; et pour couronner le tout, des corps démembrés et des jeunes décapités sont réapparus dans les rues et les champs ; des crimes horribles qui, comme la grande majorité de ceux qui sont commis dans le pays, restent impunis.

Risque réel d’assassinat de Gustavo Petro

Un projet d’assassinat de Petro, qui serait exécuté par un groupe paramilitaire appelé « la cordillera », dirigé selon certaines sources par « Matamba », chef paramilitaire du « Clan du Golfe » (le groupe paramilitaire le plus important du pays) a été récemment dévoilé. Incarcéré à la prison la Picota à Bogotá, Matamba s’est évadé. L’assassinat des candidats d’opposition à la présidentielle est une constante dans l’histoire colombienne : 5 candidats de partis d’opposition : Jorge Eliécer Gaitán, Jaime Pardo Leal, Bernardo Jaramillo, Carlos Pizarro, Luis Carlos Galán, ont été assassinés par le passé, ainsi que des milliers d’opposants politiques.

Le principal adversaire de Petro dans la course à la présidence, Federico Gutiérrez, est soutenu par tous les clans politiques liés à la mafia, par les milieux d’affaires qui lui ont donné des milliards de pesos pour sa campagne et par le parti d’extrême droite, le centre démocratique, dirigé par l’ancien président Álvaro Uribe Vélez, qui sera bientôt jugé par le parquet, accusé de corruption et de fraude. Personne ne s’attend cependant à ce que le bureau du procureur le condamne, étant donné que le procureur général a donné de nombreuses preuves de ses liens avec l’ancien président. L’ancien secrétaire à la sécurité de Gutiérrez, lorsque ce dernier était maire de Medellín, est actuellement en prison pour ses liens avec les gangs criminels de la deuxième ville du pays. Sinon, il suffit de dire que son programme favorise les plus nantis : il n’ose même pas augmenter leurs impôts, comme les autres candidats le proposent.

Des bases solides pour l’espoir

Malgré l’horreur qui règne dans le pays, et en dépit de la douloureuse constatation que de nombreux secteurs de l’État ont été cooptés par la mafia narco-paramilitaire, il existe suffisamment de raisons d’espérer. Lors des élections législatives du 13 mars dernier, le « Pacte historique », coalition de forces politiques de gauche et de mouvements et organisations populaires, a obtenu la plus grande représentation au Sénat et un bon nombre de représentants à la Chambre des députés. Jamais auparavant un tel résultat n’avait été atteint en Colombie. Le « Pacte historique » ne représente pas une force de gauche mais la politique de la vie, la politique de l’amour. La présence en son sein de femmes internationalement reconnues pour leur travail de défense de l’environnement ou des intérêts des pauvres, comme Francia Márquez, femme noire et candidate à la vice-présidence, ainsi que la présence de grands défenseurs des droits de l’homme, d’organisations indigènes et de défenseurs des accords de paix, est une garantie que le « Pacte historique » et ses candidats à la présidence et à la vice-présidence ont le caractère et la clarté nécessaires pour promouvoir les réformes sociales, politiques et économiques dont la Colombie a besoin. L’espoir grandit en Colombie et, quoi qu’il arrive lors des élections, il ne sera pas déçu.

José Fabio Naranjo (6 mai 2022)

Militant pour la paix à Medellin et correspondant en Colombie de Carta OBSUR

Traduction Annie Josse (SNMM)

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