La Semaine Sainte au Guatemala, patrimoine culturel immatériel de l’humanité

Originaire de la ville de Guatemala, capitale située dans le centre du pays, le Père Carlos Lopez, SJ, est né dans une famille très religieuse. Ordonné prêtre en 2016, il vit en France depuis cinq ans et fait des études au Centre Sèvres. Il partage ses souvenirs de la Semaine Sainte au Guatemala et analyse ces expressions de religiosité populaire.

« Au Guatemala, la Semaine Sainte touche toutes les dimensions de la vie, pas seulement religieuse, explique le jésuite guatémaltèque. Pendant le Carême puis la Semaine Sainte, tout change. Comme ici au printemps, cela commence avec les arbres en fleurs, le retour de la chaleur (autour de 28°C) et une nourriture différente… »

Des processions ont lieu dès le lendemain du Mercredi des Cendres, jour d’entrée en Carême. C’est l’image d’un Christ qui porte sa croix qui défile dans les rues, accompagnée par un véritable cortège. Il explique que cette « manifestation de foi » se produit « après chaque dimanche de Carême ».

« Quand je pense aux processions, je pense aux confréries et aux pénitents. Ceux-ci portent un vêtement caractéristique. Pour eux, marcher aux côtés d’une image de dévotion signifie qu’ils font un sacrifice, une offrande, une demande ou encore une action de grâce ». Certains pénitents marcheront dix heures, le visage masqué, les bras en croix… « On voit ça plutôt à l’intérieur du pays, pas en ville » précise-t-il.

Ceux qui portent l’image sur un trône processionnel – parfois long de plusieurs mètres – revêtent aussi un habit particulier. On les appelle « cucuruchos » (« cônes »). Les musiciens composent et jouent des « marches funèbres » pour accompagner les cortèges.

Le père Carlos se souvient aussi des odeurs typiques de la Semaine Sainte. Certaines plantes, comme le « corozo » au parfum très fort, fleurissent à cette époque-ci. « On sait que la Semaine Sainte est proche quand on sent cette fleur dans les rues et les églises ».

« Christ a souffert pour nous : on marche avec lui dans notre vie »

Les rues empruntées par les processions sont décorées par des tapis (« alfombras »), en copeaux et sciure de bois. Ils sont peints de différentes couleurs pour réaliser toutes sortes de motifs. On y ajoute aussi des fleurs.

« Au Guatemala, la Semaine Sainte impacte la vie religieuse mais aussi la vie de tous les jours, la vie elle-même donc la culture » analyse-t-il. En effet, à cette époque, les Guatemaltèques servent des plats spéciaux. La morue est ainsi le poisson traditionnel de Pâques. On prépare aussi des desserts sucrés, comme les « torrijas », qui rappellent notre pain perdu mais il est frit puis saupoudré de sucre et de cannelle. Des plats riches et consistants pour donner « de la résistance » pendant les processions.

Le prêtre souligne que cette expression de religiosité populaire est davantage le fait des fidèles laïcs réunis en confréries (« hermandades ») que des clercs, même si les images de la Passion appartiennent à une paroisse. Une procession ressemble des fidèles de toute condition sociale, cependant il est vrai que certaines confréries ont été liées à des familles, certaines aisées, d’autres plus modestes.

Pour Carlos, dans la ville de Guatemala, deux images sont représentatives de la rencontre culturelle entre la dévotion catholique apportée par les Espagnols et l’appropriation culturelle de la part des Indigènes au XVIème siècle : « Jesús de la Merced » (« de la Miséricorde », du nom de la paroisse où le jésuite a été ordonné) et « Jesús de Candelaria » (« de la Chandeleur », d’une autre paroisse). L’une sort le Jeudi saint, l’autre le Vendredi saint. « Le Christ du Jeudi saint a la peau mate, comme les Indigènes, tandis que sa peau est plutôt blanche, comme les Espagnols, sur l’image du Vendredi », note-t-il. Des registres font état de processions dès le XVIème siècle. L’image la plus représentative du Guatemala comptabilise 300 ans de dévotion publique.

Il existe toujours des processions pour la Semaine Sainte dans le Sud de l’Espagne, à Séville, par exemple. Celles du Guatemala résultent d’une fusion avec la culture locale grâce à la musique, les images de la Passion, la nourriture, etc.

Un patrimoine à transmettre

« Ma famille était très liée à deux images de la Passion, se souvient-il. Le Lundi saint, nous participions à la procession d’un Christ que plusieurs membres de ma famille avait porté. Je l’ai fait aussi avant d’entrer dans la Compagnie de Jésus. Nous passions la matinée dans les lieux où la procession passait. Ensuite, nous allions manger tous ensemble dans un parc ». Une fête dans la fête !

Les familles ont le souci de transmettre ce patrimoine aux plus jeunes. Le jésuite évoque des processions pour les enfants, avec des images miniatures, pour leur en donner le goût.

« Pendant la Semaine Sainte, poursuit-il, nous avions aussi la tradition de faire un pèlerinage de plusieurs jours en famille, au sanctuaire du Christ Noir d’Esquipulas, un peu éloigné de la capitale ».

« Maintenant que je suis prêtre, mon regard est plus éclairé sur les dévotions populaires qu’on peut trouver dans le monde. Au Guatemala, la Semaine Sainte exprime la sensibilité religieuse très forte de ce pays. Les manifestations de foi ont trouvé une place. D’un autre côté, l’identification des fidèles aux images de la Passion révèle les souffrances d’un peuple qui doit affronter beaucoup de défis et de limites. S’identifier au Christ crucifié donne de la force et de la paix, dans un pays dont on pourrait dire qu’il y a beaucoup de pauvreté et de gens qui souffrent. La religiosité populaire est une manière simple et authentique de vivre sa foi, de montrer ce qu’on est, avec sa culture, et Celui en qui on croit. On prie le Chemin de croix avec l’image et cela nous porte ».

Par ailleurs, la Semaine Sainte impacte aussi les autres confessions chrétiennes, notamment les Eglises évangéliques. Et de nombreux touristes font le déplacement. De nos jours, on peut suivre en direct et en ligne les festivités. « Les processions ont souvent lieu le matin mais avec 8 heures de décalage horaire, c’est bien », conclut malicieusement le Père Carlos Lopez, SJ.

Claire Rocher (SNMM)

« Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Apocalypse 21, 5)

« Le temps du Carême et de Pâques n’est pas seulement le souvenir de quelque chose du passé mais c’en est plutôt « la mémoire ». Pendant le Carême, on peut s’arrêter un peu, prendre du recul sur sa vie et voir comment le Salut de Dieu, mort et ressuscité pour nous, n’est pas une chose pour hier mais pour aujourd’hui. Il y a peut-être des choses à changer dans ma vie, des choses que je peux faire autrement. Dieu est en train de faire des choses nouvelles dans notre vie, dans notre société ! »

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