Équateur : rêver d’harmonie

Le p. Pierre Riouffrait, originaire du Puy-en-Velay, fidei donum en Équateur depuis plus de quarante ans, est témoin de la dégradation politique, économique et sociale du pays, ces dernières années et nous invite à rêver d’harmonie.

Quito, capitale de l’Équateur

C’est presque tout ce qu’il nous reste dans cet antre de corruption, de violence et de morts qu’est devenu l’Équateur. Nous pensions qu’avec l’ancien président Moreno nous avions atteint des sommets. Mensonge ! Guillermo Lasso le dépasse largement… Nous sommes aussi sidérés par l’indifférence générale : « Tant que ça ne me touche pas, ce n’est pas grave ». Nous croyions que le vote massif du 5 février dernier[1] contre le président et sa gestion – ou plutôt son absence de gestion de l’État – allaient le renverser… mais là non plus il ne se passe rien et l’hôte du palais de Carondelet[2] est toujours aussi fort et accumule de plus en plus de profits. Notre démocratie ne fonctionne pas car nous votons dans les urnes mais nous ne contrôlons pas ni ne faisons respecter notre vote. Il n’y a pas de véritable décision citoyenne de s’organiser contre les problèmes qui nous affectent : nous attendons que d’autres le fassent. Nous n’avons pas compris que si le problème est le nôtre, la solution l’est aussi. Nous préférons laisser les Indigènes manifester et y laisser leur vie. Au train où nous allons, la violence, les meurtres commandités, les morts, les extorsions et les larmes vont augmenter, malheureusement.

Nous rêvons d’harmonie : est-ce vrai ? Ou continuons-nous à rêver d’individualisme, de tranquillité égoïste, d’argent facile ? Dans ce cas nous méritons ce qui nous arrive. Si nous existons, c’est pour un projet de vie et non de mort. Tant que nous ne découvrirons pas cela, la dure réalité va continuer et progresser en perversion : l’enfer, c’est nous qui le faisons et le permettons entre nous. Lorsque nous cessons de nous soucier les uns des autres, nous favorisons sa croissance. Le mal existe : il faut le combattre, car il est comme une mauvaise herbe, sinon il se multiplie sans limite.

L’autre problème, c’est que nous avons laissé de côté la spiritualité et la mystique : nous les avons laissé mourir dans notre conscience et notre identité. Nous vivons comme des animaux et pire que des animaux. Le matérialisme individualiste, c’est-à-dire se borner à manger, dormir et voler, dessèche l’âme et fait de nous des zombies sans savoir ce que nous sommes, pourquoi nous vivons ou pourquoi nous existons. Souvent, nous blâmons la religion et un dieu inventé pour satisfaire notre vide.

Nous avons cessé d’admirer, de reconnaître et d’écouter les sages d’hier et d’aujourd’hui ; mais nous suivons les mauvais clowns de la télé qui encouragent nos pires déviations et ceux des chats, Facebook, Tik Tok, Instagram et autres virtualités et nous prenons nos fantasmes pour des réalités fascinantes. Nous avons cessé de nous appartenir pour obéir à de nouveaux démons qui veulent voir le mal proliférer pour accroître leurs intérêts, leur pouvoir et leur notoriété. Nous sommes les esclaves complices de notre propre mal et nous restons dans cet enfer bien réel.

Rêvons d’harmonie !… Ayons cette « folie », car c’est notre identité profonde et notre destin commun. Cessons d’interpréter la création du monde comme un paradis perdu : Ce sont des histoires pour bercer les enfants. Et découvrons qu’il ne s’agit pas de notre origine, mais de notre fin définitive et du but à atteindre… car nous sommes faits par l’harmonie et pour l’harmonie. Les satellites qui parcourent l’univers infini nous transmettent leurs photos, surprenantes de beauté et de mystère. Ils nous permettent de comprendre que la création continue et qu’elle est aussi notre tâche. Nous sommes dans une création permanente par la force de vie et d’amour qui nous habite : c’est la spiritualité, c’est-à-dire « l’esprit » qui nous anime de l’intérieur.

Malheureusement nous n’aimons pas le silence, la méditation ni la contemplation. Nous préférons les activités rentables, matérialistes, individuelles et égoïstes et ainsi nous éteignons le feu qui nous éclairerait pour sortir de notre médiocrité humaine. Parce que la première harmonie est avec nous-mêmes, avec la sagesse de vie et d’amour qui traverse tout notre corps. Nous sommes faits pour nous connecter avec la part la plus intime et la plus vivante de nous-mêmes, ce potentiel humain qui nous fait vivre, afin de l’éveiller, de le cultiver, de le multiplier pour trouver et vivre le bonheur, c’est-à-dire la paix intérieure que rien ni personne ne peut nous enlever.

La deuxième harmonie est avec les autres. Nous sommes tous humains, nous sommes tous égaux, nous sommes tous du même sang, nous sommes tous une même unité de vie et de fraternité. Ce n’est qu’ainsi, en communiquant, en apprenant à nous connaître, en nous respectant, en nous soutenant, en partageant, en nous aimant, que nous atteindrons la communion dont nous avons besoin pour nous aider à vivre heureux les uns avec les autres, les uns par les autres. Quand nous y déciderons-nous ? Eh bien, cela ne dépend que de nous.

La troisième harmonie est avec la nature, car sans elle ou contre elle, nous ne pouvons ni vivre ni survivre. Nous sommes déjà conscients des catastrophes naturelles auxquelles nous serons confrontés si nous ne la respectons pas ou ne nous en soucions pas. Elle est vraiment notre première Mère, car nous en venons, nous en vivons et c’est vers elle que nous allons. Tant que nous vivons, nous devons nous reconnecter et entrer dans cette matrice universelle qui nous permet de respirer, de manger, de guérir et de nous sentir possédés par la vie et l’amour qui sont les deux piliers de la nature elle-même et de l’univers entier. « Nous sommes de la poussière d’étoiles », mais de la « poussière » vivante, immortelle, éternelle. Comme nous sommes analphabètes si nous n’avons pas commencé à nous en rendre compte ! C’est pourquoi nous sommes « perdus comme des chiens au milieu d’une procession » !

La quatrième harmonie est notre relation avec Dieu. Souvent nous cherchons Dieu là où il n’est pas, quand nous voulons le trouver seulement dans le ciel inventé avec des milliers et des milliers de détails merveilleux et inexistants, ou seulement dans le temple comme si Dieu se laissait enfermer entre quatre murs de pierres ou de ciment, ou seulement dans la prière quand nous prions pour nos besoins inutiles et nuisibles… au lieu de contempler Dieu en chaque personne et en nous-mêmes, de le reconnaître dans les appels de la nature et des événements, dans le cri des pauvres et la beauté des enfants. Ce Dieu qui nous habite ou plutôt en qui nous habitons… et que nous ne reconnaissons pas car il est trop proche et intime de nous-mêmes. Mais nous sommes occupés par des choses si importantes que… nous mourrons avant d’avoir vécu. Et peut-être atteindrons-nous « les 7 harmonies » du fugitif Jamil Mahuad[3] !

 

Pierre Riouffrait (diocèse du Puy)
Fidei donum à Guayaquil (Équateur)
(Traduction SNMM)

 

[1] Un référendum constitutionnel à questions multiples sur huit amendements relatifs à la sécurité, l’organisation des pouvoirs publics et l’environnement. L’ensemble des propositions sont rejetées, ce qui constitue une sévère défaite pour Guillermo Lasso.

[2] Siège du gouvernement et résidence officielle du président de la République.

[3] Président équatorien renversé par un putsch militaire en 2000.

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