Colombie : Pertinence de Gustavo Petro pour le monde et pour l’Église
José Fabio Naranjo, journaliste à Medellin (Colombie) passe ici en revue les raisons pour lesquelles le président colombien Gustavo Petro Urrego est incontestablement devenu une figure internationale majeure. Elles sont pour lui de deux ordres : ses propositions et son autorité morale.
Échanger la dette extérieure contre la protection de la nature
Tout d’abord, sa proposition de remplacer la dette extérieure par la protection de la nature s’attaque simultanément à deux fléaux de l’humanité, étroitement liés, à savoir l’extrême pauvreté et la destruction de la nature. La dette extérieure, qui n’a pas toujours été contractée dans des conditions éthiquement claires, représente pour de nombreux pays en développement un lourd fardeau ; la proposition du président Petro permettrait à ces pays de consacrer ces ressources à la lutte contre la pauvreté. D’autre part, nombre de ces pays disposent de ressources naturelles indispensables à la survie de l’humanité : si l’on continue à les détruire au rythme actuel, elle ne survivra pas au-delà de quelques décennies ; obtenir de leurs gouvernements et de leurs sociétés un engagement ferme de sauvegarde des forêts et des océans est une priorité que l’on peut qualifier de gagnant-gagnant.
Politique en matière de drogues (coca, marijuana)
Deuxièmement, sa politique anti-drogue ne s’attaque pas au cultivateur mais au financier, à la chaîne des intrants pour la production, aux laboratoires. Le gouvernement de Petro a saisi deux fois plus de tonnes de cocaïne que n’importe quel autre gouvernement et selon un critère écologique il refuse l’utilisation du glyphosate pour fumiger les champs de coca. Il opte pour l’abandon volontaire de la culture par les paysans en échange des alternatives économiques proposées par le gouvernement.
Étant donné que la production de coca est indéniablement liée à la demande de cocaïne, notamment dans les pays développés, le président Petro montre que cette réalité révèle un problème profond dans ces sociétés ; ce problème qui pousse tant d’Européens et de Nord-Américains à consommer de la drogue n’est autre que le manque d’amour. L’individualisme, le dieu argent… ces « valeurs » ne conduisent pas au bonheur ; seul l’amour le fait.
Critique du néolibéralisme…
Troisièmement, sa critique du néolibéralisme, première cause de la détérioration du climat et de la pauvreté de milliards d’êtres humains, est très profonde. Il a clairement déclaré à la clôture du Sommet mondial des banques que « la crise climatique a été provoquée par la croissance cumulée du capital par le profit ». Petro reconnaît avec sincérité qu’il n’y a pas d’alternative claire au néolibéralisme ; la social-démocratie est la plus acceptable ; cependant dans de vastes territoires et pays il faut intégrer « l’économie populaire » et les mouvements populaires, avec leurs projets, dans l’activité économique globale.
Pertinence pour l’Église catholique
Quatrièmement, il est très important pour l’Église catholique qu’un président dise que sa politique s’inspire de la pensée du Pape François : « Terre, Toit et Travail » est le mot d’ordre que le Pape a proposé conjointement avec les mouvements populaires du monde et le gouvernement colombien déploie des efforts considérables pour qu’il devienne une réalité pour les millions de paysans, indigènes et afro-descendant spoliés de leurs terres ; de fait, à ce jour, plus de 1 600 000 hectares ont été titrés, remis ou restitués et le chômage a diminué pour le cinquième mois consécutif. La proximité indéniable du président Petro avec le Pape François, ainsi que le soutien lucide du Pape au processus de recherche de la paix en Colombie, ont contribué à ce que l’Église colombienne apporte une réelle contribution aux différents processus dans diverses régions du pays.
La recherche de la « Paix Totale »
Le président Petro s’est engagé dans la réalisation de la « Paix Totale », processus plus que complexe qui avance par des négociations ou des processus de dialogue sociojuridique simultanés avec au moins 18 groupes, si l’on compte les gangs urbains avec lesquels on dialogue dans 3 villes. La nouveauté de ce processus est qu’il se base sur le dialogue, et qu’il a résolu jusqu’à présent de multiples tensions sociales, sans que l’État fasse usage de la force armée. Cette « méthodologie » dans laquelle on cherche à faire place à la Paix par des politiques de justice sociale et dans laquelle la parole et la participation de la société sont les instruments privilégiés, renforcerait les positions de ceux qui dans le monde restent convaincus que la parole, la négociation politique, les accords multilatéraux… sont les voies les plus humaines pour aboutir à la paix.
Pertinence et soutien international
Le soutien des États-Unis à pratiquement toutes les politiques du gouvernement a été remarquable ; le dialogue entre les deux gouvernements est profond et fluide ; de même l’UE et en particulier l’Allemagne et la France soutiennent effectivement, financièrement, la politique de paix et la politique vers la transition énergétique. Le leadership international de Petro a été confirmé lors du troisième sommet des chefs d’État et de gouvernement UE-CELAC 2023, au cours duquel la Colombie a été désignée à la présidence pro tempore de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) et choisie pour accueillir le quatrième sommet UE-CELAC en 2025.
Du point de vue politique Petro est un leader du « progressisme » dont font déjà partie plus d’une dizaine de dirigeants d’Amérique latine et parmi eux quelques-uns de poids comme le Brésil et le Mexique, mais aussi le Chili, l’Argentine, la Bolivie, le Honduras, entre autres, et où reste à confirmer le Guatemala, où l’extrême droite tente par un coup d’État de nier sa défaite retentissante aux élections présidentielles. Petro a déjà participé à deux Forums de dirigeants progressistes alors que le progressisme élève une voix toujours plus forte face à divers problèmes.
Cette convergence politique est bénéfique pour l’environnement et particulièrement pour l’Amazonie, territoire dont les présidents Petro et Lula du Brésil sont bien conscients de l’importance stratégique, eux qui ont clôturé une conférence scientifique pour sauver la forêt amazonienne rassemblant plus de 600 experts et ministres de l’environnement, à Leticia en Colombie.
Il est à noter que les dirigeants progressistes assisteront au sommet du G77 + Chine à Cuba. On le sait, ce grand groupe de pays représente près de 80 % de la population mondiale et les deux tiers des pays membres des Nations unies y seront représentés les 15 et 16 septembre. L’accent sera mis sur la science et la technologie au service du développement, mais l’environnement, l’ordre économique mondial et la guerre en Ukraine seront certainement à l’ordre du jour. La présence de la Chine accroît les attentes quant aux résultats de ce sommet, et le progressisme mondial pourra exercer une plus grande influence sur les graves défis auxquels l’humanité est confrontée aujourd’hui. C’est précisément dans ce scénario que le président Petro cherchera à faire avancer sa proposition d’une gouvernance financière mondiale plus inclusive, plus représentative et plus efficace, permettant de jeter les bases d’un nouveau pacte financier international qui aide en particulier les pays les plus vulnérables à atténuer les effets de la crise climatique et à s’y adapter. Cette proposition s’inscrit dans le cadre de l’appel déjà lancé par le président en faveur d’une économie sociale décarbonée, à travers un « Plan Marshall mondial ».
Disons pour conclure que les propositions du président Petro ont une grande audience mondiale parce qu’elles se fondent sur une base morale sans laquelle toute proposition perd sa légitimité. La force morale de Petro, c’est son parcours de vie, son engagement dans la lutte pour la justice sociale, son amour des pauvres, son sérieux et sa profondeur académique, les persécutions que lui et sa famille ont subies à cause de leur lutte contre la corruption, lutte dans laquelle l’accompagne depuis longtemps son actuel ministre de la Défense, Iván Velásquez Gómez, lui aussi reconnu comme un phare moral au niveau national et international. Nombreux sont les universitaires et dirigeants du monde qui s’accordent pour dire que le président Petro et son gouvernement se soucient véritablement de la justice sociale, de l’environnement, de la lutte contre la corruption et pour la paix, et qu’ils mettent en place des politiques et des actions pour y parvenir. Ils méritent donc d’être soutenus.
José Fabio Naranjo 15 septembre 2023
(Traduction SNMM)