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hommage au P. Gustavo Guttiérez, père de la théologie de la Libération

Gustavo Guttierrez

Le théologien péruvien Gustavo Gutiérrez à l’origine du mouvement de la théologie de la libération est décédé à l’âge de 96 ans, le 22 octobre 2022. Portraits et témoignage.

Gustavo Guttiérez est considéré comme le père de la théologie de la libération. Ce qualificatif est sans doute excessif car ce courant est à la fois pluriel et transnational dès ses origines. Mais dans son ouvrage phare Teología de la liberación : perspectivas publié en 1971, le prêtre de l’archidiocèse de Lima – dont la formation a été transatlantique – a su saisir et synthétiser tout un ensemble de réflexions et de pratiques pastorales qui émergeaient en Amérique latine à la fin des années 1960. La clarté de son style, la richesse des références mobilisées et la pertinence de ses mises en perspectives, en phase avec le christianisme de libération de son temps, c’est-à-dire le mouvement social qui a suscité la réflexion proprement théologique, en fait un acteur central de l’Amérique latine du second XXe siècle. Longtemps décrié à Rome pour sa proximité supposée avec le marxisme, progressivement réhabilité, il a incarné en Europe le visage d’une Église qui serait plus authentique, dans laquelle la protestation et plus généralement le langage du politique ne sont pas tus mais au contraire discutés et présentés comme de nouvelles perspectives.

Les prêtres, religieuses et laïcs français qui sont partis avec le Comité épiscopal France – Amérique latine dans les années 1960-1990 ont, pour la grande majorité d’entre eux, été marqués par la théologie de la libération, même s’ils n’ont pas nécessairement lu Guttiérez dans le texte. Son nom était un étendard, comme la conférence de Medellín (1968). Leurs engagements sur le terrain social et au milieu des communautés qu’ils animaient témoignent d’idéaux que Gustavo Guttiérez a rendus à la fois visibles dans la sphère publique et fondés théologiquement : la solidarité avec les « classes exploitées » qui n’est pas assistanat ou charité, ou le rôle de l’Église dans un processus de libération qui n’est pas seulement spirituelle mais inscrite dans l’histoire, ici et maintenant.

Olivier Chatelan,
Responsable du master « Sciences des religions et sociétés » pour l’Université Lyon 3,
Membre élu au Conseil du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA UMR 5190),
Délégué du Pôle sud-est du GIS Institut des Amériques,

 

le Père Hubert Boulangé, prêtre fidei donum vit depuis plus de 40 ans à Lima au Pérou Il témoigne de sa rencontre avec le P. Gustavo Guttierez.

L’avez-vous connu personnellement ?

La première fois que j’ai rencontré Gustavo Gutierrez, c’était pour la messe de Noël 1985. Ce qui m’a immédiatement touché et qui s’est renouvelé á chacune de nos rencontres, c’est que Gustavo était un curé de paroisse. Il sait écouter, il manifeste un intérêt pour chaque personne, il a le mot qui montre sa proximité et son amour. Sa présence avec les enfants, les anciens, les exclus de toutes sortes, fait de lui, un pasteur attentif.

Cette attitude d’écoute lui permet de faire de la théologie. Cela veut dire que sa théologie vient de la vie et plus particulièrement de la vie des pauvres.

Comment, selon vous, la place de la théologie de la Libération s’inscrit-elle encore aujourd’hui en Amérique latine ?

Si on fait de lui le « père de la Théologie de la Libération », c’est que sa théologie vient de la vie des gens et de sa prière en Église. Théologien, parce que pasteur : la paroisse et les mouvements, accompagnés d’une profonde spiritualité biblique dans la prière, lui permettent d’animer un immense réseau de réflexion théologique.

C’est dans cet esprit qu’il a conçu les « sessions de théologie » destinée à un public très large, venant de paroisses et de mouvements. Comme simple curé, avec les laïcs, j’étais donc associé à la recherche théologique.

Naturellement dans l’Église en Amérique latine, à dominante conservatrice encore marquée par le colonialisme du Nord, cette démarche questionne les modèles économiques. Si une part de la société sombre dans la pauvreté, alors qu’une autre partie profite égoïstement des ressources de la création, cela questionne toute la société. Si la pauvreté des uns est la conséquence du péché des autres, c’est ce péché qu’il faut dénoncer. Ce questionnement intervient en même temps qu’un déferlement de dictatures, qui provoquent une gigantesque vague révolutionnaire dans cette partie du continent profondément chrétien.

L’ouverture de la Doctrine Sociale de l’Église stimulée par le Concile Vatican II (1962-65), n’empêchera pas qu’un certain esprit, présent même à Rome, ait cru bon de condamner la Théologie de la Libération en même temps que les élans révolutionnaires. D’autres au contraire ont compris que cette réflexion théologique, plaçant le Christ au centre, est certainement ce qui a évité à l’Amérique latine de sombrer dans un marxisme inconséquent.

La christologie issue du Concile, et travaillée lors des assemblées de Medellin (1968), Puebla (1979) et plus particulièrement Aparecida (2007) ont vraiment confirmé cette ouverture. N’oublions pas que le synode actuel, a pris source dès 2019 en Amérique latine !

La chrétienté traditionnelle en Amérique latine, tourne le dos aux cris de l’esclavagisme moderne. En cela elle se retrouve dans la mouvance des courants évangélistes souvent fondamentalistes, alors que l’humble publicain (Luc 18, 9-14), dans son réalisme, sait que Dieu seul peut le sauver. Il marche déjà dans une synodalité libératrice, parce qu’il assume sa condition de pécheur, et reconnait la miséricorde de Dieu.

Quel héritage laisse-t-il derrière lui ?

La théologie de la Libération rappelle qu’on ne va au Père, que par le Fils, qui dit que les petits et les pauvres sont les préférés de Dieu.

Hubert Boulangé A, prêtre fidei donum au Pérou

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