16 mois avant l’échéance, bilan du mandat de Gustavo Petro à la tête de la Colombie

Gustavo Petro, président de la République colombienne depuis le 7 août 2022 et proche de la théologie de la libération, remettra son mandat dans un peu plus d’un an. C’est l’occasion pour le sociologue José Fabio Naranjo, basé à Medellin, d’en dresser un bilan.
Si l’on tient compte de l’immense héritage de corruption auquel le gouvernement de Gustavo Petro a dû faire face, du pouvoir d’une presse aux mains des milliardaires les plus importants du pays, qui diffuse quotidiennement des mensonges et des attaques contre le gouvernement, et de l’existence d’un sénat où les forces politiques liées à la corruption[1] et au paramilitarisme sont majoritaires, le tout opposant une grande résistance aux réformes sociales et aux projets promus par ce gouvernement progressiste, on peut dire que ce qu’il a réalisé jusqu’à présent est monumental et offre de grandes perspectives d’avenir, malgré les erreurs commises.
Résultats de la politique économique. La Banque mondiale prévoit pour l’économie colombienne une croissance supérieure de 3.2% [2], 1,4 % et 1,8 % à celle des États-Unis et de l’Union européenne respectivement, et de 1 % à celle des autres pays d’Amérique latine ; le PIB a également augmenté grâce au secteur agricole, qui se développe très fortement car le gouvernement a acheté et cédé aux paysans plus de 500 000 hectares de terres, a réussi à légaliser plus de 1,5 million d’hectares et propose actuellement de récupérer 4 millions d’hectares supplémentaires pour les paysans, sur les 18 millions d’hectares qui leur ont été arrachés, ainsi qu’aux indigènes et aux afro-descendants ; cette politique s’accompagne d’une réduction significative des prix des engrais ; en outre, la politique économique a permis au chômage d’atteindre son niveau le plus bas (10,3 %) depuis 2017 [3].
En matière de protection de l’environnement, la ministre en charge a obtenu le meilleur résultat possible lors de la COP16, qui a débuté à Cali (Colombie) et s’est achevée à Rome[4], avec des progrès sans précédent en termes d’engagements visant à réaliser des investissements substantiels contre le changement climatique ; le président Petro a également promu, à l’unisson avec le pape François, l’Église catholique et d’autres églises historiques, des propositions telles que l’annulation de la dette extérieure de nombreux pays, si ces pays développent des politiques de protection de l’environnement ; Au niveau local, le gouvernement Pedro a lancé de multiples projets d’énergie solaire, éolienne et photovoltaïque, de production d’hydrogène vert et bien d’autres qui constituent une base solide pour le processus de transition énergétique, dans lequel s’est également engagée la principale entreprise du pays, Ecopetrol.
Des progrès notables ont également été accomplis dans le domaine de l’éducation, grâce à la mise en œuvre de la politique de « inscription zéro », qui a bénéficié à des dizaines de milliers de jeunes pauvres qui ont désormais accès à l’enseignement supérieur. Il a assaini des programmes tels que le programme d’alimentation scolaire (PAE), dont les fonds étaient détournés par des politiciens et qui garantit désormais un minimum d’alimentation saine à des millions d’enfants pauvres ; de nouvelles écoles, des collèges et des universités ont été construits, grâce à l’investissement le plus important alloué à l’éducation dans le budget national de toute l’histoire de la Colombie.
Difficultés et limites de la politique de Paix totale. La « paix totale » recherchée par la négociation avec tous les groupes armés aux niveaux rural et urbain s’est heurtée aux actions de la guérilla de l’ELN qui, avec le soutien du gouvernement vénézuélien, s’est renforcée en exploitant des commerces illégaux d’or, de coltan et de coca, causant mort et oppression des communautés à la frontière vénézuélienne et dans le Chocó, et propageant la haine à l’égard du gouvernement. Il y a peu d’espoir que les négociations soient rouvertes, malgré les demandes de la société civile et de l’Église. Une situation similaire existe avec l’État-major central (EMC), dissidence des anciennes FARC, qui doit son existence, comme celle de nombreux groupes armés du pays, au non-respect par l’État de l’accord de paix signé avec les FARC en 2016 ; Le gouvernement de Gustavo Petro a proposé de respecter ces accords de paix et a pris des mesures importantes en termes de réforme agraire, de création de zones de réserve paysanne dans les régions où cette guérilla était hégémonique et sur d’autres points ; ces accords, par exemple avec la « Seconde Marquetalia », une autre dissidence des FARC, ont un contenu environnemental élevé, car ils impliquent la lutte contre la déforestation en Amazonie.
Au niveau urbain, trois processus sont en cours (à Medellín, deuxième ville du pays, à Buenaventura, port important, et à Quibdó, capitale départementale) ; deux de ces processus traversent une crise grave [5], étant donné l’incapacité de l’État, et du gouvernement lui-même, à mettre en œuvre rapidement et simultanément aux accords conclus, des projets de production impliquant la société civile. Cette faiblesse technique du gouvernement, qui affecte tous les processus de paix en cours, est attribuée au fait que la gauche et le progressisme, au pouvoir pour la première fois, ne disposent pas de cadres professionnels compétents et expérimentés dans la gestion de l’État. Il s’agit d’une faiblesse majeure de ce gouvernement et du progressisme en Colombie, qui ne pourra être corrigée que par la participation de secteurs plus progressistes à la gestion de l’État et par le triomphe éventuel que le « Pacte historique », le parti qui soutient le président Petro, pourrait obtenir lors des élections de l’année prochaine.
À Medellín et dans sa région métropolitaine (10 municipalités), l’« espace de dialogue socio-juridique » entre une délégation présidentielle et les porte-parole des structures criminelles, qui ont accepté il y a quelques années de ne plus se combattre, a contribué à réduire le nombre d’homicides dans la ville et à faire disparaître les « frontières invisibles » qui empêchaient de nombreux enfants d’aller à l’école. En dehors de ce qui précède, les pourparlers n’ont produit aucun résultat autre que des concessions juridiques et autres à ces structures [6], et ce en raison de l’espoir d’être réélue de la chef de la délégation, qui espère que les votes des gangs, des familles et des groupes contrôlés par ces structures criminelles lui permettront de retourner au Sénat, où elle a été élue avec seulement 244 voix, favorisée par la place qu’elle occupait sur une liste fermée. Actuellement, on attend des investissements dans des infrastructures de quartiers pauvres de la ville, le financement de processus de participation communautaire et l’engagement pris par les structures criminelles de ne pas extorquer d’argent pendant trois mois dans 45 quartiers de trois municipalités. Il est surprenant que ces extorsions soient pour la sénatrice et la délégation présidentielle quelque chose de « volontaire » qui est « devenu naturel », ignorant ainsi la souffrance des communautés intimidées et soumises au pouvoir armé [7] de ces structures qui les extorquent de 17 manières reconnues. Pour les spécialistes, ces discussions devraient viser à transformer les économies illégales en économies légales, ainsi qu’à transformer l’influence de ces structures dans de nombreux quartiers en facteurs favorables à la paix et à la coexistence. Mais le fait est que, en toute impunité, ces structures criminelles continuent de tirer des milliards de pesos par mois de la vente de drogues et de l’extorsion, y compris des interventions en faveur de la coexistence ou de la résolution des conflits de voisinage, pour lesquelles elles demandent également de fortes sommes d’argent.
Le processus qui a donné les meilleurs résultats est celui avec les « Comuneros del Sur », un groupe dissident de l’ELN dans le sud du pays ; on y prévoit non seulement la destruction des armes aux mains de ce groupe[8], mais aussi des points relatifs au recrutement de mineurs et aux mines antipersonnel ; des projets économiques sont également développés ; ils ne sont cependant pas l’œuvre du gouvernement national, mais du gouverneur de ce département et des secteurs productifs qui y ont été associés. D’autres processus, avec une organisation paramilitaire de la Sierra Nevada et d’autres groupes armés du pays, n’en sont encore qu’au stade des discussions préliminaires.
Un fait nouveau, c’est l’action militaire qui s’intensifie actuellement avec deux bombardements du « Clan del golfo », une organisation d’origine mafieuse, présente dans des centaines de municipalités du pays et dont plusieurs dirigeants ont également été arrêtés ou tués. Cette organisation collecte d’importantes sommes d’argent ; une étude réalisée par « crisis group » montre qu’elle gère 18 milliards de pesos par an, soit presque le double du budget de la ville de Medellín.
Au niveau politique enfin, le président a proposé la tenue d’une « Consultation populaire », forme de participation citoyenne établie dans la Constitution, en réponse au blocage au Congrès des réformes dont le pays a besoin (en particulier les réformes du travail et de la santé) ; le président se tourne alors vers le peuple pour le mobiliser dans cette consultation, dont les résultats sont contraignants et obligeraient les différents organes de l’État à mettre en œuvre le mandat du peuple. La mobilisation populaire a été l’« arme » fondamentale du président Petro, élu essentiellement par des paysans, des indigènes, des afro-descendants, des jeunes et des femmes des secteurs populaires ; et c’est à ces secteurs qu’il s’adresse maintenant avec cette proposition, qui doit être présentée au Sénat dans un avenir proche. Un pari risqué sans aucun doute, étant donné que pour être couronné de succès, le référendum doit recueillir plus de 13 millions de voix et que Petro a été élu avec 11,2 millions de voix ; cependant, la mobilisation en faveur du référendum promue par le président le 18 mars dernier[9] dans toutes les villes du pays a été véritablement massive et a démontré une fois de plus que le président bénéficie d’un important soutien populaire et citoyen.
Vers les élections de 2026 : La consultation ne vise pas seulement à débloquer les réformes sociales, mais, en cas de succès, elle constituerait également une base pour les élections prévues en 2026. Il est intéressant de noter que, même de la part de secteurs de l’extrême droite (qui est largement indiscernable du « centre » ou de la droite), les congressistes sont critiqués pour ne pas présenter d’alternatives aux réformes sociales, car ils n’ont pas vraiment d’arguments pour les réfuter. Par ailleurs, l’extrême droite n’a actuellement pas de pré-candidat crédible ou suffisamment fort pour battre le progressisme, qui lui tend vers l’unité et a des candidats et des candidates qui pourraient bien lui assurer un second mandat présidentiel.
José Fabio Naranjo 2 avril 2025, Sociologue, correspondant pour la Colombie de OBSUR
[1] Ver https://cambiocolombia.com/puntos-de-vista/los-odiosos-ocho-de-la-comision-septima
[2]https://www.radionacional.co/actualidad/economia/economia-colombiana-banco-mundial-proyecta-crecimiento-del-32-para-2025
[3] Desempleo en Colombia bajó a 10,3%: es el febrero con la tasa más baja desde 2017
[4] https://www.cbd.int/article/cop16-resumed-session-closing-2025
[5] Petro y Quibdó: se acaba tregua entre bandas y David Racero deja de ser jefe de delegación | EL ESPECTADOR; Violencia en Buenaventura por parte de bandas criminales: marzo de 2025, el mes más violento en dos años | EL ESPECTADOR
[6] https://www.elcolombiano.com/antioquia/allanamientos-en-carcel-de-mesa-de-paz-itagui-a-jefes-de-bandas-valla-aburra-HM26917440
[7] Un líder popular expresó en una carta al comité de DDHH del valle de aburrá que “Estos diálogos deben hacerse en Asambleas abiertas con acompañamiento de las autoridades, donde las víctimas tengan derecho y libertad de nombrar las « vulneraciones antinaturales casi esclavizantes » a que viven sometidos.”
[8] Comuneros del Sur: Gobierno anuncia paso a paso para destrucción de material de guerra hasta junio | EL ESPECTADOR
[9] https://www.elespectador.com/bogota/en-imagenes-asi-transcurrio-la-jornada-de-marchas-del-18m-en-bogota/
sur le même sujet

Colombie : Pertinence de Gustavo Petro pour le monde et pour l’Église
José Fabio Naranjo passe ici en revue les raisons pour lesquelles le président colombien Gustavo Petro Urrego est incontestablement devenu une figure internationale majeure. Elles sont pour lui de deux ordres : ses propositions et son autorité morale.