L’ASEAN, acteur incontournable de la coopération entre l’Asie et l’Europe
L’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, plus connue par son acronyme anglais d’ASEAN, existe depuis 45 ans et sa création, dans sa configuration initiale, n’est que de peu postérieure à la naissance des Communautés européennes. Elle constitue le point d’ancrage de la coopération et du dialogue de l’Europe avec cette région du monde en pleine expansion économique et démographique.
La naissance de l ‘ASEAN remonte à une déclaration dite de Bangkok du 8 août 1967, signée entre 5 pays : Indonésie, Singapour, Malaisie, Philippines et Thaïlande, ces trois derniers ayant ouvert la voie en ébauchant, dès 1961, un regroupement sous l’appellation d’ASA, association of southern Asia. Les cinq membres fondateurs ont été rejoints au fil des années par cinq autres partenaires, Brunei (1984), Vietnam (1995), Laos (1997), Birmanie (1997), Cambodge 1999). Un 11ème, la Papouasie Nouvelle Guinée a obtenu un statut d’observateur et la candidature du Timor Leste, déposée en 2006, n’a pas encore abouti. Celle, un moment envisagée, de l’Australie ne fait pas l’unanimité. Les dix pays de l’ASEAN, avec 626 millions d’habitants en 2013, soit 10% de la population mondiale, sont aujourd’hui le troisième partenaire économique de l’Union européenne, après les Etats-Unis et la Chine.
Il s’agissait au départ pour les membres fondateurs de s’unir pour faire face aux mouvements communistes qui menaçaient alors les gouvernements en place. Ils cherchaient également à affirmer, sur le plan international, une politique de non alignement et se tenir à l’écart des tensions nées de la guerre froide et des répercussions potentielles du conflit vietnamien qui les concernait directement. Les projets communs sont d’abord restés vagues et très généraux et limités essentiellement au domaine économique et culturel. Ce contexte explique que les dix premières années de l’ASEAN n’ont pas été marquantes et qu’elles ont surtout permis de rapprocher les positions dans les enceintes économiques et commerciales internationales, au GATT notamment.
Un pas est franchi avec la signature, en 1976 à Bali, du TAC (treaty of amity and cooperation) suivie d’une ouverture en direction des pays communistes. L’ASEAN vit alors une période agitée avec la crise cambodgienne et l’intervention vietnamienne. Certains de ses membres (Singapour, Thaïlande) préconisent une ligne dure tandis que d’autres (Malaisie, Indonésie) se font les avocats d’une attitude plus souple, inquiets d’une possible réaction chinoise. Les années 90 sont marquées par une relance de la coopération et l’accueil de nouveaux membres dont le Vietnam, l’annonce en 1992 au sommet de Singapour de la mise en place de l’AFTA, une zone de libre-échange entrée en vigueur en 2003 seulement, enfin la création en 1994 d’un Forum régional pour la sécurité. Le forum qui couvre l’ensemble des questions de paix et de désarmement, y compris le règlement et la prévention des conflits, la non-prolifération, le contre-terrorisme et la lutte contre les désastres naturels, réunit 27 Etats, la quasi-totalité des pays de la zone asiatique (dont la Corée du Nord) ainsi que les Etats-Unis, le Canada et l’Union européenne. Une autre configuration, dite ASEAN+3, réunit les 10 de l’organisation, la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Dans la pratique, ces formations à géométrie variable tiennent leurs réunions à l’occasion de sommets périodiques placés sous l’égide de l’EAS (sommet de l’Asie du Sud Est) dont sont membres 16 pays, avec la Russie comme observateur. L’ASEAN est ainsi apparue progressivement comme le noyau et le moteur d’une coopération étendue à l’ensemble de la région asiatique.
Ce regain de vitalité a amené l’ASEAN à accroître ses ambitions : pour son vingtième anniversaire, elle s’est dotée d’un programme intitulé « vision 2000 » puis a décidé à échéance de 2015 la création d’une communauté visiblement inspirée des traités de Rome, reposant sur trois volets, sécurité, économie, développement social et culturel. L’objectif n’a pas encore été atteint mais, en attendant, une Charte de l’ASEAN a été adoptée et est entrée en vigueur le 15 décembre 2008. Elle donne un statut juridique à l’organisation et codifie ses règles de fonctionnement. La France en a pris acte en désignant auprès de son siège à Djakarta un représentant chargé de la promotion de ses intérêts économiques dans la zone.
Le bilan des projets communs lancés sous l’égide de l’ASEAN est difficile à établir. Il existe une trentaine de commissions ou d’organes permanents à pied d’œuvre : centre régional de lutte contre le terrorisme, centre pour la biodiversité, commissions spécialisées dans le transport maritime et aérien, le commerce et l’industrie, assemblée interparlementaire, centre pour les études stratégiques et de sécurité, centre régional sur les droits de l’homme… On semble s’être encore peu intéressé à cette nébuleuse d’initiatives en Europe occidentale où l’on a plutôt tendance à sous-estimer ces efforts d’intégration régionale. L’Union européenne en tant qu’institution a été toutefois la première à établir des contacts avec l’ASEAN. Un accord de partenariat et de coopération existe depuis 1980 et des réunions au niveau ministériel ont lieu tous les deux ans dans le cadre de l’ASEM (Asia Europe meeting)
Le principal handicap dont souffre l’ASEAN depuis l’origine est celui de l’hétérogénéité, démographique et ethnique, politique, économique, culturelle et religieuse de ses membres. 85% des 240 millions d’Indonésiens sont musulmans, 85% des 107 millions de Philippins sont catholiques alors que le bouddhisme est la religion officielle de la Thaïlande. Entre Singapour, plaque tournante du commerce en Asie et porte d’entrée des investissements étrangers dans la région, et le Laos, il y a évidemment un monde. De même, L’autoritarisme du régime birman ou celui du sultanat du Brunei ne sont guère en harmonie avec les efforts de certains de leurs partenaires pour introduire plus de démocratie dans la vie publique. Un autre obstacle tient à la présence sur le continent de deux poids lourds qui ne font pas partie de l’ASEAN mais participent à certaines des activités et rencontres dont elle est la cheville ouvrière. Il est difficile d’imaginer que la Chine et l’Inde puissent accepter les contraintes d’une intégration plus poussée dont elles n’auraient pas la maîtrise et ne seraient pas en mesure de revendiquer le leadership. Elles veilleront plutôt à ce que l’ASEAN ne se développe pas dans un sens qui risquerait de nuire à leurs propres intérêts. Ces deux facteurs rendent pour l’instant problématique l’expression d’une véritable affirmation identitaire à l’instar du processus qui s’est enclenché au sein de l’Union européenne. En revanche ils ne s’opposent pas à ce que l’organisation, désormais bien structurée, assise sur de solides complémentarités, animée par une communauté d’intérêts et engagée dans un partenariat actif avec Bruxelles, constitue un ensemble dynamique contribuant à la stabilité du continent asiatique.
Dominique Chassard
février 2015