Inde, situation actuelle
Comme d’autres grands pays, l’ Inde a actuellement un gouvernement populiste sous la conduite du Premier ministre Narendra Modi. On trouvera ici une présentation générale du pays. Pour la question de la liberté religieuse dans le pays, en particulier en ce qui concerne les minorités musulmanes et chrétiennes, on pourra se référer à l’agence (en anglais) UCAnews, par exemple cet article , et en français l’agence Églises d’Asie.
La République de l’Inde : Des ambitions de puissance mondiale
Les démographes sont formels : dans quelques années, l’Inde (1 milliard 250 millions d’habitants aujourd’hui) dépassera la Chine et son 1 milliard 366 millions. Elle sera alors le pays le plus peuplé de la planète. Pourtant, en comparaison avec l’Empire du milieu, l’ancienne possession britannique intéresse relativement peu et son image de «plus grande démocratie du monde», répandue surtout dans les premières décennies de l’indépendance, souffre de graves désordres ethniques, religieux et sociaux et d’atteintes violentes aux droits de l’homme que les médias commentent périodiquement. Les contrastes sont tout aussi criants sur le plan économique : d’un côté, des atouts qui placent le pays parmi les poids lourds industriels et technologiques ; de l’autre, le spectacle permanent d’une pauvreté et d’un sous-développement qu’une croissance démographique non maîtrisée tend à aggraver. D’un côté des groupes puissants et emblématiques, Tata, Mittal… de l’autre des campagnes aux structures archaïques et à l’agriculture de subsistance.
Pourtant la République de l’Inde prétend aujourd’hui à plus que son statut de pays émergent qui lui vaut d’appartenir avec le Brésil, la Russie ou l’Afrique du Sud à la catégorie des «BRICS». Elle revendique de plus en plus une place et un rôle de premier plan sur la scène mondiale. Elle en a l’ambition mais en a-t-elle les moyens ?
Une démographie et une économie en pleine expansion.
Rien ne semble pouvoir empêcher l’Inde de devenir dans quelques années le pays le plus peuplé de la planète et de le rester. Un pays jeune, dont la moitié de la population a moins de 25 ans, où le taux de natalité reste élevé (21,4 pour mille en 2013, le double de la France), où l’indice de fécondité se situe à 2,3 enfants par femme et où l’espérance de vie (67 ans en 2013) est en constante progression. L’Inde compte chaque année 20 millions d’habitants supplémentaires. Un atout ou une calamité ? Les avis sont partagés car sur le plan économique le pays réalise des performances remarquables : un taux de croissance de 8% par an (plus élevé désormais que celui de la Chine) qui devrait placer dans quelques années son PIB à la troisième place dans le monde. Sa maîtrise des biotechnologies, de l’informatique et du numérique, de l’ingénierie civile, est universellement reconnue (l’Inde est le premier fabricant de produits pharmaceutiques et de génériques et un leader en matière d’identification biométrique et de paiement digitalisé). Puissance nucléaire, civile et militaire, elle est aussi un acteur majeur de l’industrie spatiale (elle a lancé en février dernier une fusée porteuse de 109 satellites et a déjà procédé à la récupération d’une capsule spatiale).
Ces points forts ne sauraient toutefois cacher le revers de la médaille : son PIB, par habitant cette fois, est inférieur de 9 fois à celui de la France et son rang dans l’indice de développement humain calculé par les Nations-Unies se situe à la 131ème place sur 190. Transparency International la place 76ème sur 168 dans le classement mesurant le niveau de corruption. Géant industriel et agricole à la mesure de son potentiel démographique, le pays est menacé par la raréfaction de ses ressources hydrauliques et la déforestation, la progression spectaculaire de la pollution liée à une urbanisation accélérée et non maîtrisée ainsi que par l’accroissement des besoins en énergie qui l’oblige déjà à importer les ¾ de son pétrole. Ces faiblesses, souvent liées, se retrouvent un peu partout dans le monde mais elles se manifestent ici dans des structures sociales et religieuses fragiles et conflictuelles.
Des tensions communautaires, religieuses et territoriales récurrentes.
La structure sociale de l’Inde et le système des castes qui en reste un des piliers continue à entretenir des fractures profondes ethniques et religieuses. Des affrontements se produisent périodiquement entre hindouistes (80% de la population) et musulmans (14,2%) et les risques de tensions violentes sont attisés aujourd’hui par le nationalisme militant d’un Premier ministre qui s’appuie largement sur les extrémistes hindouistes. Les heurts avec la communauté chrétienne (2,3% soit plus de 27 millions) semblent devenus rares depuis les émeutes de 2008 dans la province d’Orissa (une trentaine de morts et 150 églises et lieux de prière détruits) mais la liste des incidents provoqués par la rébellion maoïste et qui se traduisent par l’attaque de postes de police et de bâtiments administratifs, est longue.
Le non règlement du conflit à propos du Cachemire qui a entraîné trois guerres avec le Pakistan entre 1947 et 1971 est une autre source de fragilité. Même si le différend paraît gelé avec une partition de fait suivant le tracé de la ligne du cessez le feu de 1949, l’état indien du Jammu-Cachemire à majorité musulmane est le théâtre d’un mouvement indépendantiste qui a causé des dizaines de milliers de morts, sans parler des incidents réguliers de frontière. Les choses paraissent plus stables à l’est du pays mais en apparence seulement car le Bangladesh, qui s’est séparé du Pakistan en 1971, a hérité d’une frontière imbriquée dans celle de l’Inde avec l’existence de plus d’une centaine d’enclaves de part et d’autre. Un accord signé en 2015 a permis des échanges de territoires mais s’est accompagné de la construction côté indien d’un mur de 3.200 km. Un mur dont on parle peu mais qui est une source permanente de friction entre les deux pays. On retrouve, au Nord cette fois, avec la Chine un autre contentieux frontalier portant sur la région d’Aksai Chin où les deux protagonistes se sont affrontés militairement en 1962. Les revendications indiennes concernent une zone administrée désormais par la Chine mais il semble que ni Pékin ni New Delhi ne veuillent pour l’instant remettre en cause le statu quo.
Des ambitions nationalistes de plus en plus affirmées de la part d’un gouvernement marqué par un hindouisme radical.
En dépit de ces fragilités internes, mais forte de son potentiel humain et économique, l’Inde revendique de plus en plus un rôle de grande puissance mondiale. L’arrivée au pouvoir, après les élections de 2014, de Narendra Modi, jusqu’alors chef du gouvernement du Gujarat, a mis fin à la domination historique du parti du Congrès. Beaucoup voient en lui un extrémiste suivant la voie du président turc vers un populisme autoritaire et intolérant. Son islamophobie, illustrée pendant son mandat à la tête du Gujarat, est volontiers dénoncée par ses opposants. Un point est en tout cas certain : sa détermination à tenir sur la scène internationale une place qu’il estime devoir être celle d’un des grands acteurs de la planète. La revendication d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unies se fait plus insistante. Puissance régionale, membre depuis 1983 de l’Association sud-asiatique pour la coopération régionale OCS (ASACR), depuis 2015 de l’Organisation de coopération de Shanghai, liée à l’Association des Nations de l’Asie du Sud Est (ASEAN) par sa participation à son forum régional en compagnie de la Chine, elle prétend jouer dans la cour des grands et faire oublier ses handicaps.
La France et l’Inde
La visite d’État du président français début 2016 et le récent contrat de vente de 36 Rafale, très médiatisé, ne doivent pas faire oublier que la part de marché de la France ne dépassait pas 0,8% en 2015. La France est toutefois le troisième investisseur étranger dans le pays et le «partenariat stratégique» annoncé il y a 2 ans, notamment dans les domaines nucléaire et spatial semble progresser sur des bases solides. On recensait, en 2016, 4000 étudiants indiens en France avec un objectif officiel, sans doute trop optimiste, de 10000 en 2020. Les obstacles sont clairement identifiés : le problème de la langue, les liens historiques avec le monde anglo-saxon. L’Inde serait la première nationalité représentée au prestigieux INSEAD de Fontainebleau, une performance qui suffit à démontrer qu’un potentiel important existe et mérite d’être développé.
Une des clés de l’avenir de l’Inde et de ses chances de réaliser ses ambitions réside sans doute dans le développement de ses relations avec la Chine, son premier concurrent et rival. Cette dernière trouvera-t-elle intérêt à jouer la carte de la solidarité asiatique face aux pays occidentaux ou souhaitera-t-elle freiner les velléités de son voisin et chercher à détacher de lui certains de ses partenaires et clients de la région ? Imaginera-t-elle une répartition des tâches et la mise en œuvre de synergies plutôt qu’une politique d’endiguement ou de prise de distances ? Une autre clé est liée à la capacité de l’Inde à maîtriser des contradictions internes qui risquent à tout moment de la conduire à une grave déstabilisation. La ligne suivie aujourd’hui peut poser problème tout autant que l’existence d’une population dont le tiers, voire plus selon les sources, vit encore en dessous du seuil de pauvreté et au sein de laquelle les inégalités continuent à se creuser.
Dominique Chassard
Mai 2017