Interview du P. Pierrot Kasemuana, Directeur de Caritas Mongolie
Pierrot est originaire du Congo RD. Il est religieux scheutiste (CCIM). Il vit en Mongolie depuis 23 ans, il parle la langue mongole qu’il a étudiée en arrivant, à l’université d’Etat du pays. Il compte, avec un prêtre philippin et un belge, parmi les premiers missionnaires dans le pays. Il fallait donc commencer par faire des traductions : le missel, etc…. il est important, pour tout missionnaire, d’apprendre la culture et la langue du pays. A partir des années 1990, il a vu les changements dans le pays : démocratisation, régime multipartiste, passage à l’économie de marché… Devenu prêtre, il est nommé curé de la petite paroisse, à l’époque la seule de Mongolie. Il est témoin aussi de l’urbanisation rapide de la capitale : Ulan Baator. La cathédrale a été construite dans ce qui était à l’époque une banlieue quasi-vide, aujourd’hui elle se trouve au milieu d’un quartier résidentiel densément peuplé.
Aujourd’hui, Ulan Baator (UB, comme on dit ici) est une grande ville : 60% des gens vivent dans des camps de gers, la yourte traditionnelle des Mongols, qu’on voit dans les zones rurales, mais aussi dans les quartiers périphériques de UB, pour les familles qui n’ont pas les moyens de se procurer un logement, ou parmi les migrants récents dans la grande ville. UB est d’ailleurs très polluée à cause du chauffage au charbon de ces gers… Dans ces quartiers occupés par des migrants récents, on dispose de la voirie, de transports publics, de l’électricité, pas toujours de l’eau, rarement de l’assainissement.
Les hivers sont très froids. Certains hivers sont particulièrement rigoureux et portent alors le nom de dzüd : les troupeaux de certains éleveurs meurent, le propriétaire perd son capital, il vient s’installer (toujours sous sa yourte-ger) dans la capitale où il cherche une vie meilleure…
Certains s’adaptent à cette vie sédentaire de citadin. D’autres plus difficilement : la déstructuration sociale menace, et le phénomène des SDF, d’alcoolisme, de criminalité, de violence conjugale sont les manifestations de cette déstructuration sociale.
Un ancien premier ministre avait encouragé le passage du nomadisme à la vie sédentaire, mais les emplois n’ont pas été créés au rythme de l’exode rural.
Il y a évidemment aussi des étrangers qui vivent dans le pays. Des Chinois et des Coréens assez nombreux. Pour gérer des restaurants, des agences de voyage, des bureaux d’import-export… Et certains Mongols cherchent maintenant à émigrer, définitivement ou pour un temps donné. Les étudiants rêvent de terminer leurs études aux USA. Et certains cherchent à partir pour la Corée pour y travailler.
L’Eglise catholique
L’Eglise n’a pas de statut, les autorités ont reconnu qu’on peut donner des visas aux missionnaires, mais cela reste précaire, il n’y a pas vraiment d’administration chargée de cette question. Tout dépend des relations personnelles avec certains fonctionnaires.
Caritas a été enregistrée comme une organisation locale, une ONG en quelque sorte. De droit local.
Il y a beaucoup de missionnaires américains, évangéliques dans le pays, des Coréens aussi. Les Mormons sont présents dans toutes les provinces. Ils recrutent des jeunes, les envoient aux USA, c’est un facteur d’attraction. Les Coréens évangéliques sont également actifs et nombreux.
Le pays compte une vingtaine de prêtres : Coréens, Philippins, Indiens, un Français (un diocésain Fidei Donum), de Hong Kong, des Vietnamiens, quatre Congolais, deux Camerounais, des Italiens….
Avec les religieuses, on estime qu’il y a environ 80 missionnaires catholiques, représentant 20 nationalités… Un seul prêtre mongol pour le moment.
Dans cette communauté internationale, l’ambiance est très bonne. La communication se fait en anglais (langue de communication de l’Eglise catholique pour toute l’Asie). Certaines religieuses cependant ne parlent que le coréen et des bribes de mongol, alors la communication est plus difficile.
Un seul prêtre mongol pour le moment.
Des communautés de religieux et religieuses se sont installées dans le pays, et sont actives surtout dans le domaine de l’éducation et de la santé. Des Salésiens ont ouvert une école à côté de la cathédrale. Le niveau de la maitrise de la langue mongole varie selon les congrégations
Combien sont les catholiques dans le pays ? Peut-être 1300, moins de 1500 en tout cas. Et les catholiques actifs sont encore moins nombreux. Le dimanche, les groupes de jeunes se réunissent et parmi eux, la moitié ne sont pas catholiques, ils sont sympathisants, peut-être un jour deviendront-ils catéchumènes ?
Les sœurs de la charité, fondées par Mère Teresa, attirent des jeunes, et des adultes aussi. Elles travaillent avec les plus démunis, les très pauvres, elles ont trois maisons, deux à UB, une dans une autre ville, elles ont des personnes âgées en résidence dans leur maison.
Les Coréennes sont sœurs de St Paul de Chartres, elles sont dans l’’éducation, elles ont deux écoles, une en province, elles aident dans la paroisse, elles travaillent aussi dans une clinique.
Les salésiens gèrent une école, et aussi une nouvelle paroisse. Les salésiennes gèrent un KG (jardin d’enfants), bientôt une école primaire.
L’Eglise est très présente dans le domaine social. Et malgré les difficultés, l’Eglise a un crédit dans le pays : les missionnaires sont vus, non pas comme des personnes venues exclusivement pour convertir les gens, mais aussi pour faire face aux défis sociaux, dans les domaines de l’éducation, la santé, le développement…
Caritas
C’est là que Caritas a trouvé sa place. Avec des projets dans l’agriculture, la sécurité alimentaire, etc.
Projet alimentaire. Dans la culture du pays, une société d’éleveurs, on mange trop de viande. En ville, on trouve aussi des légumes, mais c’est cher, alors on essaie de promouvoir la culture de fruits et de légumes, pour diversifier la nourriture, c’est le côté sanitaire, mais aussi pour le côté social : promouvoir les serres, produire et vendre ce qu’on produit, c’est une activité qui génère des revenus, surtout pour les familles démunies, elles peuvent manger ce qu’elles produisent, et éventuellement elle peuvent vendre le surplus…
Projet KG. Caritas gère aussi des KG, des jardins d’enfants, cela permet aux parents de se consacrer à autre chose… Il y a des gens de province à UB. Mais émigrer à UB n’est pas automatique pour tout le monde, il faut un permis, une autorisation administrative, une taxe pour transférer les données personnes dans la capitale, ce qui est trop cher pour certains. Alors certains sont des résidents illégaux à UB, ils ne peuvent pas posséder de terrain, leurs enfants ne peuvent pas aller à l’école publique, parce que les parents sont illégalement à UB, c’est pourquoi les KG privés sont très sollicités.
Projet de lutte contre la violence domestique, c’est un vrai problème dans ce pays… On essaie de travailler avec les autres ONG engagées sur ce créneau, avec la police, les hôpitaux, les écoles, un travail de sensibilisation : mettre cette question sur l’agenda public, travailler avec les victimes, et aussi avec les hommes auteurs de ces violences…
Il y a bien sûr d’autres projets gérés par Caritas.
Organisation. Caritas Mongolie : nous avons une Caritas nationale, ce réseau ne doit pas être confondu avec les paroisses, nous sommes reconnus comme une ONG. Le gouvernement est sensible : il ne faut pas utiliser le social pour convertir les gens. Nous n’avons pas le droit de mettre la croix dans les bureaux de Caritas.
D’une manière générale, dans ce pays, on ne fait pas confiance aux religions étrangères…
Caritas dispose de 27 salariés, dont 4 catholiques, les autres sont bouddhistes ou sans religion. Ceux qui ne sont pas catholiques deviennent les messagers de l’Evangile, ce sont eux qui apportent la bonne nouvelle aux autres… Les fonctionnaires de l’immigration questionnent, ces gens-là répondent, ils témoignent qu’on ne les force pas à aller à l’église… Ils suivent tous une formation de l’Enseignement Social de l’Eglise, ces principes ne sont d’ailleurs pas exclusivement pour les catholiques : dignité, respect de l’environnement, lien social, intérêt général…
On fait du travail social, il n’y a pas d’agenda caché. Cela nous permet ensuite de nous engager dans les paroisses… mais on n’est pas directement lié à telle ou telle paroisse.
Nous organisons cependant des formations dans les paroisses sur les questions sociales, des formations pour les jeunes… mais il faut toujours être attentif à ne pas mélanger le pastoral et le social…
Des programmes d’urgence aux activités permanentes. Les activités Caritas avaient commencé dans les années 2000 lors d’un hiver rigoureux qu’on appelle ici un Dzüd, alors la Caritas Mongolie a pris naissance par un projet d’urgence pour aider les victimes qui avaient perdu leurs troupeaux… puis Caritas s’est structurée comme organisation, et a obtenu une reconnaissance comme ONG.
Dans les situations d’urgence, nous travaillons le plus possible avec les autorités, pour éviter les soupçons, pour montrer ce qu’on fait, pour répondre à des besoins…
Caritas est enregistrée comme une ONG locale, et donc n’a pas besoin de renouveler l’autorisation de fonctionner, comme il en va pour le renouvellement du visa pour les étrangers.
Projet de sécurité alimentaire par des serres : deux approches sont envisagées.
Première approche : nous avons des serres individuelles. Dans les quartiers de gers, chaque Mongol dispose d’un petit terrain, et il peut y construire une serre individuelle. D’ailleurs, chacun veut être le maitre de son terrain.
En province, il y a des serres communautaires, le gouvernement donne un terrain plus grand à des formes de coopérative. Deux voies : individuelle ou communautarise. Le gouvernement tente de promouvoir les coopératives, bien que cela ait mauvaise réputation à cause du passé soviétique.
A UB, on promeut les «groupes », ce ne sont pas tout à fait des coopératives. Ce sont des petites structures. C’est reconnu par l’Etat, mais c’est moins contraignant que les coopératives. Ces groupes fonctionnent, c’est plus petit, on retrouve des amis. Les coopératives en général regroupent plus de cent personnes, ce sont de grandes structures et les associés n’ont guère confiance. Lorsque la structure comme le « groupe » est plus petite, les gens ont plus confiance.
Le problème vient du fait que le gouvernement ne soutient pas ces structures matériellement. La reconnaissance juridique de l’Etat donne cependant de petits avantages pour des prêts bancaires.
Quelle Eglise pour la Mongolie ?
Le point fort de l’Eglise dans le pays me parait être le suivant : l’ouverture sur le social, on ne cherche pas le nombre. La priorité vise à être témoin de la bonne nouvelle. Si des gens sont intéressés, ils peuvent venir, nous ne sommes pas prosélytes, notre point de départ consiste à dire : venez et voyez. Il n’y a pas de prosélytisme, même parmi les groupes de jeunes, ils viennent, ils ne sont pas catholiques, ils sont cependant membres de ces groupes de jeunes à part entière.
Le évangéliques, y compris des ONG comme World Vision, ont la réputation d’être prosélytes. Aussi les relations entre Caritas et WV ne sont pas très étroites.
Cela permet de rester humbles. Nous ne sommes qu’une petite minorité, nous sommes faibles…. Non pas une Eglise qui s’impose, qui dicte les conduites, nous restons à notre juste place…
Le point faible de cette Eglise : nous sommes tous des gens du dehors, sauf le premier prêtre mongol. Le danger consisterait à importer une Eglise extérieure à la Mongolie. Nous sommes une Eglise aux mains des étrangers. Un jour, l’Eglise deviendra locale, et cela donnera sens a posteriori à la présence des missionnaires.
Antoine Sondag,
1 mai 2018.
La Mongolie est un pays enclavé entre la Russie et la Chine, ses seuls voisins. Elle a une superficie de 1,5 million de km2 (trois fois la France). Elle est peuplée de 3,1 millions d’habitants. Une densité de 2 habitants au km2, la plus faible du monde. 1,3 million de personnes vivent dans la capitale Ulan Baator (qui se trouve à la latitude de Quimper). La langue mongole s’écrit avec des caractères cyrilliques. Indice de développement humain (PNUD) : 108e rang sur 187 pays, grâce à un bon taux d’alphabétisation. Climat continental, hiver très froid et été très chaud. Traditionnellement un peuple de nomades éleveurs vivant dans ces steppes semi-arides. Religions traditionnelles : bouddhisme et chamanisme. De l’indépendance en 1921 à 1990, le pays a été un Etat satellite de l’Union soviétique. La nouvelle étape de l’histoire du pays depuis la révolution de 1990 se nomme « la démocratisation ».