L’Eglise catholique au Pakistan

En août 2018, Antoine Sondag s’est rendu au Pakistan pour une session de formation de laïcs consacrée à l’enseignement social de l’Eglise. Il y a rencontré une figure importante du catholicisme de ce pays : Henry Hamid, laïc pakistanais, co-fondateur de l’association MAP… Voici son interview.

L’Eglise catholique au Pakistan. Henry Hamid (à droite de la photo et Antoine Sondag à gauche) visitant un sanctuaire sikh au Punjab pakistanais.

Henry Hamid (à droite de la photo et Antoine Sondag à gauche) visitant un sanctuaire sikh au Punjab pakistanais.

 

Le Pakistan compte 220 millions d’habitants (recensement de 2018, résultats pas encore disponibles). Probablement, 95% de sa population est musulmane, ce qui fait de ce pays le second pays avec le plus grand nombre de musulmans (après l’Indonésie). Et 2% de chrétiens et 2% d’Hindous.

Selon le Pew Research Forum,  le Pakistan est l’un des pays avec le plus de restriction en ce qui concerne la liberté religieuse. A la fois du côté des restrictions imposées par la législation publique (au même titre que le BanglaDesh ou l’Iran…) et des restrictions imposées par une société peu ouverte à la diversité et au respect de ses minorités (au même titre que l’Inde)…

Le Pakistan a un régime parlementaire. En 2018, pour la deuxième fois de son histoire, le mandat du parlement élu est allé à son terme sans être interrompu par un coup d’Etat militaire. Les élections ont vu la victoire relative d’un nouveau parti mené par un ancien champion de cricket, qui est le sport national : Imran Khan, ancien playboy reconverti en musulman par sa nouvelle épouse.

Le Pakistan est un pays très pauvre, selon les statistiques de la Banque mondiale. C’est aussi là qu’on trouve un niveau élevé d’analphabétisme (plus de 50%).

 

Je m’appelle Henry Hamid. Je travaille à l’Université de Karachi, dans les sciences de l’éducation. Et je “travaille” avec l’association MAP, c’est-à-dire Maktaba-e-Anaveem Pakistan. Le sous-titre de ce mouvement est : Forum populaire pour une théologie contextuelle.

MAP est une association de laïcs dans le pays. Elle est autonome au sein de l’Eglise, et elle collabore particulièrement avec la commission des laïcs de la Conférence Episcopale. En fait, je fais partie des membres fondateurs de ce mouvement MAP, avec le P. Emmanuel Asi, grande figure de l’Eglise au Pakistan. J’ai été secrétaire général de MAP, et pour le moment, je suis plutôt conseiller à la présidence de MAP.

MAP a quatre domaines principaux d’action : la formation, les publications, la recherche et la documentation, le réseautage (faire des liens avec d’autres organisations).

MAP dispose de groupes locaux dans les sept diocèses du Pakistan. Evidemment, MAP est plutôt présent dans les grandes villes, Karachi, Hyderabad, Lahore, Gujranwala, Faisalabad, Multan, Queta, etc. Les membres de ces groupes locaux sont des laïcs, des hommes et des femmes, engagés dans des professions indépendantes, comme fonctionnaires ou dans le privé. Certains de ces membres sont aussi des catéchistes… Le nombre moyen de membres d’un groupe MAP va de 10 à 15 personnes. A ce jour, MAP a publié plus de 250 livres et brochures. A la fois en anglais et en Urdu, la langue nationale. MAP organise régulièrement des stages de formation pour des laïcs, toujours sur le thème de théologies contextuelles, les Ecritures, l’histoire de l’Eglise, des sujets de société, la pastorale, la spiritualité, le dialogue interreligieux ou l’héritage culturel…

MAP est dirigé par un bureau exécutif élu tous les trois ans. Ce bureau se compose de laïcs, hommes et femmes, et de membres du clergé qui nous sont proches.

Q : Que pensez-vous du résultat des élections récentes dans le pays ?

Les résultats sont connus. Le premier ministre vient d’être élu par le Parlement. Il devra gouverner avec une coalition car son parti à lui seul ne dispose pas de la majorité des sièges.

Le sentiment général est que le peuple voulait un changement dans le leadership du pays, après deux décennies. Et les électeurs ont vu Imran Khan comme un symbole de ce changement souhaité. Il est à la tête d’un parti « nouveau » qui a grandi rapidement pour devenir le troisième parti du pays, à côté et en concurrence avec les deux partis « historiques ». Imran Khan est vu comme un homme avec un agenda dynamique et progressiste, surtout sur des sujets comme l’éducation, le secteur de la santé, ou encore l’administration au plan local, dominée jusqu’à ce jour par des « grands féodaux », l’armée ou des propriétaires terriens. En ce qui concerne les minorités, il semble qu’il a joué une carte « profil bas ». On espère qu’il va s’appuyer sur l’islam comme sur une force sociale modérée dans le pays, et tenter d’éradiquer la polarisation du débat politique selon des clivages ethniques et religieux.

Dans le domaine économique, il semble ne pas vouloir se plier devant les exigences du FMI pour obtenir des prêts. Il veut surmonter les défis économiques en obtenant des prêts (plus favorables) de la part de l’Arabie saoudite et de la Chine.

Le thème de la paix avec l’Inde : il a exprimé un souhait sincère de normaliser les relations bilatérales avec le voisin indien, et de commencer par inviter ses bons amis, anciens joueurs partenaires de cricket. Diplomatie du cricket !

Il ne réduira pas la taille de l’armée, pour faire des économies, et il ne réduira pas le rôle de l’armée. D’ailleurs dans la situation actuelle, avec les menaces d’actions terroristes, il ne peut pas réduire l’armée. De toute façon, il doit y avoir un consensus dans le pays, avec les deux grands partis pour normaliser les relations avec l’Inde. Un « programme de paix » au Pakistan n’est pas une voie détournée pour réduire le rôle de l’armée !

Q : Où en est l’Eglise catholique dans le pays ?

Voici les points forts de cette Eglise. Cette Eglise catholique a prouvé qu’elle constituait un corps organisé dans le pays. Avec des aptitudes structurelles et organisationnelles reconnues. Un réseau de diocèses, d’écoles, de dispensaires, d’hôpitaux, de centres de formation… Plus important : le rôle joué par la hiérarchie pour s’exprimer en syntonie avec des forces sociales émergentes afin de mettre à l’ordre du jour les défis politiques et sociaux auxquelles s’affrontent les communautés chrétiennes. De plus, cette hiérarchie est très investie dans le dialogue chrétiens-musulmans, spécialement le cardinal Joseph Coutts qui est très actif dans ce domaine.

Ce dialogue avec les musulmans se développe de multiples manières. Il y a des réunions formelles entre leaders religieux. Et les évêques sont parvenus à établir aussi des relations avec les leaders religieux musulmans sur des enjeux nationaux, des enjeux sociaux pour le pays. Spécialement, en dénonçant les attaques terroristes, surtout contre les lieux de culte. Ce qui inclut aussi les mosquées sunnites et chiites. Y compris les sanctuaires où l’on vénère des mystiques. Et tout ceci évidemment va contre une interprétation étroite d’un islam wahhabite, tel que certains sunnites veulent le comprendre…

L’Eglise s’est prononcée publiquement contre les attaques contre l’Irak ou l’Afghanistan par les forces armées américaines. L’Eglise est aussi solidaire de toutes les protestations des foules musulmanes qui se révoltent contre les atrocités faites contre des musulmans par des forces occidentales en divers pays.

L’Eglise catholique au Pakistan. Carte du Pakistan

Q : Quels sont les points faibles de cette Eglise pakistanaise. Que faire de plus ?

L’Eglise doit renforcer ses ministères laïcs, ainsi qu’un leadership laïc dans l’Eglise et la société. La catéchèse doit être mise à jour et renforcée, laisser de côté un catéchisme traditionnel, et analyser les signes des temps. Cela signifie qu’il faut mettre l’accent un peu plus sur l’enseignement social de l’Eglise et sur les « ministères sociaux ». Il y a un besoin d’ouvrir des institutions d’éducation supérieure de niveau universitaire. Il n’y a pas d’université catholique au Pakistan.

Il faudrait aussi investir un peu plus dans les medias, peut-être fonder un réseau de médias catholique, indépendant, une chaine TV ? A vrai dire, il en existe déjà une.

Actuellement, la chaine de télévision (catholique) la plus populaire est en fait aux mains d’un groupe de non-catholiques à Lahore et Karachi. Cette chaine diffuse des programmes de dévotion et de prière rituelle, en ce qui concerne les contenus… il n’y a guère de contenu social, ni même de divertissement. Pour attirer un plus large public, et aussi plus de leaders au plan national, il faudrait changer la programmation…

Les programmes dans les séminaires et les maisons de formation pour religieux/religieuses doivent être, eux-aussi, mis à jour, au niveau des exigences actuelles. Pour rejoindre les demandes sociales actuelles et pour créer un savoir à partir d’efforts de recherche…

Joseph Coutts a été nommé cardinal. Auparavant, nous avions eu un cardinal, Jo Cordeiro qui est mort âgé de 99 ans. Après 25 ans, le Pakistan est heureux de compter à nouveau un cardinal, les gens ont montré beaucoup de joie lors de la nomination, et ils en attendent de nouvelles initiatives. Spécialement dans les domaines de l’éducation et des médias. Ainsi que de la formation des laïcs, y compris dans les domaines sociaux et politiques. Nous avions jadis un ministre catholique[1]. Il a été assassiné. Depuis nous n’avons plus de ministre catholique. Je crois qu’il y a un sénateur qui est protestant.

Nous avons de bonnes relations avec les protestants, y compris les évangéliques. Pas de compétition, les relations sont cordiales.

Q : Y a-t-il des relations entre catholiques du Pakistan et de l’Inde ?

La commission biblique du Pakistan a envoyé des laïcs et des religieux pour des cours d’étude biblique à Bangalore en Inde du sud durant les dernières années. Le P. E. Asi a beaucoup promu les échanges pour des cours bibliques…

Il est difficile pour des Pakistani d’obtenir un visa pour l’Inde. Il est souhaitable que ces contacts à la base, entre citoyens servent à améliorer les relations entre les deux pays. Des contacts de « peuple à peuple »… cela crée un environnement favorable à une paix à long terme. Et cela est souvent découragé par les Etats qui refusent les visas !

 

Interview réalisée par Antoine Sondag,
août 2018

Sur le même sujet on pourra lire Anila, 20 ans, pakistanaise, étudiante, catholique… et Charles de Foucauld au Pakistan

[1] Note du traducteur : il s’agit de Shahbaz Bhatti, ministre des minorités du Pakistan (dans le gouvernement fédéral). Il a été assassiné en 2011.
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