La religion en Chine
Pour préparer la journée mondiale de prière avec les chrétiens de Chine, le 24 mai 2019.
Le pape Benoît XVI a décidé que le 24 mai serait un jour de prière pour les chrétiens de Chine, et de prière avec eux. On trouvera des articles sur les célébrations du 24 mai des années passées . Beaucoup d’informations contenues dans ces articles restent valables.
Jan Johnson est le correspondant en Chine du New York Times. Il a écrit un ouvrage sur la religion en Chine qui fait autorité : The Souls of China. The return of Religion after Mao (2017). Un résumé de ce livre a paru dans la revue missionnaire Spiritus, N° 233, de décembre 2018.
Johnson est américain et donc libre des présupposés européens concernant la place de la religion dans une société moderne ou post-moderne. Libre des théories sur la sécularisation qui fleurissent en France, mais pas du tout aux USA. Regard décalé.
1- Johnson est un observateur américain. L’État américain se préoccupe depuis longtemps de la liberté religieuse, qui est défendre partout. C’est l’un des piliers de la politique étrangère des USA. J. Johnson n’a rien à se faire pardonner, comme beaucoup d’analystes français, souvent aveugles devant les réalités religieuses (voir le livre de Birnbaum).
2- Johnson a écrit son livre avant la signature de l’accord entre le St Siège et le gouvernement de Beijing, le 22 septembre 2018. Accord dénoncé par les milieux catholiques « conservateurs », ou observants en France. Un certain nombre de médias et de milieux français font de l’anticommunisme leur fonds de commerce. Trop heureux de pouvoir critiquer le pape François qui serait naïf à leurs yeux. Cette critique cache chez certains un désaccord général avec ce pape. La Chine est un angle d’attaque qu’on contestera peu, car les spécialistes de la Chine sont peu nombreux dans le camp opposé.
Voilà la complexité du sujet. Il n’y a pas que la Chine qui soit compliquée.
Antoine Sondag
Avril 2019
Extraits du résumé du livre de J. Johnson
Parler des réalités religieuses en Chine contemporaine, cela fait penser au communisme, perçu comme athée et intolérant dans ce domaine. D’où l’idée de persécution : des chrétiens se réunissent dans les églises souterraines, le Dalaï Lama en exil, l’interdiction de sectes telles que le Falun Gong… ces premières impressions sont confortées par les rapports des ONG de droits de l’Homme, ou par le rapport annuel du Département d’Etat (USA) sur ces questions. Oui, il faut continuer à parler de l’oppression religieuse en Chine.
Mais à se focaliser sur l’oppression, cela peut nous empêcher de voir une réalité plus importante : la Chine connait un renouveau religieux sans précédent, et cela touche des centaines de millions de gens. Les estimations les plus sérieuses donnent les chiffres suivants : 10 millions de catholiques, 20 m de musulmans (en dehors des Ouïgours), 60 millions de protestants, et sans doute 200 millions d’adeptes du bouddhisme ou des religions traditionnelles… Sans parler des centaines de millions de gens familiers d’exercices tels que le Qigong ou d’autres formes de méditation…
La foi et les valeurs reviennent au cœur d’un débat national sur la façon d’organiser la vie en Chine. Des centaines de millions de Chinois sont envahis par le doute à propos de leur société et se tournent vers la religion et la foi en quête de réponses qu’ils ne trouvent pas dans le monde séculier tel qu’il se construit. Le matérialisme actuel ne suffit pas. « Nous pensions que nous étions malheureux parce que pauvres. Mais maintenant, beaucoup parmi nous ne sont plus pauvres, et ils sont toujours malheureux. Nous réalisons qu’il manque quelque chose : la vie spirituelle ».
Traitons en premier lieu des minorités ethniques : les Tibétains et les Ouïghours. La religion est là souvent une forme de résistance face à l’oppression de l’Etat. Et un pilier d’une identité ethnique ou nationale niée par le gouvernement central de Beijing.
Chez les Chinois de souche (90% de la population, l’ethnie Han), on trouve cependant la même soif spirituelle. Certes, tous les Chinois n’expriment pas leur mal-être en termes spirituels. On peut dire aussi : la Chine doit améliorer ses lois, son administration…
Comment la Chine en est-elle arrivée là ?
Depuis le XIXe siècle, la Chine a traversé une série de cries. Pour éviter de se faire coloniser par de petits États européens comme la France ou la Grande Bretagne, il fallait moderniser la structure politique de la Chine. Ou même la structure politico-religieuse du pays.
Pour comprendre pourquoi la religion est devenue un problème aux yeux des modernisateurs, il faut se souvenir de l’importance de la religion dans la vie traditionnelle chinoise. La religion traduisait une appartenance à la communauté. Chaque village avait ses temples, ses dieux honorés certains jours… Les gens adhéraient à cg amalgame de croyances qu’on appelle la « religion chinoise ».
Les modernisateurs, les révolutionnaires voulurent changer la Chine, ils sont allés chercher le pouvoir là où il était : dans ce système politico-religieux qui dominait l’empire. Cela date de la république chinoise. Avant Mao qui n’a fait que s’inscrire dans cette lignée qui préexistait.
Les modernisateurs ont adopté la distinction occidentale entre religion et superstition. On a importé des mots qui reflètent déjà l’influence occidentale pour désigner la religion en chinois (zongjiao, distincte de mixin, superstition). Il fallait un État fort pour imiter les pays occidentaux et les repousser en même temps, pour repousser leurs ambitions hégémoniques.
Ainsi, des temples furent détruits, fermés ou reconvertis à d’autres fins (écoles ?). La religion populaire a été presque totalement anéantie. On déclara que les petits temples relevaient de la superstition. Un combat culturel immense. Avant et pendant la période maoïste du pays. Tout en essayant de moderniser le pays, et donc d’éradiquer l’opium, les jeux d’argent, la prostitution et l’analphabétisme, les nationalistes et les communistes se sont lancés dans une campagne pour éliminer la superstition, afin de créer une nation. La religion chinoise était considérée comme un mal social qu’il fallait, pour sauver la Chine, réformer de façon radicale ou anéantir.
Cette façon de voir la religion comme un problème pour que la Chine retrouve son rang de grande puissance, fut reprise par les communistes lors de leur accession au pouvoir en 1949. Et cela a culminé lors de la Révolution culturelle, de 1966 à 1976, dans une interdiction de toute expression religieuse publique.
Cela a pris fin avec la mort de Mao en 1976. La religion est regardée aujourd’hui avec scepticisme, mais elle est tolérée.
Mais nous sommes entrés dans une ère nouvelle. Cela ne date pas de l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir. On a réhabilité bien des choses. Y compris des usages combattus auparavant comme superstition. La notion empruntée à l’UNESCO de « patrimoine culturel mondial intangible » (immatériel) a permis de requalifier des rituels, des pèlerinages religieux populaires traditionnels, comme des pratiques culturelles méritant d’être préservées et même subventionnées. Et cela attire les touristes (chinois et étrangers), secteur en croissance exponentielle en Chine.
Pour la première fois depuis un siècle, le bouddhisme, le taoïsme et la religion populaire sont explicitement soutenus. Vis à vis de l’Islam et du Christianisme, le pouvoir reste sur la défensive. Tous deux sont perçus comme violant un tabou majeur dans la société chinoise : ils ont des liens à l’étranger.
L’islam est utilisé par certains groupes séparatistes, dans le Xinjiang pour justifier un projet politique. Le pouvoir voit cela comme un problème d’ordre public. Un problème policier. Avec le justificatif : il faut se protéger du terrorisme islamiste mondial.
Le Christianisme représente un défi plus profond. L’islam se limite aux minorités ethniques, les Ouïghours, les Hui… qui sont considérés comme une minorité ethnique ! Pour les chrétiens, les conversions se font au sein même de l’ethnie ultra-majoritaire des Hans. Alors, on surveille : les églises protestantes souterraines, celles qui s’affichent trop dans l’espace public, en mettant des croix au sommet de leurs édifices, les lieux de pèlerinages… Surveillance systématique par caméras qui peuvent être reliées à un logiciel de reconnaissance faciale qui permet de dresser la liste des fidèles. On ne voit jamais cela dans les temples bouddhistes ou taoïstes.
Les catholiques n’inquiètent pas trop les autorités. Traditionnellement, les catholiques se recrutent dans des villages intégralement catholiques… le catholicisme est donc une réalité rurale, ce qui est en déclin en Chine. D’où la faible croissance des catholiques dans le pays. Le Vatican est soucieux de vouloir « urbaniser » ce catholicisme, de lui éviter de perdre ses forces dans de vaines querelles entre les prétendues « deux » Églises… il faut un accord avec les autorités, non pas par une naïveté qui fait le jeu de L’État, mais par une volonté d’évangélisation, de se repositionner dans l’espace urbain, le seul qui compte pour le moment.
La stratégie du pouvoir chinois et de mieux contrôler le christianisme. Il veut mieux connaitre le milieu catholique clandestin (sous-terrain)… et donner une leçon aux protestants (évangéliques). Cesser de multiplier les églises domestiques, sortir au grand jour, entrer en dialogue avec l’État, comme l’Église catholique l’a fait…
La religion est revenue au centre de l’attention politique en Chine. Pendant des millénaires, la religion a été l’élément principal de stabilité du pouvoir. Il y a un siècle, l’État l’a jetée par-dessus bord et la société chinoise oscille entre une dictature sacralisée et un capitalisme sauvage débridé. Aujourd’hui, la religion est de retour. Sera-t-elle un facteur de stabilité ? Ou une force hors de tout contrôle ?