Le Japon avant la visite du pape
Du 23 au 26 novembre prochain, le pape se rendra au Japon, pays dans lequel, Jorge Mario Bergoglio, jeune jésuite, caressait l’idée de partir comme missionnaire.
Irasshaimase * au pape François
Entre deux grands événements sportifs internationaux très relayés par les médias japonais, la Coupe du Monde de Rugby et les Jeux olympiques et paralympiques, se glisse la visite du pape François qui, pourtant, ne passe pas trop inaperçue. Car les journalistes nippons s’intéressent à ce prochain voyage pontifical et même à l’actualité vaticane, notamment le synode spécial sur l’Amazonie.
Cela peut paraître étonnant puisque sur 126 millions de japonais il n ‘y a que 450 000 catholiques et 510 000 protestants. De plus, il ne faut pas se laisser tromper par la transformation du vieil adage « un Japonais naît shinto et meurt bouddhiste » en « un Japonais naît shinto, se marie chrétien et meurt bouddhiste ». En effet, le prétendu mariage chrétien, qui se passe surtout dans des chapelles privées, souvent dans des grands hôtels, avec un pseudo-célébrant rarement chrétien, révèle le goût nippon pour l’imitation des aspects superficiels de la culture américaine. De la même façon, Noël est fêté en illuminant les quartiers chics des villes, en décuplant les quantités de chocolat dans les magasins et en organisant des concerts de chants anglo-saxons ou de musique classique.
En fait, la présence catholique dans l’Archipel s’est renforcée ces dernières années par la venue de nouvelles populations, plus ou moins bien accueillies, pour remplacer les mains manquantes en raison de la chute démographique. C’est ainsi que les voisins coréens, philippins et vietnamiens sont aussi venus investir les paroisses japonaises. Pour les mêmes raisons des Péruviens et des Brésiliens grossissent les rangs catholiques mais ils ont la particularité d’être d’origine… nippone, étant les descendants de migrants japonais du début du XX° s. dont ils ont gardé la morphologie mais perdu la langue. Même si c’est à des degrés divers, les seize diocèses nippons sont pluriculturels et cela transparaît dans le clergé puisque la moitié des prêtres sont des étrangers des cinq continents.
Cette Église locale à couleur universelle attend le Pape François depuis quelques temps, elle a rêvé qu’il fasse un crochet lors de sa visite de cinq jours en Corée du Sud en août 2 0 1 4 puis qu’il vienne à l’occasion de la béatification du daimyo ** martyr au XVII° s., Justo Takayama , en février 2017 , ce que souhaitait également le premier ministre Shinzô Abe. Ce désir, vraisemblablement signifié par écrit par les évêques, fut formulé avec vigueur en fin de célébration de clôture de la visite du cardinal Filoni, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, qui eut lieu du 17 au 26 septembre 2017. Cette visite manifesta une certaine tension entre le visiteur romain et les évêques nippons particulièrement unis. Apparemment l’épiscopat japonais ne se sent pas vraiment pris au sérieux par la Curie romaine sur diverses questions comme la liturgie ou la formation des séminaristes. Le coup de grâce fut donné par le pape François qui leur a adressé une lettre en amont de cette visite du cardinal Filoni qui tourna le fer dans la plaie en les sermonnant de faire autrement en matière d’évangélisation et de formation des futurs prêtres mais aussi en leur demandant de s’appuyer sur des mouvements d’apostolat d’origine occidentale alors que l’un d’entre eux avait été remercié il y a quelques années après avoir fait beaucoup de dégâts dans la pastorale d’un diocèse. Il est certain que le premier discours du pape qui sera prononcé à la nonciature à Tokyo à l’adresse des évêques sera très attendu avec l’espoir que soient adoucies les blessures de ce contentieux par plus de compréhension et de compassion.
La suite du programme de ce voyage, plus de 38 ans après celui de Jean-Paul II, concerne évidemment un public plus large, non seulement les communautés catholiques mais aussi toute la nation japonaise, et le thème retenu « Protéger chaque vie » le montre bien. Déjà les lieux et personnes visités en disent long : Hiroshima et Nagasaki sont les flambeaux de la lutte contre les armes nucléaires et plus globalement pour la Paix dans le monde à l’aide d’un dialogue fort entre les religions (La Conférence mondiale des Religions pour la Paix WCRP est née à Kyoto en 1970) ; par ailleurs, le groupe des victimes du tsunami géant de 2011 signifiera, entre autres, l’opposition au nucléaire civil. Les messages pontificaux devraient nourrir et actualiser ces rencontres hautement symboliques et peut-être aborder d’autres thèmes, chers aux Japonais de tout bord, comme le refus de la peine de mort. Ces moments très liés aux questions de la société nippone seront certainement commentés lors des entretiens privés avec l’empereur Naruhito puis avec le premier ministre Shinzô Abe qui précèderont t le discours destiné aux autorités, à la société civile et au corps diplomatique.
Cette immersion dans le pays ne devrait pas empêcher le successeur de Pierre d’appliquer la parole de Jésus adressée à l’Apôtre : « Affermis tes frères » (Évangile selon saint Luc, chapitre 22, verset 32). A Nagasaki il fera mémoire des premiers martyrs du Japon en 1597. Il a aussi souhaité rencontrer des jeunes, ça se fera dans la cathédrale Sainte Marie de Tokyo avec des délégués des paroisses. Enfin, il présidera deux messes dans des stades couverts (25 000 places à Nagasaki et 55 000 places à Tokyo). Pour ces deux grands événements l’incertitude s’était installée entre l’annonce du voyage et l’officialisation des dates et du programme. Les Japonais aiment prévoir et organiser très à l’avance ; le fait que ce ne fut pas possible a créé un certain scepticisme sur la réussite de ce voyage. Mais, depuis que tout s’est précisé, l’engouement des fidèles a pris le dessus. Les inscriptions vont bon train et un système de tirage au sort sera utilisé s’il n ‘y a pas assez de place pour tout le monde. Et on sait que de nombreux cars feront jusqu’à plus de 2000 km aller-retour pour rapprocher les périphéries des lieux de rassemblement.
En 1981 lorsqu’il quitta l’Archipel, saint Jean-Paul II avait prié pour que le peuple japonais puisse toujours cultiver l’idéal de paix et défendre la protection de la vie et de la dignité humaine ainsi que rechercher constamment la justice. Le message est toujours d’actualité. Il a besoin d’un nouveau porte-parole, de nouvelles oreilles et de nouveaux acteurs pour être semé à profusion et pour porter du fruit à cent pour un dans le Japon d’aujourd’hui.
Pierre CHARIGNON
Aumônier de la Communauté catholique francophone du Japon
Octobre 2019
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