Interview du Père François-Xavier Baoloc
François-Xavier Baoloc est un prêtre du diocèse de Saïgon, chargé du dialogue inter-religieux pour son diocèse. Au sein de la Conférence Épiscopale, il est aussi secrétaire exécutif de la Commission pour le dialogue interreligieux et le dialogue œcuménique.
Le Vietnam aura bientôt 100 millions d’habitants. Les catholiques constituent 6,7 % de la population. En ce qui concerne les catholiques, les diverses sources statistiques donnent à peu près des chiffres identiques : source étatique, source ecclésiale… C’est pour le bouddhisme que les chiffres des diverses sources varient. Principalement, parce qu’il n’y a pas de système centralisé de collecte des actes de culte chez les bouddhistes. Chaque pagode est en quelque sorte largement autonome.
Pour l’Église catholique dans le pays, il y a 27 diocèses actuellement. Et environ 4000 prêtres. Au sein de la Conférence des évêques du pays, il y a 17 commissions épiscopales : famille, Bible, jeunes, enfants, liturgie, foi et catéchèse, communication, musique sacrée, comité pour la vie consacrée, pour les prêtres et séminaristes, comité pour la culture, etc. Chaque commission est présidée par un évêque et dispose d’un secrétaire exécutif.
Quelques points forts de l’Église du Vietnam
Le nombre des vocations presbytérales et religieuses est élevé. Au point que le pays envoie beaucoup de missionnaires en Europe, en Asie, en Afrique… Le pays attire aussi des congrégations asiatiques ou étrangères qui s’installent ici pour trouver de nouvelles vocations. A HCMC (Ho Chi Minh City, c’est-à-dire Saigon), on enregistre la présence de 240 congrégations et instituts religieux. Des communautés religieuses, certes pas forcément des maisons provinciales. La loi sur l’immigration dans le pays est assez flexible, les religieux et religieuses étrangères peuvent s’installer, et donc des congrégations religieuses viennent ici chercher des vocations. Cette présence importante d’étrangers dans l’Église du pays donne une ouverture internationale à notre Église vietnamienne. De plus en plus de religieuses asiatiques… les prêtres sont souvent européens. Il y a des professeurs de langue ou de théologie venus des Philippines et d’ailleurs, il est plus facile d’obtenir un visa pour un professeur.
On peut noter un autre point positif : l’esprit d’harmonie entre les fidèles des diverses religions. Il existe une mentalité largement répandue : tous les enseignements des religions sont bons. Les gens pensent cela, c’est curieux, cela n’est pas conforme à la doctrine marxiste officielle. On constate en même temps un retour à certaines pratiques « traditionnelles » : par exemple trouver le jour auspicieux pour une construction ou une inauguration. De plus, de nombreuses familles sont « mixtes » : le père est membre du Parti communiste, la mère est catholique. On n’évoque pas trop cela en public.
Il y a dans le pays un grand respect à l’égard des moines, des bonzes, de ceux qui vivent la vie consacrée. Y compris pour les moines catholiques : bénédictins, cisterciens … du côté des femmes, les moniales sont plus nombreuses, les mêmes ordres ci-dessus et aussi des carmélitaines…
Il n’y a pas encore de dialogue inter monastique formalisé. Au niveau intellectuel ou officiel : pas encore. Mais il existe de nombreuses visites d’amitié, des visites mutuelles. Certaines dominicaines s’engagent dans une recherche pas seulement intellectuelle, mais aussi rejoignent la tradition de méditation religieuses zen bouddhique.
Défis se posant à l’Église du Vietnam
Beaucoup de catholiques partagent une vision autocentrée de l’Église. Cela est en quelque sorte structurel dans ce pays. Les paroissiens se rassemblent à la paroisse, ils ne sont pas très ouverts aux autres, pas même aux autres paroisses ou autres diocèses. Ils sont souvent ouverts aux autres pour les activités caritatives… mais pas trop dans les autres domaines. Certains parlent de ghettos catholiques !
Si on accueille d’autres traditions chrétiennes dans ce Centre pastoral, ici à Saigon, parce qu’elles ont besoin d’une salle, etc, on trouve toujours de vieux prêtres pour se plaindre (rires).
Il y a des prêtres en responsabilité qui ont fait des études ou suivi des sessions à l’étranger (Philippines ou USA), par exemple sur le dialogue inter religieux. Ainsi se conforte leur conviction : l’évangélisation en Asie passe par le chemin du dialogue.
Les mentalités, y compris chez les prêtres ou religieuses, restent souvent dualistiques. Les activités religieuses d’un côté, le sacré d’un côté. Les actions sociales d’un autre. Le social n’est pas considéré comme une activité adéquate pour un prêtre. Ceux qui préconisent l’engagement dans la société sont souvent perçus comme des amis du gouvernement. Le soupçon de collusion avec le gouvernement marxiste alimente les discussions.
Peut-on parler de dialogue avec les communistes ? Oui, mais rarement. Depuis l’an 2000, il y a une certaine ouverture, il y a une commission pour les religions du côté de l’État. Au sein de cette commission, il y a des spécialistes, un pour chaque groupe religieux. La police aussi s’occupe des activités religieuses, ces policiers ont d’ailleurs un meilleur niveau que les autres, pour mieux comprendre les activités religieuses. La définition de la religion au niveau universitaire (« opium du peuple ») est plus ou moins abandonnée. Aujourd’hui on considère que la religion est un besoin du peuple ; le gouvernement a la responsabilité de répondre à ce besoin, ce besoin subsiste encore. Voilà la doctrine officielle en vigueur.
La commission (étatique) des activités religieuses a une bonne connaissance des religions, y compris des textes bibliques. Les textes officiels renvoient à des sources sérieuses. Le point de vue a changé, on n’entend plus la chanson qui prétend que telle religion vient de l’Occident, du colonisateur ancien ou futur…
Quel est l’état des relations entre l’Église et le gouvernement ? Cela passe souvent par des relations inter personnelles, entre un communiste et un évêque ou un prêtre. Cette relation peut être amicale, compassionnelle… cela peut changer la vie de l’Église locale.
Si on demande une autorisation pour construire une nouvelle église, on ne risque plus des tergiversations qui sont une forme de refus. Dans les procédures, il y a maintenant une date limite indiquée dans les formulaires… on ne reste plus très longtemps sans réponse. Il faut répondre aux hiérarchies religieuses. Avec une date limite. Les mentalités ont changé. La loi a changé. L’application de la loi a aussi changé.
Qu’en est-il de la restitution des biens d’Église confisqués par les autorités lors de la prise du pouvoir par les communistes ? Pour le moment, ce n’est pas encore un sujet chaud, un sujet de conflit. Mais cela n’avance pas non plus très vite. Cela dépend aussi des lieux. Dans tel ou tel diocèse, on a rendu à l’Église la moitié de l’ancien séminaire confisqué !
L’Église ne dispose pas d’écoles catholiques, sauf des maternelles, et des écoles professionnelles… comme l’école Maicen à Saïgon, qui prépare aux métiers de la restauration et de l’hôtellerie.
Ce qui est fait pour les dialogues œcuménique et inter religieux, cela varie d’un diocèse à l’autre. Cela dépend souvent des relations personnelles. Entre telle autorité religieuse, et les catholiques…
Le caritatif est développé dans l’Église du Vietnam. Jadis, les fonds provenaient souvent de l’étranger, ou de la diaspora vietnamienne (qui envoyait de l’argent au pays). Aujourd’hui, ce sont surtout les chrétiens d’ici qui contribuent au budget des œuvres caritatives (comme la Caritas).
Le clivage entre le nord et le sud du pays reste perceptible, y compris (surtout ?) à l’intérieur de l’Église catholique. Dans le nord du pays (ancien Viet Nam du nord), on rencontre plus de difficultés. Mais là-aussi, la situation s’améliore. Grâce à de nouveaux évêques. 14 évêques sont d’anciens étudiants qui avaient été aidés pour leurs études par les MEP. Un tiers de ces évêques travaillent aujourd’hui au nord.
L’enseignement social de l’Église est assez peu connu. On a cependant donné une formation dans ce domaine aux membres des conseils paroissiaux, des conseils pastoraux… Les textes du Saint Siège sont traduits rapidement et se trouvent sur le site de la Conférence des Évêques.
Il n’y a malheureusement pas vraiment d’institution de formation pour les laïcs du pays. Il y a pourtant un besoin de formation. Les cours des séminaires ne sont ouverts qu’aux séminaristes et aux religieux/ses…
La Jec (Jeunesse étudiante catholique) continue d’exister, ce sont de petits groupes. Et il existe aussi des communautés nouvelles, comme Fondacio, l’Emmanuel, Points cœur, des groupes de jeunes de Taizé… 27 mouvements de laïcs sont enregistrés pour le diocèse de Saïgon.
Interview recueilli par Antoine Sondag
Février 2020, à Saïgon
Le Père François-Xavier Baoloc et Antoine Sondag sont intervenus lors d’une session de formation, sur le dialogue inter-religieux et l’enseignement social de l’Eglise respectivement. Session pour 38 étudiants et jeunes professionnels au titre un peu alambiqué : Jeune catholique et bon citoyen, contribuant à la collaboration entre les religions et la société civile pour l’amélioration de la société au Vietnam. Du 26 février au 1 mars 2020.