Corée du Sud : entretien avec Mgr Peter Ki-Heon Lee

Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes, en sa qualité de co-président de Pax Christi International, et Antoine Sondag se sont rendus en Corée du Sud pour participer au Forum pour la paix de PyeongChang. Ils ont mis à profit ce déplacement pour rencontrer Mgr Peter Ki-Heon Lee, président de la Commission épiscopale pour la réunification (des deux Corées) et évêque de Ujeongbu, ville de la grande banlieue au nord de Séoul.

CSOs with Pickets at PPF 2020 (2). Corée du sud : La paix dans toutes les langues !

Forum pour la paix de PyeongChang. La paix dans toutes les langues !

Corée du Nord, Corée du Sud : le pays continue d’être divisé. La guerre froide n’est pas terminée en Asie du Nord-est. Il n’y a pas d’évêque au nord, le régime est communiste et plutôt refermé sur lui-même.

Vous êtes président de la Commission épiscopale pour la réunification. De quoi s’agit-il ?

La commission pour la réunification prend la suite de diverses commissions ou comités qui portaient d’autres noms. Ce qui a déclenché le souci de la Corée du Nord, c’est la visite du pape Jean-Paul II en 1984 (en Corée du Sud). Auparavant, il y avait certes un mouvement de prière pour le nord, mais dans l’ambiance très anti-communiste de cette époque, on ne pouvait quasiment pas faire grand-chose pour le nord.
Aujourd’hui, il y a diverses activités qui concernent la Corée du Nord : la prière, un mouvement pour la ré-évangélisation du nord, d’autres activités sont en fait bloquées (par le gouvernement du nord ou du sud), l’aide alimentaire est parfois possible…

Y a-t-il une action de plaidoyer politique ?

Cela n’est guère possible.
Il n’y a pas de liberté religieuse au nord. En 1988, les autorités du nord ont ouvert une église, durant l’année des Jeux olympiques tenus à Séoul… on a créé une association des religions, avec des représentants de plusieurs cultes au nord : bouddhistes, protestants, catholiques…
A titre personnel, je suis allé trois fois au nord[1], j’ai célébré la messe dans l’unique église où on trouve 120 places assises, à ma messe il y avait 100 personnes environ qui y ont assisté. On soupçonne que cette église a été ouverte pour prouver que la liberté de religion existe au nord. Peut-être pour obtenir plus facilement de l’aide alimentaire ? Une évangélisation directe au nord n’est pas possible, une évangélisation indirecte peut-être.
L’Église du sud est divisée au sujet des catholiques du nord. Les conservateurs ici ont de grandes difficultés à considérer que les frères du nord sont des frères. Il faut augmenter la prise de conscience de ces personnes… il faut faire évoluer les mentalités. Beaucoup au sud ont de la peine à considérer que les catholiques du nord sont vraiment catholiques. Mais qui sommes-nous pour juger ?
L’éducation à la paix doit faire partie des programmes au niveau paroissial et diocésain. Cela porte du fruit. Selon les diocèses du sud, les approches vis-à-vis de cette question diffèrent.
Par exemple, dans mon diocèse, tous les jours à 9h le soir, on est invité à faire une prière pour la « paix en Corée », pour la réconciliation nationale. On peut prier le chapelet.
En 2014, quatre évêques du sud ont visité la Corée du Nord. Chaque diocèse dispose, plus ou moins, d’un comité pour la réconciliation nationale. On dispose de matériel audio-visuel, de documentation pour une éducation à la paix.

Quelle place pour les personnes qui quittent (clandestinement) la Corée du Nord ?

30 000 personnes ont quitté la Corée du Nord, on les appelle des « personnes ayant fait défection » (defectors). Il faut les aider une fois qu’ils sont au sud : surtout les jeunes, il y a des centres d’aide légale, pour l’hébergement, il faut aussi favoriser des discussions plus gratuites avec eux, favoriser leur intégration dans la société.
Les defectors sont maintenant plus nombreux, environ 30 000 personnes. Ces defectors sont divisés politiquement… par exemple, l’ancien ambassadeur (de la Corée du Nord) à Londres a fait défection, il est maintenant candidat ici aux élections pour un parti d’extrême-droite.
Pour nous, le point de départ doit toujours être la solidarité avec la personne ayant fait défection. Ce n’est pas de l’idéologie. Moi-même, je suis né à Pyong Yang (capitale de la Corée du Nord), et j’ai fait défection à l’âge de 4 ans, ce sont plutôt mes parents qui ont décidé de partir pour le sud. Nous avons aussi deux évêques retraités nés au nord. Sinon, je suis le seul évêque né au nord, et je n’ai pas de mémoire de ce nord, j’étais trop jeune lorsque je suis parti. J’ai plutôt la mémoire des discussions dans ma famille, et ainsi certains lieux de Corée du Nord me paraissent familiers.

Vous avez créé dans ce diocèse un Centre pour la paix et l’unité…

Dans ce diocèse, il y a un Institut catholique pour la paix en Asie du Nord-Est. L’objectif est la paix, dans un cadre plus large que la simple confrontation entre les deux Corées. Une conférence annuelle est organisée, avec une perspective œcuménique… Nous publions des comptes-rendus de nos colloques. Nous publions du matériel. Nous organisons des sessions, etc…
A propos des armes nucléaires : le pape a dit que non seulement l’usage de ces armes était immoral, mais déjà la possession de ces armes est condamnable. J’étais à Hiroshima (visite du pape au Japon en novembre 2019) quand le pape a dit : no use, no possession.

Pouvez-vous nous présenter votre diocèse ?

Trois diocèses du sud ont une frontière commune avec le nord. C’est le cas de ce diocèse, d’où notre intérêt pour la question des catholiques qui vivent au nord.
Ce diocèse a été créé en 2004 par séparation d’avec celui de Séoul. Nous avons 228 prêtres. Pour 80 paroisses à l’époque. Et trois nouvelles paroisses ont été créées, donc un total de 83 paroisses aujourd’hui. Il y a 300 000 catholiques pour 4 millions d’habitants, dans ce diocèse. 9% de catholiques dans la population globale pour ce diocèse, c’est moins que la proportion au plan national, les catholiques y sont 11,4%.
En 2004, lors de la fondation du diocèse, on a demandé aux prêtres de Séoul de choisir entre rester à Séoul, ou se joindre au nouveau diocèse. Les plus jeunes ont choisi Ujeongbu, surtout ceux qui estimaient que le diocèse de Séoul était par trop conservateur. Donc nous avons eu en 2004 les prêtres les plus jeunes, avec une moyenne d’âge du clergé de 35 ans. Aujourd’hui, la moyenne d’âge du clergé est de 46 ans. Ailleurs, les prêtres retraités constituent un problème ou un défi ; dans ce diocèse, nous n’avons qu’un seul prêtre retraité.

Les défis dans ce diocèse, quels sont-ils ? Pour comprendre, il faut commencer par énumérer les priorités du diocèse :
1. Les petites communautés chrétiennes
2. Les enfants et les jeunes
3. Le ministère social, y compris la réconciliation (avec le nord)
4. Les travailleurs étrangers, les réfugiés
5. L’écologie
Les nouveaux défis sont les suivants : une société en vieillissement rapide.
Un point fort de ce diocèse : il n’y a pas de traditions dans ce diocèse, de traditions qui nous étoufferaient… nous sommes appelés à inventer les traditions.
Les petites communautés chrétiennes : ce sont des groupes qui se réunissent environ une fois par mois, pour la prière et le partage… nous disposons d’un manuel pour ces réunions mensuelles, et nous entreprenons aussi des formations pour les animateurs de ces communautés.

Commentaire oral de Mgr M. Stenger : par comparaison, le diocèse de Troyes est un diocèse ancien, puisque l’évêque actuel est le 104e évêque du diocèse (contre deux seulement pour le diocèse de Ujeongbu). Une seule ville (Troyes), à 170 km de Paris. 55 prêtres avec une moyenne d’âge de 70 ans, deux séminaristes… en fait, ces caractéristiques du diocèse de Troyes sont assez communes en France. Un grand travail se fait avec les laïcs et par les laïcs.

Antoine Sondag,
mars 2020

Le Forum pour la paix de Pyeong Chang (ville siège des Jeux Olympiques d’hiver en 2018) s’est tenu à la date anniversaire des Jeux, du 9 au 11 février 2020. Plus de mille participants venus d’une quarantaine de pays ont célébré et travaillé aux moyens pratiques, concrets et immédiats pour promouvoir une paix juste, pérenne et inclusive dans la péninsule coréenne et au-delà. Il n’y avait aucun représentant de Corée du Nord.
Mgr M. Stenger, co-président de Pax Christi International est intervenu lors d’une table-ronde. Avec la nouvelle équipe de Pax Christi Corée.
On trouvera ici la résolution finale de ce Forum adoptée en plénière. Ainsi que les conclusions des membres de la société civile participants au Forum, résumées sous forme de Message pour la paix.
[1] En mettant à profit les moments de détente entre les deux Corées, des périodes où des visites au nord étaient possibles, pour certaines catégories de personnes. Parfois en accompagnant la délégation officielle du président du Sud en visite au Nord…
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