Tokyo : journal de confinement

Pierre Charignon, aumônier de la Communauté catholique francophone du Japon, nous raconte comment le confinement impacte la vie et les activités de sa communauté, et comment lui et l’équipe pastorale s’adaptent à la nouvelle situation.  

japan-955813_1920. Tokyo : journal de confinement

L’hygiène et la discipline nippones ont certainement contribué à ce que l’épidémie se répande moins et moins vite que chez les voisins. Il y a toujours beaucoup de monde dans les transports en commun avec 70 % de passagers masqués surtout pour adorer le dieu « Travail ».

En février c’est un événement périphérique qui a retenu l’attention avec le blocage, dans le port de Yokohama, d’un navire de croisière britannique avec des passagers de nombreux pays qui étaient contaminés.

Après un discours du premier ministre, qui annonçait entre autres la fermeture des écoles 15 jours avant les vacances, des évêques, dont celui de Tokyo, ont demandé d’annuler les messes dominicales de mars. Elles ne sont possibles qu’en petits groupes, je les maintiens donc en semaine et les célèbre le dimanche dans la chapelle MEP avec 6-7 personnes (habitués des messes de semaine ou de l’adoration du jeudi soir).

Le 17 mars, les Irlandais et quelques autres ont fêté discrètement Saint Patrick mais les catholiques du Japon avaient une autre fête, celle de Notre-Dame de la rencontre des Chrétiens cachés[1].

Le 22 mars, nous étions 18 pour une étape de baptême (deux en une pour rattraper le temps perdu) de nos deux catéchumènes (Terumi Cecilia, jeune maman japonaise, et Casimir, diplomate togolais).

Les lycées français internationaux de Tokyo et Kyoto étaient en vacances quand la mesure de fermeture des écoles a été prise, ils ont ensuite annoncé leur fermeture d’abord pour une semaine puis deux maintenant. Comme en France, ce sont les parents qui aident leurs enfants à suivre les cours. D’après une élève de 4ème qui prépare sa confirmation, ces cours en ligne ne sont pas une réussite technique : « on voit mal, on entend mal, on comprend rien ».

Pour la catéchèse, le groupe du quartier français peut se retrouver mais celui du dimanche (multiquartiers et avec des enfants en école japonaise) doit trouver un autre mode de fonctionnement. Le courrier électronique permet par exemple de continuer le soutien pendant le carême d’une école au Cambodge malgré l’impossibilité de vendre des gâteaux.

La distribution de ‘bento’ (= plat chaud) aux sans-abris par les Frères de Mère Teresa avec notre soutien ne se fait plus. En revanche nous n’avons pas de contrainte pour les visites ni au centre de rétention des migrants (ça nous donne même l’occasion de savoir si notre température corporelle est correcte), ni à la prison de Fuchu où je suis attendu le 3 avril.

Le 23 mars, en équipe pastorale, nous élaborons un plan B drastique pour les messes de la Semaine sainte car il est plus que probable qu’elles ne soient autorisées que pour 20 personnes maximum et nous ne pouvons les vivre qu’à la Chapelle des MEP. Nous proposerons trois messes des Rameaux à des horaires espacés et, pour Pâques, la Vigile (le baptême des deux adultes est reporté à Pentecôte où nous pourrons peut-être faire enfin une vraie Vigile) et deux messes le dimanche. Il y a un système d’inscription (depuis la messe du Pape nous avons l’habitude) et l’équipe pastorale validera les inscriptions de façon équilibrée.

Le 24 mars la décision de reporter les JO et les Jeux paralympiques est communiquée. J’étais inscrit pour une présence presbytérale catholique francophone au Village olympique, si les Jeux sont programmés au cours de l’été 21, je ne pourrai pas assurer ce service, dommage ! Mais ce sera peut-être au printemps…

Le 25 mars, la gouverneure de Tokyo demande d’éviter de sortir de chez soi sans nécessité, particulièrement le soir et le week-end. Il n’y a pas d’obligation car, en général, les nippons en font toujours plus que ce qu’on leur recommande. À titre personnel je m’efforce de faire de même tout en gardant ma petite promenade vers la cathédrale et son parvis avec sa grotte de Lourdes pour prier avec les pieds…

Le dimanche 29 mars, première messe avec inscription, avec priorité aux confirmands, leurs animateurs et le groupe biblique. Quatre jours avant, nous étions au-dessus de vingt et avons donc pensé proposer une messe le samedi soir, selon les mêmes conditions. Mais petit à petit les familles avec enfants hésitent à se déplacer et reviennent sur leur inscription. La messe du samedi n’a plus lieu d’être et, le dimanche, nous ne sommes plus que neuf (quatre Japonaises, un Franco-japonais et quatre Français) et pour introduire la messe je lis ces mots que l’amitié m’a apportés de France : « Notre solitude imposée par temps de carême, nous oblige à prendre conscience que nous ne sommes pas chrétiens pour nous, mais pour les autres, pour le monde. Lorsque nous célébrons l’Eucharistie, lorsque nous communions au corps livré du Christ, nous le faisons pour ceux qui ne sont pas là, car le corps du Seigneur est livré pour la multitude. Alors, désormais confinés, il nous faut croire que nous sommes associés à ce mystère, avec ceux qui peuvent célébrer, car ils célèbrent pour nous ». (Anne Lécu)

Vendredi 3 avril, direction non pas le centre de rétention des migrants mais la prison de Fuchu où deux détenus français n’ont droit qu’aux visites de leurs familles (qui sont en France ou en Espagne), du Consulat de France ou de l’aumônier francophone s’ils le demandent. Il y a obligation de mettre un masque dans la salle d’attente et le parloir mais pas dans le hall d’accueil.

Pour le dimanche des Rameaux et de la Passion, le système d’inscription a mieux fonctionné et 47 personnes ont participé aux trois messes du jour, ainsi que 7 autres la veille pour la messe liée au parcours de préparation à la première communion.

L’état d’urgence a été déclaré le 8 avril, mais ne change pas grand-chose, pas de confinement réglementé, simplement des recommandations. Les modifications des règles concernent les pachinko (immenses salles de jeux), karaoke, bars, boîtes de nuit et quelques établissements publics qui doivent fermer.

Je crois que la sérénité est plus grande qu’en France, c’est certainement dû à l’habitude japonaise des catastrophes en tout genre. Ici on dit même qu’en 2011, au moment du tsunami, ce sont les Français qui ont paniqué le plus et qui sont partis en masse. D’ailleurs les expatriés ont tendance à prendre les informations concernant la France comme concernant aussi le Japon. Je suis aussi impressionné par les Africains qui relativisent cette épidémie par rapport à celle d’Ebola qu’ils viennent enfin de maîtriser, autrement plus mortelle et dont on a beaucoup moins parlé.

Il y a quelques jours j’ai diffusé le livret « Semaine sainte à la maison » (transmis par une amie du diocèse de Versailles) auprès des catéchistes en attirant leur attention sur le jardin de Pâques, les dessins du Chemin de Croix que nous allons d’ailleurs utiliser pour installer un chemin de croix dans la seule Chapelle qui nous est accessible et qui n’en a pas.

Les célébrations du jeudi saint (9 fidèles), du vendredi saint (11 fidèles), de la vigile pascale (14 f), de la messe du jour de Pâques (14 f) et du soir (17 f) se sont déroulées avec ferveur malgré quelques complications techniques car il n’est pas aisé d’assurer tous les rôles : lecteur, veilleur sanitaire, préparateur et allumeur de feu, préposé aux éclairages, à la distribution de cierges, servant d’autel (un seul à la messe du jour), quêteur (même si c’est rapide 😕) avec une troupe peu nombreuse. Les petites assemblées ont quand même très bien réalisé qu’elles étaient les ambassadrices de toute la communauté et de toutes leurs relations familiales et amicales qui ne pouvaient participer aux eucharisties pascales. Personnellement je me suis senti chanceux de pouvoir célébrer avec un peuple alors que nombreux sont mes frères, dont mon évêque, contraints de sourire à une caméra, à un mur ou à des chaises vides. Cette chance, par la prière, je l’ai transformée en union presbytérale encore plus forte, particulièrement avec le presbyterium drômois qui se trouve à 9661 km pour de Valence, un peu moins pour Rochefourchat, le Vercors, le Diois et les Baronnies, un peu plus pour Saint Rambert d’Albon, Montélimar ou Aiguebelle ; je pense aussi aux prêtres de pays avec un confinement strict, que j’ai connus par différentes rencontres notamment celles, ces dernières années, des Communautés catholiques francophones dans le Monde.

Le 20 avril nous avons eu, après la messe, notre rencontre d’équipe pastorale (6 membres autour d’une très grande table permettant des distances convenables et 3 à la maison reliés par ordinateurs) avec une nouvelle donnée : la fermeture jusqu’aux petites vacances d’été du campus, chapelle comprise (notre chapelle du dimanche – 500 places), de l’Université du Sacré Cœur. Après les deux baptêmes adultes que nous célèbrerons le « dimanche de l’Ascension », nous allons donc vivre les premières communions et les confirmations, puisque Mgr KIKUCHI m’a donné la délégation, par tranches sur plusieurs dimanches et avec trois messes par dimanche. Ce n’est pas l’idéal pour signifier que nous sommes membres d’une même communauté, aussi nous ferons effort d’inventivité et de créativité pour que des liens pas trop artificiels existent.

Le vendredi 24/4, lorsque j’ai fait une demande pour visiter les deux détenus français qui souhaitent rencontrer un prêtre, le Consulat de France à Tokyo m’a déclaré que les visites étaient suspendues.

Le lundi 27/4 matin, un Burkinabé sans-papier m’a téléphoné et m’a appris qu’on leur avait signalé qu’il n’y aurait plus de visites au Centre de Rétention de Shinagawa dès ce jour jusqu’à ???

Dans ce désert où des privations nous sont imposées, et qui se prolonge au-delà du carême, où notre relation à Dieu se purifie, nous sommes encore plus unis par la prière.

Prière Temps Pascal 2020

Pierre Charignon, MEP

[1] Cette rencontre a eu lieu avec le Père Petitjean MEP, futur évêque de tout le Japon, en 1865 à Nagasaki dans l'église d'Oura.
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