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Voyage du pape en Bosnie-Herzégovine

Le samedi 6 juin 2015, le pape François fera à Sarajevo un voyage apostolique. Durant cette journée, le pape prononcera quatre discours, devant les autorités du pays, devant le clergé et les religieux, devant des représentants de diverses confessions et religions et devant les jeunes.
Ce sera le second voyage du pape François dans les Balkans – après sa journée à Tirana (Albanie), le 21 septembre 2014 – sous le signe de la coexistence pacifique des religions : en Bosnie-Herzégovine, les catholiques représentent 14% de la population, les orthodoxes 38% et les musulmans 45%. Le thème du voyage, « La paix soit avec vous », est inspiré des paroles du pape qui « a annoncé que le but de sa visite était d’encourager le processus de paix en Bosnie ».
Avant ce voyage, il est bon de porter le regard sur la Bosnie-Herzégovine, pays atypique en Europe. Et qui voit son avenir au sein de l’Union Européenne.

Bosnie et Herzégovine : un état encore fragile

Carte de la Bosnie-HerzégovineLa Bosnie et Herzégovine, appelée couramment en français « Bosnie-Herzégovine», se présente au premier abord comme une mosaïque hétéroclite : trois peuples, trois langues, trois religions y coexistent et on peut légitimement douter de l’existence d’une identité et d’une conscience nationales, tant les plaies laissées par l’éclatement de la Yougoslavie et le conflit armé qui lui a succédé sont encore aujourd’hui ouvertes. La complexité et la lourdeur des structures du nouvel état, toujours placé sous surveillance internationale, ne font qu’ajouter à cette impression de  montage artificiel imposé de l’extérieur. Elles ne sont sans doute pas étrangères au classement de l’ancienne province yougoslave parmi les pays les plus pauvres du continent, concurrencée seulement par l’Albanie.

La Bosnie et Herzégovine est née des accords de Dayton qui ont mis fin, en décembre 1995, à une guerre responsable de plus de 100.000 morts et du déplacement de 3.800.000 de personnes. Les négociateurs se sont alors trouvés placés devant un dilemme : soit respecter les limites existantes de cette ancienne composante de la Fédération de Yougoslavie et trouver une formule permettant d’assembler le puzzle ethnique qu’elle représentait,  soit s’engager dans une voie conduisant à un éclatement de la province suivie logiquement d’un rattachement des zones croates à Zagreb et serbes à Belgrade et laissant subsister un état bosniaque croupion autour de Sarajevo. La communauté internationale, consciente des risques de contagion en Europe d’un tel  dépeçage suivi de transferts massifs de populations, a choisi l’option d’un état multiethnique supposant la création de structures alambiquées dont il n’existe pas d’autres exemples sur notre continent et sans doute dans le monde. Ce pari est-il définitivement gagné ? Il est difficile de le dire.

La Bosnie et Herzégovine repose aujourd’hui sur deux «entités» ; la Fédération croato-musulmane d’un côté, renommée ensuite République de Bosnie et Herzégovine (51% du territoire et 70% de la population), la République serbe de l’autre (49% du territoire et 25% de la population avec comme capitale Banja Luka). Les Serbes qui contrôlaient la province, même après l’octroi en 1962 d’un statut de membre de la Fédération yougoslave, sont regroupés dans un étrange périmètre en forme de papillon dont les deux ailes se rejoignent à Brcko, district placé sous supervision internationale. La « Republika srpska » comprend 63 municipalités alors que la Fédération croato-musulmane est divisée en 10 cantons, 5 bosniaques, 2 croates et 3 mixtes, chacun possédant ses propres institutions, son assemblée et son exécutif. Le tout est coiffé, à Sarajevo par des organes communs issus d’un dosage entre les trois communautés et une Présidence collégiale qui représente le pays sur le plan international et maintient le principe -certains disent la fiction- d’un état unique. A ce labyrinthe institutionnel s’ajoute l’existence du district de Brcko dont le sort définitif reste en suspens et qui introduit une solution de continuité  entre les deux parties de la République serbe. Il est placé sous l’autorité d’un administrateur, nommé par les états garants des accords de Dayton, dont les pouvoirs théoriques sont ceux d’un proconsul. La fonction, devenue largement virtuelle et considérée comme «gelée», est occupée actuellement par un américain en attendant que l’on se mette d’accord sur une formule définitive mettant fin à une situation qui n’a pas d’équivalent en Europe et rappelle les mandats de la SDN.

Dernière anomalie : il a fallu faire une entorse au principe de l’intangibilité des frontières héritées de l’ex Yougoslavie  pour donner à la Bosnie et Herzégovine un accès à la mer en découpant à Neum un corridor d’une quinzaine de kilomètres  pris sur le littoral croate ainsi qu’un port franc à Ploce au débouché d’une voie ferrée, un peu plus au nord.

En dépit de cette naissance au forceps, il faut  reconnaître que le nouvel état a trouvé un certain équilibre et a réussi à conforter son existence. Membre des Nations-Unies (il est entré à l’ONU dès 1992, en compagnie de la Slovénie et de la Croatie), il n’a plus guère fait parler de lui après la conclusion des accords de Dayton et s’est tenu à l’écart des événements qui ont affecté le Kosovo et entouré la sécession du Monténégro. Le problème récurrent posé par les velléités indépendantistes de la République de Banja Luka  où la quasi-totalité de la population est serbe et regarde vers Belgrade, ne semble plus un obstacle majeur à une coexistence  pragmatique dans les institutions communes. Le temps a fait son œuvre et Belgrade, empêtré dans ses problèmes internes, a perdu de son pouvoir d’attraction. Il reste que l’édifice demeure fragile et à la merci d’un dérapage. Le résultat des élections d’octobre 2014 où les vainqueurs ont été les partis nationalistes des trois communautés montre bien que le chemin à parcourir est long et que chacun continue à se méfier de l’autre. Cette vulnérabilité explique que le pays est encore aujourd’hui placé sous une surveillance internationale exercée par un Haut-représentant, actuellement un diplomate autrichien qui est en même temps chef de la délégation permanente de l’Union européenne. Entouré d’une centaine de collaborateurs, il est responsable de la mise en œuvre des aspects civils des accords de Dayton et vérifie que les institutions évoluent dans le sens d’une « démocratie viable et pacifique ». L’Office du Haut-représentant travaille en fait surtout en amont et ses décisions ne concernaient pratiquement, en 2014, que la levée de restrictions de voyages à l’étranger pour des ressortissants bosniens.

L’Europe peut-elle contribuer à tirer un trait sur les affrontements du passé que les procédures encore pendantes devant le tribunal international de La Haye continuent à rappeler périodiquement? La Bosnie- Herzégovine dont la situation économique est des plus précaires (avec 40 % de chômeurs, ¼ de la population en dessous du seuil de pauvreté et un PIB par habitant autour de 3.500 €) est aussi le pays balkanique le plus attardé sur la voie conduisant à l’adhésion à l’Union Européenne. Alors que la Macédoine a le statut de candidat officiel depuis 2005, le Monténégro depuis 2010, la Serbie depuis 2012, l’Albanie depuis juin 2014, la Bosnie est toujours à la traîne en dépit de l’aide que lui accorde l’Union européenne : 2,4 milliards  d’euros depuis la fin de la guerre, 660 millions entre 2007 et 2013 au titre de la pré accession. Certes, ni la Serbie, ni l’Albanie, ni la Macédoine n’ont encore ouvert de chapitres de négociation avec Bruxelles et personne n’imagine qu’une issue positive puisse intervenir  avant 2020 au plus tôt mais le retard pris par Sarajevo renforce l’impression d’immobilisme de la direction collégiale et révèle la tentation d’un repli sur soi.

Les trois religions qui coexistent sur ce petit territoire de 51.000 km2 et de 3.860.000 habitants et les héritages culturels qu’elles incarnent illustrent, sur un autre plan, la division du pays. Les tensions qui en résultent relèvent cependant plus d’un marquage d’identité que d’un militantisme affiché. Les 45% de Bosniaques, de tradition sinon de confession musulmane, semblent s’être très éloignés historiquement de l’Islam et de ses rites alors que les 15% de Croates et les 35% de Serbes sont plus attachés à l’Eglise catholique et à l’Orthodoxie. Leur clergé exerce encore une réelle influence dans la population. Le nombre relativement peu élevé de Catholiques romains, sans doute guère plus d’un demi-million, ne saurait être à lui seul le motif de la prochaine visite papale. En revanche, le message que l’avenir de ce pays passe par la réconciliation et le respect mutuel  des trois peuples qui le composent et par leurs efforts communs pour travailler ensemble et rejoindre l’édifice européen peut prendre toute sa valeur et servir de guide pour d’autres régions du monde.

Dominique Chassard (SNMUE)
mai 2015

 

 

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