Le pape François et l’Europe
Le 6 mai dernier, à l’occasion de la remise au Vatican du prix Charlemagne au pape François, ce dernier a prononcé un important discours sur la situation de l’Union Européenne. Lire le Discours du pape pour les remerciements. Dominique Chassard, du SNMUE, décrypte pour nous ce discours et les stratégies de ceux qui ont décerné le prix Charlemagne au pape.
Le 17 mai, le pape a donné une interview au journal La Croix. Il y aborde également la situation de l’Union européenne. En répondant à une question sur les racines chrétiennes de l’Europe, il donne clairement sa position sur la place de l’Église catholique en Europe et sur l’attitude fondamentale que les chrétiens doivent adopter vis-à-vis de l’Etat et de la société. L’ensemble de l’interview donne à penser aux Français (voir le passage sur la « laïcité excessive » et sur les prêtres pédophiles, etc…). On trouvera le texte de cette interview ci-dessous. Et un commentaire rédigé par Antoine Sondag.
On rappelle que le pape avait fait une visite aux institutions européennes à Strasbourg en novembre 2014 avec, déjà, deux importants discours au Parlement européen et au Conseil de l’Europe. Voir le décryptage.
Sur ce sujet de la vue du pape sur l’Europe, on lira le discours du pape aux chefs d’État et de gouvernement prononcé à l’occasion du 60 e anniversaire de la signature du Traité de Rome (24 mars 2017) : 60 ans des Traités de Rome ou regardera la vidéo de l’audience du Pape aux chefs d’État.
Le plaidoyer du Pape François pour l’Europe
Créé en 1950, le prix Charlemagne est décerné chaque année à une personnalité qui s’est particulièrement engagée au service de la construction européenne. La liste des récipiendaires va des pères fondateurs de l’Europe (Jean Monnet, Robert Schuman, Adenauer, De Gasperi) aux principaux dirigeants politiques qui ont marqué l’histoire de la Communauté économique européenne puis de l’Union européenne, en passant par quelques représentants de la société civile comme le dissident hongrois György Konrad ou le frère Roger de la Communauté de Taizé. On y trouve même deux américains (Henry Kissinger et Bill Clinton) et, faute peut être de candidat jugé digne, la Commission européenne, le peuple luxembourgeois et l’Euro.
Le pape François à qui le prix vient d’être remis, au Vatican et non à Aix la Chapelle comme pour ses prédécesseurs, succède à Martin Schulz, le Président du Parlement européen. Ses origines sud-américaines ne le prédestinaient pas à une telle distinction et le comité d’organisation qui siège dans l’ancienne capitale de l’Empire a voulu rendre hommage à son implication personnelle en faveur de l’unité de l ‘Europe et faire écho aux messages forts qu’il avait adressés précédemment, en novembre 2014, devant le Parlement européen et le Conseil de l’Europe. Jean Paul II avait reçu en 2004 un prix Charlemagne «à titre extraordinaire» au cours d’une cérémonie spéciale mais le lauréat «normal» avait été Pat Cox, le Président en exercice du Parlement de Strasbourg. Aujourd’hui, le pape François prend place à part entière dans l’aréopage de ceux qui ont été honorés pour leur combat en faveur de la cause européenne. Pour un pape dont on disait, lors de son élection que ses préoccupations l’orienteraient plutôt vers les autres continents et qu’il se démarquerait ainsi inévitablement d’un enracinement historique, le symbole est spectaculaire.
Il est tentant de relier l’événement qui vient de se dérouler dans la salle Regia au contexte politique actuel marqué par les menaces d’une sortie de l’Union du Royaume Uni et les répercussions de la crise migratoire sur les opinions publiques et les gouvernements de certains pays, le tout dans un climat de désenchantement croissant et de méfiance vis à vis des institutions européennes. Certes, le moment choisi n’est pas neutre et certains peuvent aisément imaginer, pour s’en féliciter, que le plaidoyer du Pape aidera ceux qui militent pour un nouvel élan européen et contre le «brexit»; imaginer aussi que sa voix amènera les eurosceptiques et les apôtres du repli national à renouer avec l’histoire et les racines du continent. Le message papal se situe toutefois à un autre niveau qui est celui du combat pour la dignité de l’être humain et contre la résignation à subir l’affaiblissement des valeurs incarnées par l’Europe et non celui des controverses politiques qui opposent pro et anti-européens, fédéralistes et souverainistes.
«Construire des ponts et abattre des murs», promouvoir une «culture du dialogue», contribuer à la «renaissance d’une Europe affaiblie», retourner à «l’esprit des pères fondateurs», développer «une économie sociale qui investit dans les personnes», ces quelques points d’ancrage du discours prononcé le 6 mai montrent bien où le Pape souhaite porter son appel. Il n’est pas question pour lui de se prononcer sur la forme que pourrait prendre une nouvelle organisation de l’Europe, une refonte de ses institutions, une initiative qui relancerait la machine assoupie ou de prendre position dans le vieux débat jamais clos entre les partisans d’une Europe fédérale et supranationale et ceux qui mettent en avant le respect des compétences étatiques et en appellent à la règle de subsidiarité. Lorsqu’il parle de promouvoir une «intégration fondée sur la solidarité» il se réfère à une citation tirée de son exhortation «Evangelii gaudium» selon laquelle «le tout est plus que la partie et plus que la somme de celles-ci». De même son engagement spectaculaire et très médiatisé aux côtés des migrants ne l’amène pas à critiquer tel ou tel gouvernement ou à se prononcer sur la politique que l’Europe devrait mener pour faire face à l’afflux des réfugiés. Il se borne à «rêver d’une Europe où être migrant ne soit pas un délit mais une invitation à un plus grand engagement dans la dignité de l’être humain tout entier».
D’ordre moral mais aussi politique, l’appel du pape François à aller résolument de l’avant sur la voie ouverte par les pères fondateurs de l’Europe a été lancé devant un parterre de dirigeants européens venus à Rome pour la circonstance. La présence des trois têtes de l’Union européenne, les Présidents du Conseil, de la Commission et du Parlement, allait de soi. En revanche, seul chef de gouvernement à avoir fait le déplacement, la chancelière allemande est apparue comme la représentante des États membres. Madame Merkel n’a pas voulu manquer cette occasion d’apparaître comme le chef de file des défenseurs de l’esprit européen. Elle n’a pas pris la parole, se contentant du rôle de grand témoin.
Dominique Chassard,
13 mai 2016
Le pape et l’Europe :
se glorifier de ses racines ou vivre une attitude de service ?
Un lecteur averti des textes du pape sur l’Europe et sur l’Union Européenne devra constater que la pensée du pape François a évolué sur le sujet.
Pour commencer, il faut souligner que le pape François hérite d’un corpus impressionnant de textes sur l’Europe de la part de ses deux prédécesseurs. On sait que les papes s’inscrivent toujours dans une continuité par rapport à l’enseignement de leurs prédécesseurs. Et les évolutions se font à la marge. Il est donc utile de se rappeler que Jean-Paul II et Benoît XVI ont largement évoqué l’Europe. Dans des contextes très différents. Autre chose est de parler de l’Europe à l’époque de la division du continent symbolisé par le mur de Berlin. Autre chose est de parler de l’Union européenne dans le climat de morosité actuel, et en devant surmonter le scandale des migrants à la porte de l’Union, symbolisé par les images terribles de ceux qui traversent la mer sur des embarcations de fortune, ou pire encore, de l’image du corps du petit Aylan échoué sur une plage.
Le pape François est venu à Strasbourg pour parler aux deux principales institutions pan-européennes que sont le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. La pensée de François était sans doute celle d’un non-Européen qui regarde avec déplaisir l’Europe s’enliser, manquer de dynamisme… d’où les images peu théologiques utilisées par le pape : une veille femme, une femme qui n’enfante plus…
Dans le message de remerciement adressé par le pape à l’occasion de la remise du prix Charlemagne, on repère déjà une évolution. La tonalité est cette fois plus positive et plus optimiste. Et le pape, en finale, implore la veille Europe de devenir féconde, de savoir engendrer la nouveauté, d’accueillir les nouveaux Européens, les migrants, pour enrichir sa culture. La culture de l’Europe a toujours été dynamique et ouverte, selon le pape.
L’évolution la plus nette dans la pensée du pape sur l’Europe se remarque dans l’interview donnée au journal La Croix début mai 2016.
Il est significatif que le pape n’y utilise pas l’expression de racines chrétiennes de l’Europe. Bien sûr, le christianisme est présent partout en Europe. Mais le pape a des réticences à utiliser l’expression « racines chrétiennes » : il a peur qu’elle ne soit comprise comme une attitude d’arrogance, vis-à-vis de l’extérieur, vis-à-vis de ce qui n’est pas chrétien. Comme si les chrétiens avaient un titre de propriété particulier sur le destin de l’Europe.
Et le pape dit clairement que le rôle des chrétiens est de nourrir ces racines. L’image des racines laisse entendre que peut-être ces racines sont de l’ordre du passé, du patrimoine, pour ne pas dire des musées ou du folklore. Ces racines, dit le pape, doivent être fécondées, nourries par l’eau des chrétiens d’aujourd’hui. Avec l’eau du lavement des pieds. Donc par une attitude de service.
Contre un christianisme identitaire, arrogant (« L’Europe dispose de racines chrétiennes, les chrétiens ont un titre particulier de propriété sur cette Europe… »), le pape dessine la figure d’un christianisme de service inspiré en particulier par l’image du lavement des pieds.
Antoine Sondag,
le 30 mai 2016
Le pape a donné une interview à La Croix le 17 mai 2016 : « Nous sommes tous égaux, comme fils de Dieu ou avec notre dignité de personne »
Vidéo
Remise du Prix Charlemagne au Pape François
Le Pape François reçoit le Prix international Charlemagne 2016, l'une des reconnaissances les plus prestigieuses en Europe. ``Je rêve d'un nouvel humanisme européen`` : c'est en ces termes que le Pape François a conclu son vigoureux discours adressé à l'Europe.