Pologne : JMJ et visite du pape
Le pape se rendra en Pologne à l’occasion des Journées Mondiales de la Jeunesse qui se tiendront à Cracovie. Environ 35 000 jeunes Français participeront à cet évènement. Voici une présentation de la situation politique actuelle dans le pays.
Quo vadis, Polonia(1) ?
La victoire du parti PiS aux diverses élections de 2015 a permis à Andrzej Duda d’occuper la présidence de la république, au parti d’obtenir la majorité au Parlement et de nommer Beata Szydlo comme Premier ministre. Mais c’est Jaroslaw Kaczynski qui est le vrai maitre du pouvoir, par-dessus la tête des deux titulaires de charges officielles. Cela a quasiment mis un terme à 25 ans d’efforts pour construire une démocratie libérale. Derrière le mot d’ordre du « bon changement » se cache en fait la volonté de créer un État centralisé, de contrôler l’appareil d’État et la société civile et de démanteler tous les contrepouvoirs.
A titre d’exemple : cette ambition du PiS se révèle et se renforce par les commémorations de l’accident de l’avion présidentiel de Lech Kaczynski à Smolensk en Russie le 10 avril 2010. Rappel : le président de la république de l’époque (Lech Kaczynski, frère du leader du PiS Jaroslaw Kaczynski) son épouse et de nombreux dignitaires de Pologne sont décédés dans un accident d’avion qui a fait 96 morts près de la ville de Smolensk en Russie, alors qu’ils se rendaient précisément à Katyn, lieu où des milliers d’officiers polonais ont été liquidés début 1940. Katyn avait permis à l’Union Soviétique de décapiter littéralement l’intelligentsia polonaise, et donc d’empêcher tout renouveau du pays à l’avenir. Voir le film Katyn d’Andrzej Wajda tourné en 2007, film sur la mémoire et la vérité. Et la difficulté de vivre comme Polonais, pendant des décennies, dans le mensonge…
L’assimilation de l’accident de Smolensk à un nouveau Katyn permet de jouer sur plusieurs registres : la Pologne martyre, dans l’indifférence du monde extérieur, l’hostilité de l’Union soviétique, aujourd’hui la Russie… Smolensk : deuxième Katyn. Un bégaiement de l’histoire. Le PiS voit dans l’accident un attentat contre les élites polonaises. Ce télescopage historique permet de faire adhérer à une vision complotiste de l’histoire, de dénoncer les « mauvais Polonais » accusés de trahison… on réactive le mythe de la Pologne sacrifiée, figure messianique, peuple souffrant… Il y a surtout chez le PiS la tentative d’élever la catastrophe de Smolensk au rang de mythe fondateur d’une nouvelle Pologne, dont la date de naissance n’est pas seulement 966 ou 1918 ou 1989, mais surtout 2010(2).
Pour cette réécriture de l’histoire polonaise, de l’histoire récente, il y faut surtout une bonne dose de glorification du défunt président Lech Kaczynski, la punition des responsables de la Pologne qui ont accepté la thèse de l’accident face à Poutine, c’est à dire D. Tusk, ancien premier ministre du parti libéral et aujourd’hui président du Conseil Européen à Bruxelles. Aussi, on érige rapidement des monuments à la mémoire de l’accident. La frénésie commémorative permet d’occuper l’espace public, de démonter les monuments à la gloire de l’armée rouge (qui a libéré le pays du nazisme, mais elle a fait beaucoup d’autres choses durant cette libération aux allures d’occupation, voir Les innocentes, film franco-polonais de 2016).
Le PiS n’est pas un parti conservateur comme on en trouve d’autres en Europe. C’est un national-populisme dont les valeurs sont écrites en lettres de feu sur ses étendards -catholicisme, tradition, patrie et nation. L’idéal du PiS est un Etat centralisé, contrôlant les institutions du pays et celles de la société civile. Il s’agit de démanteler le système de contrepoids de l’état qui caractérise une démocratie (check and balance). Cela commence par mettre au pas le tribunal constitutionnel, le système judiciaire, les fonctionnaires, les médias publics… le PiS pratique la démagogie, fait des promesses qu’il ne peut tenir, accable les migrants et les pays étrangers… On célèbre la nation, celle-ci est figée dans un état fantasmé à une certaine époque du passé, et idéalisé. Les racines de la nation intègrent le catholicisme, rempart contre les menaces qui guettent le pays, comme l’afflux de réfugiés musulmans… il s’agit aussi de restaurer la fierté nationale, en luttant contre les rumeurs hostiles, propagées principalement par les ennemis de la Pologne, les étrangers et les traitres de l’intérieur. Parmi ces rumeurs, celle d’un antisémitisme polonais, avant, pendant et après la Shoah. Les historiens qui se sont penchés sur cet antisémitisme sont eux-mêmes taxés d’ennemis intérieurs…
Kaczynski bénéficie d’un fort soutien de l’Église catholique (à l’exception de quelques évêques et prêtres, minoritaires). La Pologne de 89, avec ses héros, est dépréciée, taxée de cryptocommuniste. La véritable libération ne daterait pas de 1989 mais de 2015. Les héros de la dissidence sont présentés comme des anti-héros ayant pactisé avec les communistes, et ainsi ils n’auraient fait que prolonger le régime pernicieux du communisme… il faut nettoyer les structures de l’État, et de l’histoire aussi, faire tomber de leur piédestal les grandes figures de Walesa, Michnik, Geremek, Bartoszewski…
L. Walesa : syndicaliste mythique de Solidarnosc, signataire des accords de Gdansk qui ouvre la voie au pluralisme syndical, emprisonné après la proclamation de l’état de guerre (1981), incarnation de l’alliance entre la classe ouvrière et l’Eglise, alliance qui permettra dix ans plus tard la chute du communisme…
A. Michnik : dissident intellectuel avant 89, de famille juive, ancien membre du parti communiste, incarne la révolte de la raison (libérale) et de la conscience contre l’oppression et les mensonges marxistes, illustre l’alliance entre l’intelligentsia et l’Eglise pour faire tomber le monopole du parti communiste ; depuis la chute du régime communiste dirige Gazeta Wyborcza, le plus important quotidien national du pays.
B. Geremek : grande figure de l’intelligentsia, conseiller de Walesa et du syndicat Solidarnosc, de culture française (thèse à Paris sur les pauvres en France aux 16 et 17e siècle), homme politique, député européen.
Bartoscewski : ancien détenu d’Auchwitz, emprisonné ensuite par les soviétiques, homme politique après 89, ministre emblématique des affaires étrangères de la Pologne post-communiste, artisan de l’amitié entre la Pologne et l’Allemagne réunifiée…
Les deux premiers sont toujours en vie.
Se fâcher avec tous ces héros, les considérer comme des cryptocommunistes, vouloir minimiser leur rôle dans la libération de l’emprise soviétique, et dans la construction d’une Pologne démocratique : c’est un véritable tour de force. C’est du révisionnisme historique. Le PiS veut réécrire l’histoire du pays, se débarrasser de l’influence du cosmopolitisme et des libéraux, des traitres à l’intérêt national. Et pour réaliser cela, peu importe les abus de pouvoir, les violations des principes démocratiques, les manipulations, les mensonges. Le PiS pense avoir le monopole du patriotisme, de l’honnêteté et de la vertu. La Pologne selon Kaczynski doit être catholique, conservatrice et repliée sur elle-même.
Une réaction se fait jour, moins dans les partis politiques d’opposition assez divisés. Plutôt dans la société civile. Des militants démocratiques, des défenseurs des droits de l’homme, des partisans de l’intégration européenne, des membres de l’intelligentsia, des libéraux, etc, se sont regroupés dans un Comité pour la Défense de la Démocratie KOD. Qui s’organise et manifeste dans les rues…
La fièvre, la rhétorique nationale-catholique et anti-européenne, le révisionnisme historique ne peuvent être considérés comme de simples tentations d’une démocratie fragile et naissante en Pologne. C’est un courant qui traverse de nombreux pays. On citera la Russie de Poutine et la Hongrie de Viktor Orban. Bien que la Pologne de Kaczynski soit farouchement opposée à la Russie de Poutine, elle ne refuse pas une alliance tactique au sein de l’Union Européenne avec V. Orban, admirateur de Poutine.
Hostilité aux migrants en Pologne même : cela n’empêche pas le gouvernement polonais de se préoccuper légitimement des 800 000 migrants polonais du Royaume-Uni. Et avec le Brexit, il va falloir négocier maintenant pour permettre à ces migrants de jouir de leurs droits, défendus auparavant par la qualité de ressortissants européens, même si le PiS est eurosceptique et europhobe !
En politique étrangère, la carte de l’hostilité vis à vis du voisin russe est toujours bonne à jouer. Même si cette démocratie autoritaire et « souveraine » est en fait le fond idéologique commun aux deux pays.
Le national-catholicisme du PiS n’est que la variante polonaise de cette maladie du national-populisme qui affecte malheureusement trop de pays en Europe, en commençant par la France. Il va falloir trouver des remèdes contre ces dérives de la démocratie.
Pour les chrétiens, il faudra savoir gérer cette invocation rituelle du pilier catholique pour définir l’identité polonaise. Comment parler de l’identité catholique d’une nation, des racines catholiques d’une culture, sans que cela ne se confonde avec l’europhobie, la xénophobie, l’islamophobie (et parfois même l’antisémitisme), attitudes qui sont tout sauf chrétiennes.
Les racines catholiques pourraient-elles être comprises comme l’eau du lavement des pieds : être catholique, c’est être au service de la société ?
On le voit : l’observation de la situation polonaise actuelle renvoie le lecteur de cette tribune à ses propres responsabilités dans son propre pays.
Antoine Sondag
Qui a appris à aimer la Pologne à l’époque soviétique, en fréquentant, à sa petite échelle, des dissidents polonais :
syndicalistes, trotskistes, féministes, pacifistes, étudiants, défenseurs des droits de l’homme, écologistes…
et est allé leur rendre visite durant l’état de guerre.
On lira sur le sujet de la Pologne, son Église et son gouvernement actuel, l’article de Marcin Frybes, sociologue franco-polonais, qui se trouve sur le site de la CEF.
(1) Le titre est évidemment une allusion au roman le plus célèbre de la littérature polonaise : Quo vadis ? de Henryk Sienkiewicz (Prix Nobel de littérature en 1905). Ce roman illustre notamment la figure souffrante et messianique du peuple polonais, véritable mythe national dans lequel de nombreux Polonais se reconnaissent. Où vas-tu, Pologne ? Cet article est la reprise d’une note écrite par Jolanta Kurska, présidente de la fondation Geremek à Varsovie et reproduite par La Vie des idées en juin 2016.
(2) 966 : baptême de la Pologne ; 1918 : résurrection de la Pologne qui avait disparu de la carte de l’Europe en 1792, plus d’un siècle d’une nation sans État ; 1989 : fin du régime communiste, premier gouvernement non-communiste, avant que le mur de Berlin ne tombe ; 2010 : accident de Smolensk.