25 ans après l’indépendance, quel avenir pour l’Ukraine ?
On a célébré, récemment et discrètement, les 25 ans de l’établissement de relations diplomatiques entre l’Ukraine et la France. 25 ans après l’indépendance du pays, il est temps de faire le point sur la situation du pays, en particulier du conflit latent, parfois oublié, à la frontière orientale du pays, avec la Russie. Dominique Chassard, bénévole au SNMUE, s’est rendu récemment dans le pays. Voici son analyse.
25 ans après l’indépendance, quel avenir pour l’Ukraine ?
Il y a un peu plus de 25 ans, en août 1991, la République socialiste d’Ukraine proclamait son indépendance. Un referendum entérinait le 1er décembre une séparation qui, à l’époque, était plutôt perçue dans le monde comme une conséquence logique de l’implosion de l’URSS et non comme une rupture ou le résultat d’un affrontement. L’Ukraine ne faisait qu’imiter les 13 autres «Républiques» qui appartenaient à l’empire soviétique et accédaient, la première fois pour la majorité d’entre elles, à la souveraineté internationale. Kiev (Kyiv en ukrainien) devenue capitale ne rompait pas ses liens avec Moscou : elle adhérait aussitôt à la Communauté des États indépendants et abandonnait le statut de puissance nucléaire, dont elle avait hérité, par un acte international (le mémorandum de Budapest) signé entre autres par la Russie et garantissant en contrepartie son intégrité territoriale.
Cette indépendance a été reconnue dès 1992 par la Communauté internationale et plusieurs dizaines d’ambassades se sont installées dans la capitale. La France a été l’un des premiers pays à ancrer sa présence car elle avait ouvert quelques mois auparavant un Consulat général transformé presque aussitôt en Ambassade. La décision d’engager des relations diplomatiques avec le nouvel État a été officiellement actée le 24 janvier 1992 lors d’un voyage du Ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas. Elle vient d’être commémorée à Paris et à Kyiv 25 ans après l’événement.
Où en est aujourd’hui l’Ukraine ? Dès l’indépendance, des voix s’étaient élevées pour remarquer que l’Ukraine ne pouvait pas être aisément comparée aux autres démembrements de l’empire soviétique. Par l’importance de sa population et de ses ressources, par sa consanguinité culturelle et économique et son histoire commune avec la Russie, elle était un cas particulier, ne serait-ce qu’en raison de sa position géostratégique à la charnière entre le monde occidental et le territoire de son ancien maître. La suite est bien connue : incapacité du pays à trouver une assise politique solide et à mettre sur pied des structures fédéralistes viables, situation économique désastreuse, tensions croissantes entre provinces de l’Est et de l’Ouest, corruption à tous les niveaux de l’État et de l’Administration. La «Révolution orange» a pu un moment laisser penser qu’une étape décisive allait être franchie. Il a fallu déchanter et constater que l’Ukraine restait profondément divisée entre partisans intransigeants d’un ancrage à l’Ouest et d’une rupture radicale avec la période précédente et ceux qui, dans les milieux économiques et financiers notamment, considèrent que couper les ponts avec Moscou compromettent leurs intérêts et cherchent des arrangements pragmatiques.
L’Ukraine est aujourd’hui dans une situation préoccupante dont l’issue est incertaine. Le pouvoir russe a su exploiter ses faiblesses, mettant la main sur la Crimée et aidant ouvertement les séparatistes du Donbass à s’isoler du reste du pays, une quasi annexion que scelle une ligne aussi infranchissable qu’une frontière. Le bilan est lourd : plus de 8000 morts et deux millions de réfugiés dont la moitié est partie à l’étranger. Quant à la situation économique elle s’est à nouveau gravement détériorée : baisse de la production industrielle de 13% en 2015 et de la consommation intérieure de 21%, un taux de croissance négatif de 9,9%. Les chiffres attendus pour 2016 marquent un léger redressement et reflètent l’aide importante que l’Union européenne, le FMI et la Banque mondiale ont apportée. L’Ukraine serait dans le vert en 2017 avec un PIB en hausse de 2,5% mais le niveau de vie de la population n’a pas globalement progressé depuis l’indépendance, hormis pour un embryon de classe moyenne concentré dans les villes. Le pays qui était avant le conflit avec la Russie le 4ème exportateur mondial de maïs, le 7ème de blé, le 5ème de céréales, le 6ème de fer et le 10ème d’acier et qui détient plus du 5ème des terres arables en Europe voit son avenir hypothéqué par un affrontement dont le règlement est au point mort et qui peut à tout moment dégénérer.
La France est l’un des principaux partenaires de l’Ukraine et elle tient à jouer son rôle dans les efforts entrepris pour contenir, sinon régler, les conséquences du conflit. Elle est cosignataire et garante de l’application des accords de Minsk qui ont, en février 2015, permis un cessez le feu avec la création d’une zone tampon de 15 kilomètres de part et d’autre de la ligne de front avec les provinces sécessionnistes de Lugansk et de Donetsk et institué un mécanisme permanent de suivi. Un voyage commun du Président français et de la Chancelière allemande a marqué, dans la foulée, le soutien conjoint de Paris et de Berlin aux autorités de Kyiv. Sous la pression des deux capitales, des sanctions contre la Russie ont été décrétées par l’Union européenne mais pour quel résultat ?
Pourtant, la présence française ne semble pas toujours à la hauteur des ambitions affichées et des attentes ukrainiennes. Certes, la communauté d’affaires s’est étoffée et on compterait aujourd’hui environ 150 entreprises françaises actives dans le pays, le double d’il y a 20 ans, la plupart regroupées dans une Chambre de commerce franco-ukrainienne. Le lycée «Anne de Kiev» compte 415 élèves alors que la petite école française des débuts de l’indépendance n’en réunissait qu’une vingtaine. L’Institut culturel et un réseau de huit Alliances françaises assurent à notre langue une place de troisième langue apprise dans le pays et on comptait lors de la dernière année scolaire 1724 étudiants ukrainiens en France. Le bilan doit toutefois être relativisé : la France n’est que le 9ème fournisseur de l’Ukraine et son 20ème client. Les échanges commerciaux ont beaucoup souffert du conflit : une baisse de 11% en 2015 (-18% en 2014) et notre part de marché n’atteint que 2% alors que l’Allemagne se situe à 10% et la Pologne à 6%. L’aide bilatérale reste modeste même si elle est judicieusement concentrée sur des secteurs importants : déminage, formation d’officiers, lutte contre la corruption, matériel médical. Est-elle à la hauteur des enjeux ? On peut en douter.
Où va l’Ukraine dans une Europe qui doute aujourd’hui d’elle-même ? La réponse repose en partie sur sa capacité à redresser son économie et à assainir des structures obsolètes, largement perçues comme corrompues par la population. Son avenir est aussi lié à des facteurs qu’elle ne maîtrise pas : détermination de ses voisins occidentaux à la conforter dans son identité mais aussi tentation de la Russie de la déstabiliser et de profiter d’une instabilité politique chronique. De tous les conflits non résolus aux confins de l’Europe, Moldavie-Transnistrie, Ossétie du Sud et Abkhazie en Géorgie, Haut-Karabakh opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan, celui qui met en confrontation l’Ukraine et la Russie est le plus porteur de risques et de tensions pour le continent tout entier.
Dominique Chassard
Février 2017