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D. Trump et l’Église catholique aux USA

L’élection de D. Trump comme président des USA est un évènement majeur, y compris pour l’Église catholique du pays, qui a connu dans les années récentes un glissement progressif mais fort vers une position très conservatrice, très pro-life et très polarisée dans la société américaine. Le professeur à l’Université Villanova en Pennsylvanie Massimo Faggioli donne ici son point de vue sur l’Église et Trump, et plus largement sur la situation de l’Église catholique aux USA. Il prévoit un retour de ce que les étudiants en histoire de l’Église connaissent sous le nom d’« américanisme ».

 

USCCBUne faible majorité des catholiques américains (52% contre 45%) a aidé Donald Trump à gagner la Maison Blanche.

C’est un fait avec lequel l’Église catholique américaine va devoir vivre.

Les futurs spécialistes de l’Église catholique américaine ne seront pas tendres avec ceux qui ont rendu cela possible. La liste inclut le parti démocrate qui a désigné une candidate qui est apparue (que cette impression ait été fondée ou pas) comme n’étant politiquement pas intéressée par les préoccupations de ce que l’on pourrait appeler le « vote religieux ».

Le problème maintenant est de savoir comme l’Église catholique va réagir à ce tremblement de terre – dans ses relations avec la nouvelle administration, avec un pape François plus éloigné de Trump que la moyenne des catholiques américains et au niveau interne, avec un réseau ecclésial très divisé.

Cardinal DiNardo

Cardinal DiNardo

Ce dernier point est le plus complexe parce que c’est quelque chose qui aura un impact à long terme, bien après le départ de Trump. L’élection du nouveau président de la Conférence des évêques des USA, cette semaine[1], ne sera que le début d’un long chemin qui permettra de donner un sens à ce qui vient de se passer dans le pays.

Le pape François est venu aux USA il y a un peu plus d’un an. L’impact de cette visite exceptionnelle qui galvanisa les catholiques américains n’est pas encore très clair. Ce qui est certain, c’est que cela n’a pas fait évoluer un des principaux problèmes de son pontificat – à savoir un problème avec le catholicisme américain et de nombreux catholiques américains (incluant de nombreux évêques nommés par Jean-Paul II et Benoît XVI) ont un problème avec lui.

Nous sommes témoins du retour de ce dont les étudiants en histoire de l’Église se souviendront comme étant de l’ « américanisme », quand, en 1899, le Pape Léon XIII a accusé l’Église des USA de se laisser trop influer par la culture politique américaine.

Mais le pape François n’a pas seulement un « problème américain ». Il existe aussi un problème néo-américaniste, un problème à deux faces : et pour l’Église Universelle et pour les États-Unis.

D’abord, il y a la critique néo-conservatrice de François. C’est l’aspect le plus visible du catholicisme néo-américaniste et il a infiltré le discours catholique. Cela découle d’un point de vue intellectuel sans lien avec la théologie.

Le problème des néoconservateurs- traditionalistes avec le pape ne découle pas tant de sa théologie que de sa vision de l’Église et de son message socio-politique. François a mis fin à l’alignement de l’idéologie entre le conservatisme politico-religieux et l’Église catholique vue comme le pilier de la civilisation nord-américaine d’origine européenne.

Les néo-conservateurs l’accusent de bâtir sa popularité au détriment de l’Église catholique. Le principal problème ici est qu’ils considèrent que ce jésuite originaire d’Amérique latine ne partage pas leurs valeurs.

Je ne me souviens pas que les gardiens auto-proclamés de l’orthodoxie catholique aient questionné les conséquences collatérales de la popularité papale sous Jean-Paul II ou Benoît XVI, ou qu’ils aient été accusés d’hérésie. Mais ils accusent François de construire sa popularité en abandonnant ou en affaiblissant les enseignements impopulaires de l’Église (sur la moralité sexuelle ou le mariage par exemple). Ils accusent ainsi le pape de diviser l’Église. Mais les catholiques (y compris les catholiques américains) sont divisés sur les enseignements de l’Église relatifs à la moralité sexuelle depuis au moins 50 ans…

Cela met en lumière les différences de conception entre le catholicisme de François et la narration néoconservatrice utilisée pour décrire le rôle de la religion dans la destinée de la civilisation occidentale. Ils accusent le pape de ne pas réussir à maintenir une « Église forte ». Ils n’ont pas tort dans le sens où il est pleinement conscient que la force politique et sociale de l’Église catholique romaine est moins importante que sa conformité au Christ, c’est le côté « christique » de son caractère.

Si vous croyez que le message moral de Jésus Christ en ce qui concerne la miséricorde, la justice sociale, l’intégration des pauvres est trop onéreux pour l’Église catholique, alors le pape François n’est pas pour vous.

Il existe un second aspect du catholicisme néo-américaniste : un catholicisme néo-américaniste théologique et ecclésial. Ses spécialistes et connaisseurs ne peuvent se voir reprocher d’être théologiquement « illettrés ».

Le pape Léon XIII a publié en 1899 l’encyclique Testem Benevolentiae Nostrae pour condamnner l’américanisme

Le pape Léon XIII a publié en 1899 l’encyclique Testem Benevolentiae Nostrae pour condamner l’américanisme

La caractéristique de ce catholicisme néo-américaniste est de croire que les États-Unis sont un pays exceptionnel chargé d’une mission. C’est une ecclésiologie exclusiviste qui découle d’une théologie non-catholique (spécifiquement de racines calvinistes) qui lutte pour une Église plus petite, plus pure. C’est aussi une délégitimation théologique des politiques et de l’État basée sur une interprétation bien particulière (et questionnable) de l’ecclésiologie contenue dans « La cité de Dieu » de Saint Augustin. C’est un moralisme hypocrite basé sur de simples principes sans prise en compte des conséquences des décisions prises au nom du respect stricto sensu des principes moraux.

Nous avons pu observer ce mécanisme à la façon dont une partie de l’Église catholique des États-Unis a participé (ou plutôt, n’a pas participé) aux élections présidentielles de 2016. Il existait des réticences à s’engager et à critiquer la rhétorique néo-nationaliste et anti-internationaliste des hommes politiques américains (surtout quand cela venait de politiciens catholiques). Il y a aussi ce fait : des évêques influents ont appelé des catholiques à quitter l’Église (invitation particulièrement adressée aux politiciens catholiques du parti démocratique). Sur le sujet de l’avortement nous avons vu – plus que jamais- des électeurs « pro-life » (y compris certains évêques) convaincus que seule la position des candidats sur ce point était pertinente. La popularité de théologiens qui depuis des décennies disent aux catholiques qu’être engagé politiquement ne peut qu’aller à l’encontre de leur identité catholique, en contradiction avec ce que l’enseignement social de l’Église dit de l’engagement politique, va croissante. C’est un problème essentiellement visible dans l’aile gauche de l’éventail politique de l’intelligentsia théologique catholique.

Cette dernière caractéristique est particulièrement paradoxale : du « non expedit »édité par les papes fin du 19ème, début 20ème siècle contre la participation des catholiques au processus politique démocratique au « non expedit » pris par des théologiens catholiques laïcs en contradiction avec le message social et politique du pape.

L’Église catholique des Etats-Unis est une des plus dynamiques au monde et joue un rôle prépondérant. Mais elle souffre actuellement de plusieurs maladies graves. Il existe un problème de polarisation politique et culturelle au sein de l’Église, de ségrégation mutuelle entre les évêques et les fidèles catholiques et dans les relations entre le Pape François et certains catholiques américains. Cela va au-delà des évêques et inclut certains théologiens américains, certains instituts et universités et des associations de laïcs comme les Knights of Columbus[2].

Le problème de l’équilibre entre une interprétation (catholique) universelle du catholicisme et sa nécessaire incarnation nationale/locale est une question récurrente à laquelle sont confrontés tous les catholiques, consciemment ou inconsciemment.

Mais en ce moment historique, à la lumière de l’élection de Donald Trump comme président des États-Unis, il me semble que la pierre angulaire du futur de l’Église aux États-Unis est le choix fondamental entre être une Église catholique romaine en Amérique ou être une église catholique américaniste.

Et cela me semble être une question urgente et extrêmement importante pour les catholiques de ce grand pays.

The Church in the Trump Era

 

massimo_faggioliMassimo Faggioli[3]
Novembre 2016
(Traduction Maria Mesquita Castro)

[1] L’article a été écrit le 14 novembre 2016. Le 15 novembre, les évêques de la Conférence des évêques des USA ont élu le Cardinal Daniel N. DiNardo, archevêque de Galveston-Houston (Texas) comme président de la Conférence. Le Cardinal DiNardo est considéré comme un conservateur au sein de la Conférence des évêques des USA, tenant d’une stricte ligne pro-life. Il a été nommé cardinal par Benoît XVI (NdT).
[2] Les Chevaliers de Colomb est une organisation catholique de bienfaisance, sans but lucratif qui regroupe plus de 1,8 million de membres. Fondée en 1882 aux États-Unis, Cet ordre de laïcs catholiques est engagé dans la célébration de la foi, de la famille et de la fraternité, leur premier principe étant la charité (NdT).
[3] Professeur de théologie et d’études religieuses à l’université de Villanova, à côté de Philadelphie, en Pennsylvanie. Auteur de The rising laity. Ecclesial Movements since Vatican II (Paulist Press, 2016)
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