Refonder l’Union européenne ?
Au terme de la journée du 28 octobre 2017, le pape François a rencontré les participants à la conférence « (Re) Thinking Europe » organisée par la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (Comece) en collaboration avec la Secrétairerie d’État. Le pape s’est réjoui de « l’occasion de réfléchir largement sur l’avenir de l’Europe sous plusieurs angles, grâce à la présence parmi vous de diverses personnalités ecclésiales, politiques, académiques ou simplement provenant de la société civile ». Puis il a souligné que l’Europe est faite de personnes et non de chiffres : « Il n’y a pas les citoyens, il y a les suffrages. Il n’y a pas les migrants, il y a les quotas. Il n’y a pas les travailleurs, il y a les indicateurs économiques. Il n’y a pas les pauvres, il y a les seuils de pauvreté ». Le pape a ensuite suggéré cinq axes pour construire l’Europe : le dialogue, l’inclusion, la solidarité, le développement et la paix : « Ce n’est donc pas le moment de construire des tranchées, mais plutôt celui d’avoir le courage de travailler pour poursuivre pleinement le rêve des Pères fondateurs d’une Europe unie et unanime, une communauté de peuples désireux de partager un destin de développement et de paix ». Introduction au discours du pape réalisée par La Documentation catholique.
Discours du Pape François du 28 octobre 2017
Après le discours d’E. Macron sur la relance européenne, après les élections allemandes (mais avant la constitution d’une coalition au pouvoir à Berlin), voici une réflexion sur la relance européenne. Appelée de leurs vœux par certains, inévitable selon d’autres à la suite de la vague europhobe et du Brexit, souhaitable pour beaucoup à cause des nouveaux défis qui se posent, cette relance européenne doit-elle être une série de mesures techniques ou une véritable refondation ? Le débat est ouvert. La question est en fait posée à chacun.
Réinventer ou refonder l’Union Européenne ?
Que l’Europe traverse aujourd’hui une mauvaise passe et que la dynamique qui avait porté dans les premiers temps les membres de la Communauté économique européenne se soit considérablement essoufflée, est pour tous une évidence. Même les plus chauds avocats d’une véritable intégration au sein du continent européen reconnaissent que derrière un élargissement spectaculaire et historique à 28 pays, les doutes et les interrogations se sont accumulés. Le thème du renforcement de l’Europe ne semble guère trouver d’écho dans les opinions et ne fait plus recette que dans des cénacles universitaires et des instituts de recherche sur les relations internationales.
Les turbulences et les tensions au sein de l’Union ne datent évidemment pas d’hier. Pour se limiter à une époque récente on rappellera les laborieuses tractations ayant abouti au traité de Maastricht (1992), alors que l’organisation ne comptait encore que 12 partenaires, puis les négociations autour des textes devant accompagner l’adhésion des nouveaux arrivants qui ont débouché sur les traités d’Amsterdam (1997) et de Nice (2002), enfin l’épisode malheureux du «traité établissant une constitution pour l’Europe» rejeté par la France et les Pays-Bas en 2005. Il a fallu alors une difficile négociation et la réunion d’une Conférence intergouvernementale pour remettre la machine en route et renforcer les bases juridiques et institutionnelles de l’Union en remaniant cette mosaïque de textes successifs. Le résultat, le «Traité sur l’Union européenne» conclu à Lisbonne en 2009 après 2 ans de travaux, a clarifié la situation mais sa lisibilité et sa visibilité restent faibles. Aucune modification majeure de substance n’est intervenue depuis mais les nuages se sont accumulés: la crise financière liée à la restructuration de la dette grecque, les réticences des nouveaux entrants d’Europe centrale à accepter les obligations et la solidarité résultant de leur adhésion (la question de la répartition des quotas d’immigrants notamment), une situation économique et sociale médiocre, dégradée même dans certains pays, à laquelle Bruxelles a été jugé incapable de remédier. L’engagement de la procédure du Brexit, grosse d’incertitudes et dont personne n’est en mesure de prédire l’issue, est venu s’ajouter à ce tableau. L’élection du nouveau président américain a, par ailleurs, jeté le trouble et répandu l’inquiétude de voir les Etats-Unis se désintéresser des affaires européennes et laisser le continent gérer seul ses relations avec une Russie de plus en plus tentée de réaffirmer son influence et sa stature internationales. L’Europe des traités de Rome a-t-elle vécu et faut-il la réinventer ?
L’accession au pouvoir à Paris d’un président et d’une solide majorité gouvernementale résolus à relancer l’Union européenne et à faire preuve d’ambition et d’initiatives, plus au nom d’un pragmatisme raisonné que d’une vision messianique, peut faire bouger les choses. Les chances de réussir sont d’autant plus favorables que l’Allemagne, la période électorale passée, sera dès lors en mesure d’appuyer et de nourrir un projet mobilisateur. Le couple franco-allemand a connu des hauts et bas et son dynamisme et sa cohésion ne sont pas la condition suffisante pour entraîner vers l’avant la presque trentaine de pays de l’Union dont la plupart n’ont aucune intention de se mettre en avant. Il reste toutefois que, sans lui, il est vain d’espérer surmonter le désenchantement et les réserves des opinions. Quel que soit le projet, sa pertinence et ses mérites, il n’a de chance de progresser que s’il est porté, de manière visible et convaincante, par les deux partenaires. On objectera avec raison que par le passé l’ «axe Paris-Berlin» a parfois rencontré méfiance et préventions dans des pays peu enclins à paraître se soumettre à la loi du plus fort. Sans doute n’a-t-on pas toujours dans les deux capitales pris en compte ces susceptibilités mais on peut tirer la leçon des maladresses commises.
Si l’on veut aujourd’hui faire franchir une étape à la construction européenne on n’y parviendra pas en se contentant d’exhortations à s’unir pour répondre aux défis de la mondialisation ou d’envolées lyriques autour du thème de l’histoire et des valeurs communes. Il faudra aussi des initiatives appelées à se traduire dans la vie quotidienne et à améliorer l’existence dans une optique de croissance, de réduction des inégalités et de développement durable. Quelques pistes paraissent incontournables :
- La redéfinition des compétences communautaires et des compétences nationales. Le principe dit de subsidiarité consistant à ne conférer à Bruxelles que les attributions que les Etats membres ne sont pas en mesure d’exercer seuls et qui nécessitent une harmonisation au niveau européen, doit être à la base de la répartition des tâches. L’idée, largement répandue dans l’opinion, que l’Union a vocation à s’occuper de tout et s’arroge le droit d’intervenir sur tous les sujets y compris les plus terre à terre, est une des principales sources de l’europhobie.
- La réaffirmation du principe de la mise en œuvre de « coopérations renforcées», expression signifiant que certains peuvent avancer plus vite que d’autres dans la voie de l’intégration, s’ils le désirent et s’ils en ont les moyens. Ce qu’on nomme parfois l’Europe à plusieurs vitesses ou à géométrie variable existe déjà dans certains domaines (Schengen, la zone euro…) et est d’ailleurs prévu dans les traités mais il devrait être de pratique courante et ne plus être considéré comme un pis-aller et un mécanisme mis en place faute de mieux.
- La priorité à accorder à des sujets que les opinions tiennent pour essentiels et dont elles font grief à l’Union de les avoir insuffisamment pris en compte: la sécurité, la défense commune, la lutte contre le terrorisme, les distorsions de concurrence induites par le marché unique et l’ouverture des frontières (le régime social des travailleurs détachés, les disparités en matière fiscale), la protection de l’environnement et le développement durable, la gestion des flux migratoires et de l’accueil des réfugiés.
On pourrait en citer d’autres tout en observant que les questions liées à la gouvernance économique et financière de l’Union (les idées de désigner un ministre européen du budget ou de réunir un parlement de la zone euro par exemple) ne paraissent pas entrer dans les préoccupations majeures des citoyens de l’Union. Leur pertinence n’est pas en cause mais sont-elles de nature à convaincre ceux qui attendent de Bruxelles des actions concrètes et aisément perceptibles dans leur vie quotidienne ?
Une conclusion s’impose : les projets que vont sans doute se profiler dans le sillage des élections allemandes et verront vraisemblablement Paris et Berlin s’accorder sur une relance européenne demanderont beaucoup d’explications et de pédagogie. Il ne servira à rien d’inventer des mécanismes et des procédures aussi habiles soient-ils, ni d’exalter la nécessité pour le continent de travailler ensemble dans un monde globalisé. Redonner confiance, par des initiatives concrètes, dans la capacité de l’Union à s’affirmer et à s’impliquer efficacement dans les problèmes communs qui se posent aux gouvernements et aux citoyens paraît un préalable inévitable. L’enjeu n’est pas seulement d’imaginer des scénarios et de lancer des propositions, il est de convaincre que l’Union représente un plus et que son rôle ne consiste pas à faire de la concurrence ou de s’impliquer dans ce qui se fait sur le plan national. On peut évidemment regretter que les négociations sur le Brexit, aux péripéties et rebondissements imprévisibles, doivent se dérouler dans le même temps mais elles peuvent constituer un facteur de rassemblement et un élément de cohésion pour les 27 autres partenaires.
Dominique Chassard
Bénévole au SNMUE
2 octobre
Sur ce sujet, on lira avec profit le discours d’E. Macron à la Sorbonne sur le sujet, ou une synthèse des propositions du président français, en quatre pages. On trouvera d’ autres articles sur l’Union européenne sur ce site.