Débats au sein de l’Eglise catholique aux USA
Les débats à l’intérieur de l’Église aux USA sont nombreux, et pas toujours très sereins. L’opposition la plus connue est celle qui divise les pro-life aux pro-choice. Ce qui marque l’importance centrale qu’a prise au fil des ans la question de l’avortement dans le débat ecclésial. Et le recul des questions sociales. Aux Etats-Unis d’abord, et ailleurs peut-être ensuite. La couverture en France de ces débats est déséquilibrée, car ce sont les milieux néo-conservateurs français qui traduisent le plus les articles favorables à leur tendance, et les reproduisent dans des médias catholiques en France. La couverture des débats américains est déséquilibrée pour une autre raison : l’agence américaine de presse catholique Aleteia est de plus en plus présente en France, des médias français reprennent ses informations religieuses et leur donnent une audience disproportionnée. Or cette agence de presse est très conservatrice : favorable à D. Trump (et en France à M. Le Pen), on ne peut en aucune manière considérer qu’elle reflète l’ensemble du catholicisme américain. L’agence Aleteia et son succès sont des bons indices (et à la fois des accélérateurs) de la montée du conservatisme dans le catholicisme américain, et français sans doute aussi. Nous reproduisons ici un article du jésuite Thomas Reese, il est chroniqueur au National Catholic Reporter, media catholique de la tendance « ouverte ou progressiste », selon les catégories américaines.
Plus catholique que le pape
“Plus catholique que le pape” est une plaisanterie qui se réfère aux catholiques conservateurs, mais actuellement certaines personnes croient vraiment être plus catholiques que le pape lui-même.
Quatre cardinaux (dont deux ont récemment rejoint l’au-delà) ont publiquement critiqué le pape en 2016 en publiant ce qu’ils ont appelé une « dubia », demandant au pape des éclaircissements sur ce qu’ils considèrent être ses égarements en dehors de la vraie foi. Le mois dernier, plusieurs douzaines de théologiens ont accusé le pape de répandre l’hérésie.
Le nœud du problème est l’empressement du pape à ouvrir la porte à la possibilité pour les catholiques divorcés-remariés de recevoir la communion, même si le mariage n’a pas été annulé par l’Eglise. Mais cela pose une question plus large : Qui a le droit de remettre en cause les enseignements du pape au sein de l’Église catholique ?
Ces critiques adressées au Pape François mettent les catholiques progressistes dans une position inconfortable. Ces derniers sont fans du Pape François, mais il serait hypocrite de leur part de soudainement idolâtrer la papauté alors qu’ils ont clairement manifesté leurs désaccords avec les papes Jean-Paul II et Benoît XVI. Par ailleurs, les conservateurs qui se montrent critiquent vis-à-vis du Pape François accusaient les progressistes d’être des « catholiques de cafétéria » quand ils étaient en désaccord avec Jean-Paul II ou Benoît XVI.
Tout ce que je peux dire c’est : « Bienvenue à la cafétéria ».
Des débats ouverts et fraternels font grandir la pensée pastorale et théologique
La vérité, c’est que tous les catholiques sont des catholiques de cafétéria. Les catholiques conservateurs oubliaient facilement les engagements de Jean-Paul II et Benoît XVI en faveur de la justice et de la paix, et les progressistes sont heureux d’oublier l’opposition de François à l’ordination de femmes.
Etre en désaccord avec le pape n’était pas bien vu lors des papautés de Jean-Paul II et Benoît XVI. Les évêques, prêtres, théologiens et publications catholiques étaient priés de pleinement partager toutes les déclarations arrivant de Rome. Les prêtres gardaient le silence, les professeurs de séminaires étaient révoqués, et les éditeurs de magazines étaient renvoyés s’ils déviaient de la ligne du parti. Les débats qui avaient eu lieu pendant Vatican II étaient finis. Les candidats à l’épiscopat étaient choisis en fonction de leur loyauté à Rome et non de leur intelligence ou de leurs compétences pastorales.
L’ambiance a changé avec le Pape François. Les évêques sont nommés en raison de leurs compétences pastorales et de leur attention aux pauvres. Les théologiens peuvent parler et écrire librement. Les publications catholiques ne sont pas soumises à la censure. Les cardinaux et les théologiens critiquent publiquement le pape, ce qui n’aurait jamais été autorisé lors des précédentes papautés.
Le pape François ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Il l’a cherché. Au début du synode sur la famille en 2015, il a dit aux évêques : ‘Parler clairement. Ne laissez personne dire « Ceci ne peut être dit, ils penseront ceci ou cela de moi ». Tout ce que nous pensons doit être dit, avec parrhesia (audace). ’
Le mot grec « parrhesia » vient des Actes des Apôtres quand Paul s’oppose à Pierre, le premier pape, et soutient que les chrétiens issus de la Gentilité ne devaient pas être circoncis. Paul obtint gain de cause.
Le Pape François se souvient que, en tant que cardinal lors d’un synode précédent, des officiels de la curie romaine lui avaient énuméré les sujets qui ne devaient pas être abordés. Même si lors des synodes, les évêques sont supposés conseiller le pape, beaucoup d’évêques, lors de synodes précédents, passaient le plus clair de leur temps à citer le pape lui-même. C’était un exercice inutile.
Le Pape François n’a pas peur d’ouvrir la discussion au sein de l’Église. « Des débats ouverts et fraternels font grandir la pensée pastorale et théologique, » a-t-il dit. « Cela ne me fait pas peur. J’y suis même très favorable. »
Bon, il l’a obtenu ! Certaines personnes voudraient le voir sévir contre ses contestataires, moi je l’admire pour sa patience et le soin qu’il met à laisser les personnes exprimer leurs pensées. Il croit que l’Esprit guidera l’Église sur le bon chemin.
Les catholiques ont besoin de grandir et d’apprendre à vivre dans une Église où des discussions peuvent avoir lieu, mais nous ne devons pas laisser les désaccords briser la famille. Nous devons comprendre que les personnes ont des points de vue différents et que nous pouvons apprendre les uns des autres par le dialogue. Plutôt que de nous diviser en factions partisanes, nous devons apprendre que ce veut dire être une communauté.
Thomas Reese sj
3 octobre 2017
(traduction Maria Mesquita Castro)