L’Eglise en Irlande
Visite du pape…
« Jeunes d’Irlande, je vous aime … ». Ce furent les mots du pape Jean-Paul II à Galway en septembre 1979. Les applaudissements ont duré 16 minutes. L’Irlande était en état de pure euphorie. Durant cette visite à une Irlande alors très catholique, la première jamais réalisée par l’évêque de Rome, plus de 1,8 million de personnes, presque la moitié de la population, se sont déplacées pour le voir.
Quatre décennies plus tard, le pape François qui ne passera qu’une journée et demie pour assister à la Rencontre mondiale des familles, sera l’hôte d’une Irlande bien différente de celle de la fin des années 70. Il n’est pas exagéré de dire que l’Eglise en Irlande a vécu un véritable chemin de croix durant ces trente dernières années, quand un premier scandale n’est pas encore surmonté que déjà le suivant apparait.
De nombreuses personnes situent le début de la crise de l’Eglise d’Irlande en 1992 quand Eamon Casey, alors évêque de Galway, a démissionné de sa charge après qu’un journal a révélé qu’il était le père d’un enfant et qu’il avait payé sa maitresse avec des fonds de l’Eglise. Des fidèles catholiques en ont eu le cœur brisé et furent scandalisés, mais être le père d’un enfant quand on est évêque n’était que le sommet de l’iceberg. Les scandales de la pédophilie qui ont suivi ont secoué l’Eglise dans ses fondements. Une série de rapports, rédigés à la demande du gouvernement, ont indiqué que le problème de la pédophilie était endémique, tant au sein du clergé diocésain que des religieux. Il s’est aussi avéré que les congrégations de religieuses ont abusé d’enfants qui leur avaient été confiés. Les « Madeline Laundries[1] » et les « enfants de Tuam[2] » furent l’objet de scandales qui continuent de hanter l’esprit de nombreuses personnes. L’horreur de ce qui s’est passé ne disparaitra pas. C’est là comme vivre un cauchemar qui dure trente ans, ainsi que l’a dit un commentateur.
Tout ceci pourrait-il n’être que le résultat d’une Eglise presque aussi puissante que l’Etat ? Ou bien d’une situation où cette Eglise avait quasiment un contrôle total des domaines de l’éducation et de la santé ? Même aujourd’hui, environ 80% des écoles primaires sont encore dirigées, en théorie, par l’Eglise. Les enfants y « apprennent » aussi les sacrements, la première communion et la confirmation, mais nombre d’entre eux ne franchissent plus que rarement la porte d’une église après le « grand jour ». Il y a trente ans, il y avait sept grands séminaires en Irlande. En septembre 2017, seul le séminaire national à Maynooth reste en fonction avec à peine 41 séminaristes pour les 26 diocèses de l’île. On nous dit que c’est le chiffre le plus bas depuis que le séminaire a été créé en 1795.
Les différentes crises traversées par l’Eglise sont également illustrées par l’adoption de lois que beaucoup considèrent comme contraires à l’enseignement officiel de l’Eglise. En 1980, une loi a permis à toute personne de plus de 18 ans d’avoir accès à la contraception. Le débat sur le divorce a suivi dans les années 80. En 1986, un premier essai a tenté de supprimer l’interdiction constitutionnelle du divorce, sans succès. Mais 10 ans plus tard, en 1996 un referendum a été organisé et le divorce est devenu légal. Les sévères conditions prévues par la loi obligeaient le couple cherchant à divorcer de vivre séparé durant 4 ou 5 ans. Un nouveau referendum est prévu en novembre 2018 qui doit réduire cette période d’attente à deux ans, ce qui rendra le divorce plus facile. L’attention médiatique la plus forte, et cela a même valu une couverture mondiale à cet évènement, s’est portée sur le « référendum pour l’égalité » en 2015, permettant à des couples homosexuels de se marier civilement. Il s’est agi là du premier referendum d’initiative populaire dans le monde sur ce sujet ; dans d’autres pays tel que la France, une législation similaire a simplement été adoptée par le Parlement.
En 2018, un referendum a ouvert la porte à l’avortement jusqu’à 12 semaines, à la demande de la femme. Ce referendum a été adopté à une large majorité de 63%. Alors que 78% de la population se considère comme catholique selon le recensement de 2016, ce score a constitué un choc pour de nombreux catholiques, à savoir que le peuple irlandais avait voté à une telle large majorité contre cet enseignement fondamental de l’Eglise catholique.
La Rencontre mondiale des familles et la courte visite du pape en Irlande doivent en conséquence être vues dans ce contexte d’une société irlandaise qui a traversé des changements sociaux et politiques considérables depuis les années 70. Les défis que doit relever l’Eglise dans les 50 prochaines années sont eux aussi considérables. L’Eglise d’Irlande, comme ailleurs en Europe, doit se concentrer sur la formation de communautés de foi composées de laïcs qui pourront porter cette Eglise blessée vers l’avenir. Sans aucun doute, le plus grand défi sera la transmission de la foi, la question de l’éducation et de la catéchèse, au moment où l’Eglise perd sa place privilégiée dans le monde de l’éducation avec une nouvelle législation prévoyant la cession des écoles catholiques. Avec un clergé vieillissant et peu de structures en place, il y a la crainte que les générations futures de jeunes ne soient pas catéchisées.
Et voici une note plus positive. On constate un engagement et un investissement croissant de laïcs catholiques qui consacrent un temps de bénévolat à leur paroisse, ou qui parfois sont appelés à remplacer le prêtre pour présider des prières lorsqu’aucun prêtre n’est disponible. Quarante ans après l’ordination de diacres en Amérique et en Europe, des diacres permanents sont maintenant formés et ordonnés en Irlande. Il y a une plus grande acceptation chez les laïcs de la réalité que les prêtres de paroisse, souvent âgés, auront bientôt la charge de 5 ou 10 clochers, surtout dans les zones rurales. Les catholiques irlandais sont très généreux vis à vis de l’Eglise de leur pays, et aussi pour soutenir l’Eglise missionnaire à l’étranger. Malgré la chute du nombre de gens pratiquant le dimanche, les pèlerinages à des sanctuaires tels que Knock (où Marie est apparue en 1879), Lourdes, Medjugorje, Fatima ou la Terre Sainte continuent d’attirer des gens relativement nombreux, surtout parmi les gens plus âgés ou malades. D’une manière générale, la simplicité du pape François, son amour des pauvres et sa parole franche sont vus comme une brise d’air frais par beaucoup d’Irlandais, les pratiquants et les non pratiquants de la même manière. Mais sa bataille sera aussi très difficile lorsqu’il cherchera à apporter un espoir à une nation devenue sécularisée, « moderne », et même anti chrétienne. La transition du catholicisme irlandais du 19e au 21e siècle en trente courtes années a été douloureuse. A cette douleur, le pape argentin sera-t-il capable d’apporter quelque réconfort ?
Le pape François n’est peut-être pas capable de faire des miracles, mais certains verront sa visite en Irlande comme celle d’un docteur se rendant dans un hôpital du champ de bataille[3]. C’est là où l’on trouve souffrance, blessure et douleur que les paroles d’espoir du pape seront écoutées attentivement et perçues comme un baume réparateur.
Michael O’Sullivan,
Irlandais, Recteur de Notre-Dame d’Afrique à Alger.
(traduction A. Sondag)
Francis in Ireland The most challenging visit of his pontificate
[1] Littéralement « Blanchisseries de Marie-Madeleine », institutions gérées par des religieuses où des femmes considérées comme « perdues » lavaient du linge et leurs péchés ! Entre la prison et l’institution de prise en charge sociale. Source de nombreux abus… l’un des piliers de l’ordre moral du nouvel Etat libre d’Irlande (note du traducteur). [2] Le « Refuge pour la mère et l’enfant » situé dans le village de Tuam, géré par une congrégation religieuse, permettait à des mères célibataires d’accoucher discrètement. Il semble que des milliers peut-être d’enfants ont été ensuite « donnés » à l’adoption, souvent aux USA, avec, ou sans, le consentement de leur mère biologique… (NdT) [3] Hôpital de campagne, selon l’une des formules favorites du pape François (NdT)