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L’Eglise catholique en Estonie

Entretien avec Mgr Philippe Jourdan[1] , administrateur apostolique de Tallinn (Estonie).

Eglise catholique en Estonie. Cathédrale_Tallin

Eglise St Pierre et St Paul, cathédrale catholique de Tallinn, Estonie.

L’Estonie est le pays balte situé le plus au nord. Sa taille est comparable à celle de la région Midi-Pyrénées ou Rhône-Alpes. Sa population est de 1,3 million d’habitants. Entre 25 et 30% de sa population est constitué de Russes ou de russophones (la même situation que la Lettonie). L’Estonie est devenue membre de l’OTAN et de l’Union européenne en 2004, puis de la zone Schengen et de la zone Euro. Généralement associée à la Lettonie et à la Lituanie au sein d’une région géopolitique Pays baltes (avec une histoire commune, souvent tragique), l’Estonie se veut de plus en plus un pays nordique et regarde vers la Finlande (dont la rapproche la langue) et la Suède…

Situation religieuse du pays

L’Estonie est un pays membre de l’Union européenne. L’estonien est la langue nationale du pays, et l’une des langues officielles de l’Union européenne. Mais il faut se souvenir qu’un bon nombre des ressortissants estoniens sont russophones : sans doute de 20 à 30% de la population a le russe comme langue maternelle ou bien parle le russe en famille (les Russes du pays, les Ukrainiens, les Biélorusses…). Et même 50% dans la capitale Tallinn. Une majorité d’entre eux se disent orthodoxes, même s’ils ne vont guère à l’église. Au point que le pays compte maintenant plus d’orthodoxes que de protestants. La tradition nationale pourtant est constituée par le luthéranisme. Mais la plupart des Estoniens sont détachés de toute appartenance religieuse. 75% d’entre eux se disent sans confession. C’est l’un des résultats du communisme imposé dans le pays durant 50 ans (mais ce n’est pas la seule « cause » de ce phénomène).

Les pays baltes sont très différents les uns des autres. En particulier sur le plan religieux. La Lituanie est catholique, la Lettonie, c’est moitié moitié entre catholiques et protestants[2]. L’Estonie est un pays où les gens sont détachés de toute appartenance confessionnelle. Les Estoniens ne sont pas athées mais simplement détachés. Parfois, on peut constater un retour d’une religion naturelle.

Le catholicisme est réduit dans le pays. Il y a aujourd’hui peut-être 7000 catholiques dans le pays pour une population de 1,3 million d’habitants. Parmi eux, beaucoup de convertis ou d’enfants de convertis. On estime qu’en 1970, il y avait 5 Estoniens catholiques (pas 5 mille, mais 5, les doigts d’une main !).

L’Estonie est un pays d’émigration plus que d’immigration. La problématique des étrangers n’est pas prégnante. Depuis quelques années, la population a cessé de diminuer. Beaucoup sont partis vers Helsinki, font-ils la navette chaque semaine ? Ou bien vont-ils revenir un jour ? On ne sait pas.

Quels sont les défis de cette Eglise ?

Tout est défi.

Le nombre : les catholiques sont moins de 1% de la population. IL y a 80% de non chrétiens dans le pays.

Mais si on regarde d’où on vient, il y a des progrès. Même beaucoup de progrès. C’est même un miracle que dans un pays si petit, avec une Eglise catholique si petite, il y ait encore des catholiques.

Vocation : il y a aujourd’hui quelques prêtres locaux.

Famille : les familles en Estonie sont très fragiles. Et elles sont souvent recomposées. On estime que seuls 13% des enfants vivent avec leur père et mère biologiques, ensemble. Le défi consiste donc à préparer les époux au mariage. A les accompagner ensuite. Accompagnement spirituel pour les convertis (en général non baptisés). Souvent le catholique est le seul baptisé de sa famille.

Autre défi : les écoles catholiques. A la fin des années 80, des parents (de fait catholiques) ont ouvert une école municipale, de fait une école catholique. Qui accueille évidemment une majorité de non-catholiques. Cette école catholique a fait des émules ailleurs. Ces écoles catholiques sont appréciées.

Les mères célibataires. A partir de ces écoles, on s’est occupé des mères célibataires, plus exactement d’adolescentes qui étaient enceintes. Pour qu’elles puissent garder l’enfant. Pour que la maternité n’empêche pas la poursuite de la scolarité de la mère. On a donc créé un programme éducatif et social sur ce créneau des mères célibataires.

La visite du pape

Le pape rencontrera deux groupes de personnes lors de son passage ici : un groupe d’anciens alcooliques (surtout russophones) pris en charge par les Sœurs de Mère Teresa ; et un groupe de mères célibataires (surtout estoniennes).

Le pape ne passera que dix heures en Estonie. Ces deux visites à des groupes un peu marginalisés rappellera que l’Estonie n’est pas qu’une success story. Voilà un message central de sa visite ici.

Le pape rencontrera aussi des groupes de jeunes. Groupes œcuméniques. Ce sera d’ailleurs la dernière rencontre du pape avec des jeunes avant la tenue du Synode à Rome sur les jeunes, la foi et le discernement vocationnel. Le pape rencontrera ces jeunes dans une église, la plus grande du pays, qui est une église luthérienne. Il y aura sans doute plus de 2000 personnes, des jeunes luthériens, catholiques, baptistes et quelques orthodoxes. Les jeunes apporteront des témoignages, le pape écoutera. Pour la visite du pape, nous avons invité des personnes de pays où les catholiques vivent aussi en diaspora (un peu comme en Estonie), c’est-à-dire des gens de Finlande, de Russie, etc…

Qu’attendons-nous de la visite du pape ?

Le thème de sa visite est : Réveille-toi mon cœur. Il s’agit des paroles d’un chant très connu en Estonie, un chant luthérien.

Jean-Paul II était venu en 1993, le thème de sa visite était : n’ayez pas peur. Aujourd’hui, la société estonienne est plus riche, plus solide, plus stabilisée. Les grandes espérances sont en déclin. Avec un risque de repli sur soi. Alors l’attente à l’égard de la visite du pape vise à retrouver une espérance. Un message qui peut toucher y compris des non-catholiques.

Situation œcuménique du pays 

Il existe un seul diocèse luthérien, avec un archevêque et 4 évêques (auxiliaires). L’Eglise orthodoxe est divisée entre celle qui se rattache au patriarcat de Moscou, et celle qui se rattache au patriarcat de Constantinople. Le patriarcat de Moscou a ordonné plusieurs évêques récemment. Le pays compte maintenant une certaine inflation d’évêques !

Il existe un Conseil des Eglises chrétiennes, dont l’évêque catholique est le vice-président. L’œcuménisme est vivant dans le pays. Nous faisons des déclarations communes. En particulier sur les sujets « de société ». On se voit…

 

Interview réalisée par Antoine Sondag
31 août 2018

 

Sur l’Estonie, on lira l’article écrit à l’occasion de la présidence estonienne de l’Union européenne (second semestre 2017).

Sur les pays baltes que le pape visite les 22-25 septembre 2018, on lira aussi la présentation de l’Église catholique en Lettonie et celle de l’Église catholique en Lituanie.

 

L’annexion le 17 juin 1940 de l’Estonie par l’Union soviétique porte un coup fatal à la liberté de religion dans le pays. L’administrateur apostolique, Mgr Profittlich est envoyé en prison, son procès de béatification est en cours aujourd’hui. Sous le régime de l’Estonie, partie intégrante de l’URSS (1940-1991), le catéchisme et la préparation des enfants à la première communion sont interdits. Il n’y a presque plus de catholiques estoniens, les catholiques de langue allemande sont expulsés. Ne restent que quelques centaines de Polonais ou Lituaniens catholiques étroitement surveillés.

La situation change dans les années 1980 avec la perestroïka. À cette époque, il y a 200 baptêmes et 150 conversions. Un nouvel administrateur apostolique est nommé en 1992 quelques mois avant la visite de Jean-Paul II en septembre 1993 en Estonie.

Selon les dernières statistiques, il existerait aujourd’hui près de 7000 catholiques en Estonie dont presque 3000 Estoniens de souche, suivis de descendants de Polonais (près de 900), de Lituaniens (environ 750) de Russes, d’Ukrainiens et de Lettons. Il existe une dizaine de paroisses dans le pays pour une dizaine de prêtres en tout (dont trois religieux), plus une paroisse gréco-latine (c’est-à-dire de rite orthodoxe rattachée à Rome) à Tallinn. Il y a quelques franciscains et dominicains. Des religieuses de Mère Teresa, des franciscaines, des Brigittines…

 

[1] Mgr Philippe Jourdan est français d’origine, né à Dax, prêtre de l’Opus Dei. Il vit en Estonie depuis plus de 20 ans, parle l’estonien et le russe, les deux langues utilisées dans le pays.
[2] Et la population russe ou russophone (30% du total) se dit souvent orthodoxe (note d’A. Sondag)
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