Le nouveau paysage religieux français
Le catholicisme recule en France. A tous les niveaux : la pratique régulière, ceux qui ne fréquentent les églises que pour les grandes fêtes, ceux qui se rattachent à cette religion sans pratiquer (cultuellement)… c’est une tendance de fond depuis 1981.
Présentation de l’enquête et méthodologie
L’Enquête internationales sur les valeurs des Européens (European Values Study) s’est développée depuis les années 1970 pour mieux comprendre les changements sociaux. Dans la période post 68, les valeurs traditionnelles semblaient fortement contestées par les jeunes générations. Des observateurs ont voulu mieux expliquer les profondes mutations de valeurs qui s’amorçaient. Ils ont ainsi mis au point une enquête quantitative pour apprécier l’évolution des européens par rapport aux grands domaines de la vie. Cette enquête a été réalisée pour la première fois en 1981 dans plusieurs pays européens. Un questionnaire très détaillé permettait de mesurer les valeurs concernant la famille, les relations avec autrui, les normes morales, le travail, la religion ou la politique. Les entretiens étaient conduits en face à face au domicile des interviewés ce qui permet une meilleure qualité des informations recueillies (par rapport à des sondages d’opinion réalisées au téléphone).
Il fallait évidemment pouvoir répliquer périodiquement l’enquête pour mesurer ce qui change. Une nouvelle vague d’entretiens a été réalisée en 1990, puis en 1999, en 2008 et finalement en 2017-2018, dans 38 pays. Dans les milieux spécialisés, cette enquête est très reconnue. Les échantillons analysés sont représentatifs, plus de 2500 individus (contre, habituellement, moins de 1000 pour les sondages). Cela permet aussi de zoomer sur différents sous-groupes : des classes d’âge, des niveaux de diplôme, de revenu, des minorités…Les résultats sont présentés par pays(1). Les résultats des chapitres concernant la religion sont présentés ci-dessous.
Recul du catholicisme, croissance des non-affiliés et des minorités religieuses
Le catholicisme recule en France. A tous les niveaux : la pratique régulière, ceux qui ne fréquentent les églises que pour les grandes fêtes, ceux qui se rattachent à cette religion sans pratiquer (cultuellement)… c’est une tendance de fond depuis 1981. On assiste à une contraction d’ensemble du catholicisme français. En 40 ans, cette confession est passée de 70% à 32% de la population.
Cette baisse du nombre des catholiques est le résultat du départ d’une fraction des fidèles catholiques et d’un remplacement générationnel insuffisant. 38% de personnes se déclarant aujourd’hui sans religion fréquentaient un service religieux au moins une fois par mois quand ils avaient douze ans… presque la moitié des sans religion de 2018 a donc été élevée dans une religion, en général catholique.
La croissance des personnes déclarant n’appartenir à aucune religion est la contrepartie de ce processus : elles représentent maintenant 58% de la population de la France.
L’autre enseignement de cette enquête est la croissance des minorités religieuses. Il s’agit là encore de la poursuite d’une tendance ancienne. Mais c’est la première fois que les cultes minoritaires additionnés atteignent 10% de la population adulte.
Les minorités religieuses installées depuis longtemps régressent : juifs et protestants luthéro-calvinistes. Le dynamisme de la mouvance chrétienne protestante est du côté des évangéliques.
L’islam constitue la plus grosse minorité religieuse. 6% de la population s’en réclame. L’évolution en ciseaux de l’islam et du catholicisme devrait se confirmer dans les prochaines années. Les jeunes générations se détachent du catholicisme alors que la situation est diamétralement opposée chez les jeunes musulmans. Le résultat est que, chez les 18-30 ans, les fidèles de l’islam sont en passe d’être aussi nombreux que les catholiques, plus de 13% de musulmans (de ces classes d’âge) contre moins de 15% de ces classes d’âge qui s’affirment catholiques…
Certains résultats de l’enquête confirment des impressions de sens commun. Et d’autres pas du tout. C’est l’intérêt de ces enquêtes qui ne font pas que dupliquer nos savoirs spontanés.
A âge égal, plus les Français sont sortis tard du système éducatif, plus ils sont catholiques pratiquants. Les relations qu’entretiennent le progrès du niveau de connaissance et la religion sont donc moins systématiques que ne le postulent les approches courantes du processus de sécularisation.
De même en ce qui concerne le rapport des cultes à l’urbanisation. La ville a longtemps été assimilée à l’abandon de la religion pour les migrants de l’intérieur venant des campagnes catholiques. Cette vision ne s’applique plus à la France du XXIe siècle. Les grandes agglomérations, celles qui comptent plus de 500 000 habitants, sont plus religieuses que le reste de la France.
Les cultes minoritaires sont également plus dynamiques dans les grandes agglomérations. C’est que beaucoup de musulmans résident dans les grandes villes.
Ce phénomène est probablement à relier à des différences sociales. Les deux groupes professionnels le plus fréquemment catholiques pratiquants sont les directeurs, cadres de directions et gérants, et les professions intellectuelles et scientifiques. Or ces groupes habitent volontiers les grandes agglomérations. Les ouvriers peu pratiquants sont surreprésentés dans la France rurale.
L’analyse des croyances permet de constater que la croyance en Dieu déborde largement l’identification à une religion instituée. Plus que de recul de la religion en France, il faudrait parler de désinstitutionalisation de la religion.
Les théories de la fin de la religion ne sont en rien confirmées par cette nouvelle version de l’enquête sur les valeurs des européens, et des Français en particulier. Il n’en reste pas moins que les églises historiques semblent souffrir d’un discrédit croissant. Les progrès de l’islam et du protestantisme évangélique ne suffisent pas à compenser le recul du catholicisme. S’il est loin d’être en déclin, le religieux de la France du XXIe siècle semble clairement en voie de désinstitutionalisation.
Antoine Sondag,
juillet 2019
(à partir du livre collectif sous la direction de P. Bréchon).
Quelques éléments de commentaire
1 – Le recul du catholicisme : ce n’est pas un scoop. Cela fait des décennies que les sociologues étudient ce phénomène. La « nouveauté », c’est la montée des « sans affiliation » qui est devenue la première religion des Français. Loin devant le catholicisme et l’islam. Ils ne sont pas très nombreux les pays où le détachement vis-à-vis de toute religion constitue le groupe le plus important dans le pays : République tchèque, Estonie, Chine (mais l’indifférence religieuse en Chine est sans doute très compliquée à comprendre pour un Français !).
2 – La France est-elle devenue un pays multiculturel et multireligieux ? Sans doute non. La tradition, l’histoire, l’héritage restent celui d’un pays majoritairement catholique. Mais la majorité catholique s’est beaucoup effritée, et certains cultes minoritaires progressent. Donc le paysage religieux donne une impression plus équilibrée que l’hégémonie catholique de jadis.
3 – Il y a en France de nombreux non-catholiques, des personnes non-baptisées et qui n’appartiennent à aucune autre confession religieuse. Sans doute la moitié ou plus des classes d’âge entre zéro et trente-cinq ans. Pourrait-on dire qu’il s’agit d’un « peuple qui n’a jamais entendu parler de Jésus-Christ » ? Évidemment non. Alors, qu’en dire ? et comment leur parler de l’Évangile ?
4 – Il y a en France un groupe très nombreux de personnes qui ne s’identifient à aucune confession religieuse, mais qui, dans leur jeunesse faisaient partie d’une Église. En France, évidemment, ils faisaient surtout partie de l’Église catholique. En Allemagne, on dirait qu’ils sont sortis de l’Église. En France, une infime minorité parmi eux se font « débaptiser » en écrivant une lettre à l’évêché de leur lieu de naissance/baptême. La plupart ne disent rien et ne font rien. Et répondent aux enquêteurs qu’ils n’appartiennent à aucune confession religieuse. Comment les désigner ? Nous n’avons pas de mot pour les désigner. Combien sont-ils ? Divers recoupements à partir de l’Enquête européenne sur les valeurs font penser qu’ils sont au moins 10 millions. On ne s’intéresse à eux que lorsqu’ils quittent leur « apostasie » et reviennent : on les désigne alors du nom de recommençants.
Les adeptes de l’annonce explicite proclament le nom de Jésus sur les places publiques. Et s’entendent répondre : l’Évangile, Jésus, on connait déjà !
5 – La non affiliation religieuse, majoritaire en France, l’indifférence religieuse (qui ne se confond pas avec l’athéisme) sont des défis pastoraux. Qui se saisit de ces défis ?
Antoine Sondag,
juillet 2019.
(1) Pour la France, on trouvera les principaux résultats de la dernière analyse dans l’ouvrage : P. Bréchon, F. Gonthier, S. Astor (dir), La France des valeurs, quarante ans d’évolutions, Presses universitaires de Grenoble, avril 2019, 382 p., 27 €
Pour aller plus loin : Le défi pastoral de l'indifférence religieuse en France.