Regard sur le Maroc
Le samedi 10 mars 2018, l’Église catholique du diocèse de Rabat accueille son nouvel archevêque, Mgr. Cristobal Lopez Romero. Quel Maroc, le nouvel archevêque trouvera-t-il ? Le diocèse de Rabat correspond à l’ensemble du Maroc, sauf la ville de Tanger, second diocèse dans le pays. Mgr Cristobal a été nommé suite à la démission pour raison d’âge de Mgr Vincent Landel.
Regard sur le Maroc
Le samedi 10 mars 2018, l’Eglise catholique dans le diocèse de Rabat a eu la joie d’accueillir son nouvel archevêque, Mgr. Cristobal Lopez Romero, en la cathédrale St. Pierre. Quel ‘paysage’ trouvera-t-il, ou plutôt retrouvera-t-il puisqu’il a été en tant que salésien, entre 2003 et 2011, responsable de la paroisse du Christ-Roi de Kénitra et directeur du complexe éducatif Don Bosco ? Regards sur un pays, à la fois proche et lointain.
Un pays d’environ 35 millions d’habitants, à majorité urbaine (dont Casablanca, Rabat-Salé et Fès qui dépassent le million), et dont la démographie s’est modifiée au fil des décennies (selon les statistiques récentes, l’indice de fécondité n’est plus que de 2,3).
Un royaume qui a à sa tête (depuis juillet 1999, à la suite d’Hassan II) le roi Mohammed VI (qui a subi tout récemment une intervention cardiaque, à Paris) qui a habilement su gérer les soubresauts du « printemps arabe » (2011) et dont le fils, Moulay Hassan (15 ans d’ici quelques semaines) accomplit progressivement des représentations à la place de son père.
Un pays faisant pleinement partie de la « ouma » musulmane et de l’OCI (Organisation de la conférence des Etats islamiques) mais intégrant depuis des siècles une communauté juive (réduite aujourd’hui à 2 ou 3.000 personnes). Le souverain porte le titre de « Commandeur des croyants ». Le pays a été frappé par des attentats terroristes (45 morts) en 2003 (puis, dans une moindre mesure en 2007 encore à Casablanca et 2011 à Marrakech) et conservant une vigilance exacerbée (notamment vis-à-vis des 1.600 ‘combattants partis faire le djihad’), les autorités annoncent régulièrement l’arrestation de « cellules ». Tous les efforts sont déployés pour insuffler un « islam du juste milieu » (sunnite, de rite malékite et de ‘spiritualité’ soufie) – que d’aucuns qualifient de ‘conservateur’, avec de fortes interactions sur les pesanteurs socio-culturelles (relations hommes-femmes, …) -, à travers un réseau de 50.000 mosquées et des institutions comme le Conseil supérieur des oulémas, la ‘Rabia Mohammedia des oulémas’ (recherche en sciences islamiques), ‘l’Institut Mohammed-VI pour la formation des imans et mourchidates’ (avec des étudiants marocains mais aussi subsahariens, voire même européens) et des médias.
Un pays maintenant doté d’infrastructures modernes (1800 km d’autoroutes ; le nouveau port Tanger-Med devenu un ‘hub’ compétitif sur la côte méditerranéenne ; d’ici quelques mois, une ligne TGV entre Tanger et Casablanca ; électrification quasi généralisée ; plusieurs grands stades si bien que le Maroc vient de postuler pour accueillir la Coupe du monde de football en 2026 ; etc.). Les revenus économiques reposaient sur 3 piliers : les phosphates, le tourisme et l’argent des « remises de salaires » de la diaspora, sans oublier, de façon informelle, l’argent de la drogue (cannabis). Différentes incitations ont été promues comme des zones franches pour favoriser une diversification industrielle. Si le textile marocain reste soumis à vive concurrence (Tunisie, Turquie …), l’industrie automobile (tout particulièrement Renault-Nissan, et très bientôt Peugeot) est devenu le secteur n°1 pour les exportations, tandis que la production de pièces aéronautiques progresse rapidement. Ces dernières années, des quartiers ultramodernes ont été érigés pour accueillir des sociétés ‘offshore’ faisant le pont entre l’Europe et l’Afrique.
Si le Maroc se classe comme 6ème ‘puissance économique’ du continent, les inégalités sont très fortes (à la fois entre individus, comme en atteste notamment la persistance de bidonvilles à l’opposé de villas luxueuses et imposantes, mais aussi entre régions, certains allant jusqu’à parler d’un ‘Maroc utile’ englobant les trois régions côtières avec plus de richesses que les 9 autres régions). Certains indicateurs sociaux médiocres (analphabétisme ; mortalité infantile ; chômage de l’ordre de 10% sans compter les nombreux travailleurs de l’économie informelle ; …) le font classer au 126ème rang pour l’IDH de l’organisme onusien PNUD (Indice de Développement Humain), assez loin derrière la Tunisie et l’Algérie. Face à une recrudescence du mécontentement social prenant racine dans des promesses d’accès au ‘développement’ non atteintes (notamment dans les régions du Rif et de l’Oriental), dans un discours (octobre 2017) à l’ouverture d’une session parlementaire, Mohammed-VI a appelé clairement à « une reconsidération du modèle de développement marocain » pour qu’il soit « équilibré et équitable ». Cette perspective mérite d’être concrétisée.
La rencontre sera très certainement l’un de ses maîtres-mots.
Depuis 1975 (retrait subit et non préparé des Espagnols), le Maroc revendique le ‘Sahara occidental’, en se référant à l’allégeance de chefs de tribus vis-à-vis du Sultan (ancienne appellation du Roi) et considère qu’il s’agit de ‘provinces du Sud’ faisant intégralement partie de son territoire pour lesquelles le Maroc propose une ‘autonomie avancée’. Malgré un arrêt de la Cour de justice de La Haye, le différend n’est pas tranché. Le mouvement indépendantiste (Front Polisario), accueilli et soutenu par l’Algérie, s’est érigé en ’République arabe sahraouie démocratique’ reconnue par un certain nombre d’Etats. Outre des sommes financières sans commune mesure consacrées de part et d’autre, ce conflit larvé bloque les relations intermaghrébines. Pour les Nations Unies, il s’agit jusqu’à présent d’un ‘territoire non autonome’ si bien qu’à la suite de démarches juridiques fort complexes, la Cour de justice de l’Union européenne vient de déclarer (le 27 février 2018) que l’accord de pêche Maroc – Union Européenne en vigueur ne pouvait s’appliquer pour les eaux adjacentes très poissonneuses. Les tracas et négociations dureront sans doute encore de longues années, en tenant compte de sa position stratégique entre différents mondes et de son influence.
Un pays dont pratiquement 10% de la population a émigré (la communauté marocaine est évaluée à près d’un million en France ; à 800.000 personnes en Espagne ; à 500.000 en Italie ; d’autres en Belgique, Hollande, au Canada et USA, dans des pays subsahariens, des pays du Golfe, etc).
Du fait de sa proximité avec l’Europe (le Détroit ‘de Gibraltar’ n’est que de 14km), depuis les années 90, le Maroc est devenu « pays de transit » et « pays d’accueil » les deux en même temps. L’Union Européenne, avec sa politique non dissimulée « d’externalisation des frontières », courtise de plus en plus le Maroc (en le finançant généreusement), quitte à fermer les yeux sur des atteintes aux droits de l’homme, pour qu’il rende imperméable ses 3.500 km de côtes. Cependant, la présence de deux ‘enclaves’ (Ceuta et Melilla) auxquelles l’Espagne s’accroche (la Grande-Bretagne s’accrochant tout autant à Gibraltar, juste en face), est l’objet de part et d’autre, de vives tensions, de trafics et de nombreux drames. Selon les ‘hautes instructions’ de Mohamed-VI, deux campagnes de ‘régularisation’ des migrants (dont la plupart étaient en situation irrégulière et victimes de discriminations) ont été menées (2013/14 et 2017/18), accompagnées de mesures (encore insuffisantes) d’intégration.
Un pays en déficit alimentaire non négligeable, car s’il exporte des tonnages impressionnants d’agrumes, de légumes, d’olives, etc, il doit en même temps importer 40 à 60% (selon les années) de ses besoins en céréales et sucre, 100% de son thé, des dattes, etc. L’ambitieux « plan Maroc Vert » impulse inévitablement un impact beaucoup plus important dans les grandes plaines (et grandes propriétés) mécanisées et souvent irriguées que dans les zones de petite et moyenne montagne où les paysans et éleveurs cumulent souvent les handicaps (très petites surfaces, sols caillouteux, aridité, enclavement, absence de services techniques, etc.).
Un pays sans ressources pétrolières (contrairement à l’Algérie voisine), dépendant énergétiquement mais qui, par des investissements importants, vise à couvrir 52% de ses besoins dès 2030 – contre déjà 32% actuellement – par des sources renouvelables (énergie hydraulique, éolienne et solaire).
Un pays qui, malgré une politique ancienne de construction de barrages, souffre de plus en plus de pénurie d’eau et de dégradation de l’environnement (déforestation, érosion,…). Le « réchauffement climatique » a déjà et aura de lourdes conséquences (exode rural, …). En plusieurs localités, des ‘émeutes de la soif’ ont éclaté. Et notamment dans le Souss (à l’Est d’Agadir) la baisse des nappes phréatiques, conjuguée au mécontentement d’une main d’œuvre peu rémunérée, a conduit à l’abandon de certains domaines agricoles. Des investisseurs se sont reportés plus au Sud, puisant dans des nappes profondes pour produire et exporter notamment des ‘tomates-cerises’ et melons (que l’on trouve couramment dans nos supermarchés).
La Constitution rédigée et approuvée par référendum en 2011, ne prévoit pas la « liberté de conscience » (quelques voix se font entendre pour la réclamer) mais une « liberté de culte ». Officiellement, seuls des étrangers peuvent être chrétiens (ou d’une autre religion). La présence de quatre Églises (catholique ; évangélique ; anglicane et orthodoxe) est reconnue et acceptée à condition de ne pas faire de prosélytisme. Dans une position de rencontre, de ‘gratuité’ et de témoignage par la prière et le service, l’Église catholique est en partie animée par la spiritualité ‘Charles de Foucauld’ (dont la conversion lui a été inspirée après son voyage d’exploration à travers le Maroc alors quasi-interdit en 1883/84). Les rares estimations indiquent 30 à 40.000 chrétiens, à majorité catholique, pour 2 diocèses, Rabat et Tanger. Les évolutions ont été importantes : en une vingtaine d’années, d’une Église ‘européenne’ (et vieillissante) elle est devenue ‘africaine’ (et jeune), sans oublier des ressortissants des autres continents (diplomates ; entrepreneurs ; marins le temps d’une escale ; etc). Constituée en majorité d’étudiants et de migrants, elle est aussi cosmopolite (peut-être 90 nationalités), avec de forts contrastes socio-culturels et se renouvelant rapidement. C’est ainsi que des localités d’où l’Église s’était retirée ont vu réapparaître de (très) petites communautés (en fonction de la présence d’Université et/ou Écoles), dont l’accompagnement constitue un des enjeux de la Pastorale actuelle et des années à venir (avec toutes les difficultés pratiques que l’on peut imaginer, notamment au niveau des distances à parcourir). C’est ainsi qu’au fil des années, des liens et échanges ont été tissés avec les Églises du continent. L’œcuménisme est aussi une réalité importante et vivante. En 2012 est né à Rabat l’institut ‘Al Mowafaqa’ de formation théologique, initiative commune entre l’Église catholique et l’Église évangélique (et en liaison étroite avec l’Institut catholique de Paris et la Faculté protestante de l’Université de Strasbourg). Sur le plan du ‘social’, et sans détenir un monopole d’exercice de la Charité, Caritas Maroc se veut être « la proximité de Dieu auprès des plus humbles, sans distinction de culture ou de religion » (selon l’expression de Mgr. Vincent Landel, en avril 2009). Ce service, tout en restant modeste (à l’image de l’Église) est un signe de ‘dialogue de vie’ et innovateur (comme il y a une quinzaine d’années pour l’accueil et l’écoute des premiers migrants), l’Église évangélique disposant aussi d’une entité de solidarité.
Si des chrétiens se convertissent à l’islam (par choix personnel, par suite de ‘pression’ du milieu, ou par obligation lorsqu’un homme veut épouser une marocaine, le mariage civil n’existant pas), il y a des conversions de Marocain(e)s, secrètes (cf. la Constitution), en petit nombre, vers diverses Églises de la ‘famille protestante’. Les estimations restent vagues mais se situent entre 3 et 5.000. Événement, en novembre 2017, lorsque des représentants de ‘minorités religieuses’ ont demandé (à visage découvert) une clarification des textes sur la liberté de culte. On peut donc penser que ce mouvement encore peu perceptible se poursuivra, non sans interroger la hiérarchie catholique.
Le nouvel évêque de Rabat sera donc pasteur d’un diocèse multi facettes, dans un environnement en mue permanente. La « rencontre » sera très certainement l’un de ses maîtres-mots.
Vincent Sibout
ancien directeur de Caritas Maroc (2005/15)
Communiqué de presse du diocèse de Rabat à l'occasion de l'ordination de son nouvel évêque et livret liturgique de l'ordination