Béatification de Pierre Claverie
Béatification en Algérie de Pierre Claverie et ses 18 compagnons.
Une méditation.
Béatification de Pierre Claverie et de ses 18 compagnons
La célébration de la béatification de Pierre Claverie et de ses 18 compagnons aura lieu le samedi 8 décembre 2018, au sanctuaire de Notre-Dame de Santa Cruz d’Oran. Depuis l’Algérie, leur béatification sera pour l’Église un appel pour bâtir ensemble un monde de paix et de fraternité.
Pierre et ses 18 compagnons sont reconnus martyrs : morts en témoins de la foi catholique. Ils avaient voulu rester en Algérie durant la décennie noire de la guerre civile (1990-2000) et cet amour et solidarité avec leurs frères algériens et musulmans les a conduits à la mort, une mort acceptée d’avance. Leur assassinat ne saurait être séparé de la mort violente des 100 000 Algériens tombés victimes du déferlement de violence durant cette période noire de l’histoire de l’Algérie. Martyrs avec les Algériens, et non contre eux !
On lira le message des évêques d’Algérie sur le sens à donner à cette béatification.
D’autres chrétiens martyrisés…
Je pense aux autres chrétiens assassinés durant cette décennie en Algérie.
Je pense aux techniciens croates venus travailler sur un chantier à Timezguida (Médéa). Ces Croates venaient de Bosnie, et parmi eux il y avait donc des Croates (ethniques, de nationalité bosniaque) et des ressortissants musulmans de Bosnie. Les assaillants sont venus dans leur baraquement, ils ont séparés les musulmans des chrétiens, en vérifiant ceux qui étaient circoncis, pour ne tuer que les chrétiens.
Le juste parmi les musulmans. Parmi les ouvriers musulmans (qui ont donc réchappé à ce massacre), l’un d’entre eux a menti, au risque de sa vie, et a prétendu que les trois compagnons qui partageaient sa chambre étaient eux aussi musulmans comme lui. Ceux-là ont été épargnés.
Les autres, chrétiens, ont été tués le 14 décembre 1993 par ce groupe armé. Douze hommes émasculés et égorgés parce qu’ils étaient chrétiens.
Les moines de Tibhirine voulaient témoigner pour ces malheureux Croates égorgés à portée de voix ou presque de leur propre monastère. Ces douze hommes étaient des pauvres, des travailleurs venus de loin pour gagner le pain des leurs sur un chantier de grands travaux. C’est parce qu’ils étaient Croates, et chrétiens supposés, qu’on leur avait fait subir le supplice. Parce qu’ils étaient leurs voisins, et venaient quelquefois au monastère, les frères de Tibhirine et eux seuls, les avaient nommés à la face du monde. On était encore dans des périodes où ce genre de nouvelles tenait en peu de lignes dans les journaux. Par bonheur, il y avait des moines, des êtres de silence, mais qui surent parler quand il le fallait. « Si nous nous taisons, avaient-ils écrit dans le journal La Croix, les pierres de l’oued crieront jusqu’aux cieux».
La tribune a paru le 24 février 1994. Les moines ont été assassinés en avril 1996. A la manifestation du Trocadéro en mai pour réclamer la libération des moines (on ne savait pas encore qu’ils avaient déjà été assassinés), il n’y avait ni discours, ni slogans, ni pancartes, mais une seule grande bannière blanche avec l’inscription : si nous nous taisons, les pierres crieront.
J’ai cherché sur internet plus d’une heure sur les listes de victimes, pour retrouver le nom des douze Croates. Je n’ai pas trouvé. Les douze Croates sont oubliés. Jusqu’à leur nom qui a disparu. Perdus dans la tragédie collective de la « sale guerre », de la décennie noire qui a fait tant de victimes.
Si nous nous taisons, les pierres crieront.
Sociologie de la sainteté
Les religieux, religieuses et prêtres sont plus facilement canonisés que les laïcs. Les ordres religieux se préoccupent de faire canoniser les membres martyrs de leur congrégation. Les ordres religieux sont fiers de compter des saints dans leur congrégation. Ces ordres dépensent du temps et de l’argent pour faire canoniser certains de leurs membres.
Cette sociologie déséquilibrée de la sainteté canonisée (plus de prêtres et religieux que de laïcs) est bien connue des spécialistes. Les familles des Croates venus en Algérie pour gagner leur pain n’ont pas demandé la béatification de leur époux, fils ou père.
Jean-Paul II connaissait évidemment cette sociologie atypique de la sainteté. Il a voulu y remédier en canonisant beaucoup de saints et de saintes, y compris évidemment des laïcs. Le pape François continue sur cette lancée. En facilitant la béatification puis canonisation des martyrs, il pourra créer beaucoup de nouveaux saints. Les martyrs ont été nombreux au XXe siècle, le siècle le plus violent de l’histoire : guerres mondiales, camps de concentration, répression contre les populations civiles durant les dictatures militaires en Amérique latine, répression dans le monde soviétique, au Laogaï chinois… De 1940 à nos jours, il y a eu plus de martyrs que durant les premiers siècles de notre ère !
Les anonymes, les victimes, ceux dont on a oublié jusqu’au souvenir et jusqu’au nom !
Je pense aux paysans de l’altiplano péruvien assassinés durant les années de répression au temps de la sale guerre contre le Sendero luminoso ! Assassinés parce qu’ils refusaient de rejoindre la guérilla. Assassinés par l’armée parce que accusés de soutenir la guérilla.
Oubliés de l’histoire officielle. La paix au prix de l’amnistie. Oubli. Amnistie. « Vérité et réconciliation », mais il n’y a pas de vérité !
Il ne reste que la prophétie d’Isaïe (56, 5) : « Et je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs une place (Yad) et un nom (Shem) qui ne seront pas effacés ».
Antoine Sondag,
30 octobre 2018
On lira avec profit la Lettre pastorale de Mgr Desfarges, archevêque d’Alger, de novembre 2018 qui aborde les thèmes traités dans l’article. Sur le même sujet, on lira également Interview de Mgr Desfarges à Jeune Afrique et Les martyrs d'Algérie.