Le Liban se révolte !
Depuis le 17 octobre 2019, au Liban, le peuple manifeste contre la classe politique qui dirige le pays depuis une trentaine d’année, classe accusée de corruption, de clientélisme et d’incompétence.
En effet, le pays du Cèdre connait un mouvement de contestation sociale sans précédent et des centaines de milliers de Libanais expriment dans la rue un ras-le-bol général dans l’un des États les plus inégalitaires au monde… Les chiffres sont alarmants et la colère ainsi justifiée : une dette publique de 150% (la troisième la plus élevée au monde), des déficits jumeaux avec un déficit de l’État atteignant les 10% et un déficit des comptes courants de 25%, une inflation galopante dont le taux a dépassé les 6%, le tiers de la population vivant sous le seuil de pauvreté et un taux de chômage qui avoisinerait les 30% chez les jeunes…
S’ajoute à cette réalité économique dégradée une situation sociale non moins fébrile. En effet, le délaissement des régions périphériques, la déliquescence des infrastructures, la quasi-absence de transport collectif et le mauvais fonctionnement des services publics en général, illustré notamment par les nombreuses coupures d’électricité, n’ont eu de cesse de nourrir la colère populaire.
L’annonce de la création d’une taxe sur les appels WhatsApp entre autres fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres. Le peuple libanais est alors spontanément descendu dans la rue et malgré le rétropédalage du gouvernement et la suppression quasi-instantanée de la taxe en question, le mouvement politique non politisé continuait de gagner en ampleur. Un nombre grandissant de citoyens, de tous âges et de toutes confessions, ont occupé des places et rues dans diverses régions du pays du Nord au Sud en passant par la capitale. La très importante diaspora libanaise s’est également mobilisée (France, Allemagne, Australie, États-Unis, Ghana…).
Les revendications
Pendant plus de deux semaines, les institutions publiques, banques, écoles et universités ont fermé leurs portes ainsi qu’un grand nombre de magasins. De plus, la majeure partie des routes du pays fut bloquée par les manifestants que la série de réformes présentée le 21 octobre par l’ex premier ministre Hariri n’a pas convaincus. Les foules mobilisées réclamaient un changement radical du système politique libanais. Parmi les revendications principales figurent :
- La démission du gouvernement (intervenue le 29 octobre), du président et du parlement
- L’organisation d’élections législatives anticipées
- La formation d’un gouvernement de spécialistes, de « technocrates »
- La restitution de l’argent public détourné par la classe politique
- La garantie de certains droits sociaux tels que la Sécurité Sociale, le système de retraite, etc.
De nombreux Libanais réclament par ailleurs l’abolition du régime confessionnel. En effet, ce pays, créé en 1926 et indépendant depuis 1943, reconnaît officiellement 18 communautés religieuses notamment chrétiennes (dont une majorité maronite) et musulmanes (sunnites, chiites et druzes). Le Liban est une république parlementaire confessionnelle où la répartition du pouvoir s’effectue donc sur une base confessionnelle. Ainsi, le Président de la République est maronite, le premier ministre sunnite et le président du Parlement chiite. Actuellement, il s’agit respectivement de Michel Aoun (ancien chef des armées libanaises dans les années 1980), Saad Hariri jusqu’à sa démission (il avait succédé à son père Rafiq Hariri victime d’un attentat en 2006) et Nabih Berri (depuis 1992 sans discontinuité).
Ainsi, la même classe politique tient les rênes du pouvoir depuis la guerre civile (1975-1990). Les Libanais dénoncent cette monopolisation du pouvoir par une poignée de dynasties et la crise qui a éclaté est une crise de légitimité et de confiance.
La position des Églises du pays
Face à cette situation de crise, les patriarches, évêques et supérieurs généraux des différents ordres monastiques des Églises du Liban (catholiques, orthodoxes et évangéliques) se sont réunis le 23 octobre à Bkerké, siège du patriarcat maronite, et ont lancé un appel commun.
Structuré en trois parties, cet « Appel de Bkerké » s’adresse à la classe politique, aux citoyens et à la communauté internationale. Dans un premier temps, les représentants des diverses Églises exhortent les dirigeants à garantir un système démocratique avec un gouvernement crédible, une justice indépendante, une transparence et une décentralisation administrative, ainsi que l’accès aux soins et à l’éducation pour tous. Interpellant directement le Président, « gardien de la Constitution et garant des Institutions », ils lui demandent d’entamer sans plus attendre des consultations avec les différentes figures du pays pour répondre aux revendications justes des citoyens.
Dans une deuxième partie, les représentants religieux s’adressent au peuple et lui conseillent de « préserver la pureté et le pacifisme » du mouvement afin d’éviter que celui-ci ne se transforme en coup d’État anti-démocratique. Soutenant le peuple révolté, ils demandent toutefois que la liberté de circulation soit rétablie et que des porte-paroles soient désignés.
Dans une troisième et dernière partie, les Églises ont appelé la communauté internationale à soutenir le Liban notamment au vu des guerres en cours dans les États voisins, afin que le Liban reste le « message » comme l’avait qualifié le pape Jean Paul II.
Par ailleurs, suite à la session mensuelle des évêques maronites du 30 octobre, le Cardinal Raï a remercié le pape François qui avait prié et lancé quelques jours plus tôt un appel pour le dialogue au Liban, afin que « ce pays continue d’être un lieu de coexistence pacifique et de respect de la dignité et de la liberté de chacun ».
Lara Njeim
Étudiante libanaise en France
05 novembre 2019