Citoyenneté et minorités au Moyen-Orient

Le 31 janvier 2020, l’Œuvre d’Orient organisait, à l’Institut du Monde Arabe, une rencontre ayant pour thème :  Quelle citoyenneté pour les minorités au Moyen-Orient ?

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Le monastère Saint-Georges (4ème siècle) s’accroche dangereusement aux parois rocheuses, dans la vallée du Wadi Qelt, en Cisjordanie.

Définition d’une minorité aujourd’hui au Proche-Orient

Tigrane Yegavain, journaliste et auteur de « Minorité d’Orient, les oubliés de l’Histoire(1) », a defini le terme de minorité à partir de trois idées :
– le concept de minorité est un concept récent qui a émergé au 19ème /20ème siècle et n’est pas accepté universellement y compris par ceux qui a priori seraient les premiers intéressés.
– dans le contexte moyen-oriental, le concept de minorité renvoie à celui de « diminitude » compris comme pacte, engagement réciproque entre le pouvoir musulman sunnite et ses tributaires obligés, encore très présent même si l’empire ottoman a disparu depuis longtemps.
– notion d’abord liée au passage de l’empire multi-ethnique et pluriconfessionnel ottoman aux États-nations plus ou moins artificiels selon les cas.
Cela nous invite à repenser les ruptures et les continuités de ce concept à la lumière du passé et du présent.

La question de l’Orient émerge du partage des provinces de l’empire Ottoman. Dans cette perspective, le fait minoritaire prend une importance stratégique, les minorités sont instrumentalisées par les puissances « colonisantes ». Quand on parle aujourd’hui des minorités d’Orient, cela renvoie souvent à l’idée de communautés persécutées, à la nécessité de respecter leur droit à l’existence dans un environnement de plus en plus intolérant, à la nécessité de les protéger.
Pour définir une communauté religieuse minoritaire au Moyen-Orient, on s’appuie sur des données numériques (souvent fantasmées car peu de données précises existent) qui ne prennent pas en compte les diasporas qui sont aussi actrices des évolutions.

En Orient, la définition de minorité peut poser un problème au niveau sémantique et il faut donc s’entendre sur cette définition. Minorité, par rapport à qui et selon quels critères ?
Trois critères sont retenus : religieux par rapport aux musulmans sunnites, ethnique par rapport à la majorité arabe ou arabisée et géographique.

C’est une mosaïque autochtone, ces minorités sont chez elles, elles ont précédé l’Islam mais souffrent d’un sentiment de déracinement progressif et de l’accusation d’être la 5ème colonne de l’Occident ou les descendants des croisés. Ces accusations sont injustes car ces communautés sont très ancrées dans leur territoire, très nationalistes.
Cela a conduit à en faire des communautés menacées. En Égypte, au début du 20eme siècle, les coptes représentaient entre 15 et 20% de la population contre 5% actuellement. En Syrie, la situation est critique, le nombre de chrétiens a baissé de 50% depuis le début de la guerre et en Irak, leur nombre a baissé de 80% depuis l’invasion par les USA.
Les autres communautés minoritaires, dont on ne parle pas pour certaines, connaissent aussi un déclin démographique.

Le système des « millets », système d’autogouvernement par les minorités, hérité de l’empire Ottoman et qui perdure dans certains États, constitue un obstacle à l’émergence d’un sentiment de citoyenneté.
Dans ce système, le statut personnel n’est pas régi par un droit civil national mais sur la base de l’appartenance religieuse. Dans ces sociétés, l’athéisme n’est pas reconnu et l’apostasie peut être considérée comme un crime.

Actuellement, les communautés orientales, à l’exception des coptes, comptent plus de croyants en diaspora que dans les pays d’origine, ce qui crée de nouvelles solidarités politiques.

Rôle historique de ces minorités dans ces sociétés

Charles Personnaz, directeur de l’Institut National du Patrimoine, nous explique que le Patrimoine est une notion de grande fragilité dans ces communautés, ce qui n’était pas le cas avant l’arrivée de l’Islam. Sa place a été plus ou moins importante pendant toute l’histoire islamique en fonction du poids démographique. La mosquée ne remplace l’église qu’à partir du 10ème, 12ème siècle. Les chrétiens d’Orient connaissent un nouveau souffle démographique au 18ème siècle si bien qu’avant la 1ère guerre mondiale, l’empire Ottoman comptait 20% de chrétiens.

Cependant quand les communautés disparaissent leurs traces s’effacent, leur patrimoine disparait. Comment sortir de cette fragilité ?
Le patrimoine marque la présence millénaire et l’enracinement de ces communautés dans la région, il est essentiel dans la reconnaissance d’une citoyenneté pleine et entière et la protection des cultures particulières.
Le concept de citoyenneté, dans lequel entrent le patrimoine et l’éducation, est le concept par lequel ces minorités peuvent manifester leur présence.

Les communautés chrétiennes orientales sont très actives dans le domaine de l’éducation. Le 17ème siècle marque le début du développement des écoles via les congrégations religieuses avec un boom à partir du 19ème siècle. Ces écoles, ouvertes à tous, existent toujours et accueillent environ 400 000 élèves (filles et garçons, riches et pauvres…). Elles accueillent en moyenne 60% de musulmans (à Gaza, 90% des élèves sont musulmans).
Pour certaines de ces écoles, il est difficile de garder des élèves chrétiens du fait des départs successifs. Ceci entraine des problèmes de pédagogie car le but de ces écoles est de faire vivre ensemble au quotidien chrétiens et musulmans.
Ces écoles passent souvent par la langue française qui traduit une volonté de transmettre un esprit critique, une ouverture au monde et une forme de laïcité en faisant la part de ce qui est religieux et du reste de l’enseignement pour offrir une citoyenneté pleine et entière à ces communautés. En Égypte, le patriarche est en train de développer un réseau d’écoles sur le modèle de ces écoles catholiques.

Quelle nouvelle citoyenneté aujourd’hui ? Quelle place pour les minorités au Liban ?

Nayla Tabbara est directrice de l’Institut de la citoyenneté et de gestion de la diversité de la Fondation Adyan(2) basée à Beyrouth. Cette théologienne musulmane travaille sur la notion de « l’autre » et sur une citoyenneté inclusive des diversités.

Le mouvement citoyen au Liban découle d’un éveil citoyen contre la corruption, le clientélisme, le confessionnalisme… La corruption se faisant par un clientélisme lié au confessionnalisme. Pour accéder à leurs droits, les citoyens libanais doivent passer par les chefs politiques appartenant à leur confession.
Les Libanais demandent un nouveau contrat social pour toutes les confessions religieuses. Ils sont nombreux à se revendiquer athées ou agnostiques, un phénomène nouveau au Liban.
Chaque jour, sous des tentes, des conférences-débats sont consacrées aux sujets que la société civile travaille depuis une vingtaine d’années, les citoyens ont la volonté de travailler sur des feuilles de route pour l’avenir.

Les Libanais ont envie de laïcité dans une société où il n’existe pas de droit civil, où le droit personnel est « confessionnalisé ». Si on veut mourir au Liban, il faut être « confessionnalisé » !
Les Libanais demandent une citoyenneté inclusive avec un lien direct citoyen-état qui serait respectueux de la diversité, des droits culturels, de la liberté de religion et de conviction. Ils ne veulent pas d’un système nationaliste qui fusionnerait tout le monde dans une identité unique

Nayla Tabbara demande que les sociétés du Moyen-Orient ne soient pas lues seulement à travers le prisme des confessions, de ne pas oublier que des membres des majorités ne partagent pas forcément le discours véhiculé par leurs « porte-paroles » et de rester attentifs à leur liberté de religion et de conviction.

Le mouvement de contestation aujourd’hui en Irak

Hosham Dawod est anthropologue, chercheur au CNRS et spécialiste de l’Irak où il dirigeait jusqu’en septembre 2014 la branche irakienne de l’Institut français du Proche-Orient.

L’Irak aura cent ans en 2021 et 70% de sa population a moins de 30 ans. La société irakienne bouge. De jeunes chiites (la moyenne d’âge des manifestants est de 15-25 ans) contestent le pouvoir chiite.
Le mouvement de contestation, surtout présent dans le centre et le sud du pays, dure depuis plusieurs mois et malgré une répression très sévère (650 morts, 30000 blessés, manifestants torturés), les manifestations continuent et, malgré la démission du gouvernement, le mouvement se radicalise.
Faute de nouveau gouvernement, les milices, qui sont devenues une partie officielle de l’État depuis l’invasion de Daech, gèrent la sécurité.

Certains pays ne reconnaissent pas le terme de « minorité » car il implique des droits politiques. Par ailleurs, cela induit la réduction du rapport à l’autre en termes de statistiques. Ce terme a été transposé dans la société irakienne mais sans héritage historique. Pendant la période de Saddam Hussein, l’Irak était un état laïc.

En Irak, la situation des minorités avant et après 2003 est paradoxale. L’Irak connait la démographie la plus galopante au monde, sa population augmente d’un million de personnes par an mais les minorités disparaissent et les communautés irakiennes s’appauvrissent.
Avant 2003, l’Irak comptait 1,5 million de chrétiens contre 250 à 300 000 actuellement. La constitution adoptée en 2005 reconnait l’islam comme religion principale et interdit toute loi contraire à cette dernière. La diversité est relayée au rang d’exception.

Le mouvement actuel porte des revendications qui dépassent l’identité chiite et demande une société plus inclusive et plus égalitaire. Le pays se trouve à la croisée des chemins : soit il fait un pas en avant soit c’est la catastrophe pour toute la région.

Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient, a conclu la rencontre en disant que les cultures orientales sont des cultures où la relation à l’autre prime et où les forces en présence sont souvent des forces avec une base religieuse.

Maria Mesquita Castro
SNMUE

Écouter des extraits des interventions

(1) Paru en octobre 2019 aux éditions du Rocher
(2) Institut fondée en 2006. « Adyan » signifie religion.
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