Charles de Foucauld, « frère universel »
Le 27 mai 2020, La Congrégation des causes des saints a annoncé la reconnaissance d’un nouveau miracle attribué à Charles de Foucauld, ce qui ouvre la voie à sa canonisation. Mais qui est cet homme, souvent appelé le « frère universel » ?
Charles de Foucauld est né en 1858, en Alsace, dans une famille chrétienne. Orphelin à l’âge de 6 ans, il est élevé avec sa sœur Marie, par son grand-père et sa grand-mère. Pendant son adolescence, il s’éloigne peu à peu de la foi. Il entre à l’école militaire et devient officier. Ayant reçu un bel héritage, il cherche son plaisir dans les fêtes et n’hésite pas à prêter une partie de sa fortune.
Après sa démission de l’armée et une longue préparation, il part au Maroc pendant 11 mois, pour étudier ce pays fermé aux occidentaux et presque inconnu. Sa « Reconnaissance » lui apporte les honneurs de la société de géographie. Mais ce périple le marque bien au-delà des connaissances scientifiques qu’il a pu acquérir. Déguisé en juif, il reçoit souvent des injures et éprouve dans sa chair le rejet et la haine. Mais il expérimente aussi l’aide des personnes rencontrées et l’hospitalité généreuse des Marocains (juifs ou musulmans).
Au Maroc, il a été frappé par ces personnes qui vivent sans cesse en présence de Dieu. De retour en France, une étrange prière l’habite : « Mon Dieu, si vous existez, faites que je vous connaisse »[1]. La rencontre avec l’Abbé Huvelin, en octobre 1886, sera un tournant dans sa vie. Charles de Foucauld était venu pour prendre des leçons de religion, mais l’Abbé Huvelin lui dit de se confesser et de communier. Il trouve enfin la lumière – non pas dans la science et les connaissances, mais dans la rencontre avec ce prêtre qui est devenu le chemin pour rencontrer Dieu.
« Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour lui »[2]. En 1890, il quitte sa famille et ses amis et entre à la Trappe : d’abord à Notre Dame des Neiges en France, puis à Notre Dame du Sacré Cœur en Syrie. Mais Charles de Foucauld constate la différence entre la pauvreté des moines et la misère des paysans des alentours ou encore des chrétiens rescapés des massacres arméniens. Expériences douloureuses qui le révoltent. Quelles différences entre les humains, quel traitement différent !
La recherche d’une imitation de la vie de Jésus ne le quitte pas : devenir pauvre comme Jésus ! En 1897, il quitte la Trappe et s’installe à Nazareth, en Palestine, dans une vie retirée comme domestique des Clarisses. Il passe de longues heures en prière, devant le Saint Sacrement et la méditation de la Parole de Dieu. Il avait écrit, en entrant à la Trappe : « L’amour de Dieu, l’amour des hommes, c’est toute ma vie, ce sera toute ma vie je l’espère. »[3] Et il continue à se demander : quelle expression donner à cet amour ?
En 1901, il rentre en France et il est ordonné prêtre dans le diocèse de Viviers. Puis il part au Sahara, à la frontière du Maroc, pour aller vers les « plus perdus, les plus délaissés ».[4] Il veut leur apporter Jésus « en criant l’évangile par toute sa vie ». Une phrase de l’évangile l’a profondément marqué et le guide : « Tout ce que vous faites à l’un de ces petits, c’est à moi que vous le faites. »[5] Il s’installe à Beni-Abbès, dans le Sahara algérien. « Je veux habituer tous les habitants à me regarder comme leur frère, le frère universel… »[6]. Il passe des heures en prière, mais à chaque instant on vient frapper à sa porte. « Quand un pauvre, un malade frappe à la porte, c’est à Jésus que je cours ouvrir… je suis sans cesse en Sa présence. »[7] Vouloir être « frère de tous » se concrétise à travers ces frères et ces sœurs qui se trouvent proches de lui.
En 1904, il part plus loin dans le sud du Sahara, et il est accueilli à Tamanrasset par des Touaregs musulmans. Il étudie leur langue, leurs poésies, leurs coutumes, souhaitant ouvrir la voie à d’autres pour entrer en « contact intime » [8] avec ce peuple (son dictionnaire en 4 volumes reste une référence jusqu’à nos jours). Des relations se tissent et deviennent plus étroites. Début 1908, lors d’une grave maladie, ce sont les Touaregs qui lui sauvent la vie. Une nouvelle étape dans sa vie de « frère » : ce n’est plus lui qui se montre frère, ce sont des Touaregs qui l’accueillent et le sauvent comme leur frère. Quelques années plus tard il écrira : « J’ai ici au moins 4 « amis », sur qui je puis compter entièrement.»[9]
Son installation dans cette partie du Sahara n’aurait pas été possible sans des liens étroits avec les militaires français, suscitant aujourd’hui la méfiance, le considérant comme collaborateur de l’armée et instrument des colonisateurs. Charles de Foucauld était certes imprégné de l’ambiance de son temps ; il soutenait la politique coloniale de la France, mais dans une certaine perspective : la France doit se conduire « en mère et non en exploiteuse », en « appliquant le principe « Aime ton prochain comme toi-même » » [10]. Charles de Foucauld voulait qu’on fasse « l’éducation de ces peuples, tâchant de les rendre matériellement, intellectuellement, moralement nos égaux »[11].
En 1914, les nouvelles de la guerre parviennent au Sahara et les combats avec les Allemands réveillent les expériences traumatisantes de son enfance (il a dû quitter l’Alsace en 1871, à cause de la guerre et de la défaite). Les paroles de Charles de Foucauld contre les Allemands sont dures. Elles peuvent surprendre aujourd’hui sous la plume de celui qu’on voudrait appeler le « frère universel » (comme d’autres phrases par ailleurs, à d’autres étapes de sa vie, sur certaines personnes ou populations). Lui aussi avait ses imperfections, mais cela ne l’a pas empêché de poursuivre le chemin vers la Fraternité, dans l’imitation de Jésus qu’il appelle le « frère aîné universel » et qui « ne [lui] parle que d’amour fraternel. »[12]
Le 1er décembre 1916, Charles de Foucauld est tué par des Touaregs insurgés. Sa vie inspire une multitude de personnes qui, avec son aide, se tournent vers Dieu et vers les hommes. Des chrétiens laïcs, prêtres, religieux et religieuses le prennent comme guide pour suivre Jésus et vivre l’Évangile.
Petite sœur Christine Kohler pse
Octobre 2020
[1] Lettre à Henry de Castries, 14 août 1901. [2] Lettre à Henry de Castries, 14 août 1901. [3] Lettre à Henri Duveyrier, 24 avril 1890. [4] Cf. lettre à Maxime Caron, 8 avril 1905. [5] Cf. réflexions dans sa lettre à Louis Massignon, 1er août 1916. [6] Lettre à Marie de Bondy, 7 janvier 1902. [7] Lettre à Charles de Blic, 16 juin 1904. [8] Cf. lettre à Abbé Huvelin, 22 Novembre 1907. [9] Lettre à Garnier, 23 février 1913. [10] Lettre à Henri Laperrine, 13 janvier 1912. [11] Lettre à Henri Laperrine, 13 janvier 1912. [12] Lettre à Félix Dubois, 2 septembre 1907.