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P. Nourissat : « Au Maroc, nous sommes un peu plus catholiques qu’ailleurs ! »

Père Daniel Nourrissat, en turban rouge devant la crèche, une tente berbère, dans la cathédrale de Rabat (Maroc) dont il est curé.

Au Maroc, au cœur de la ville de Rabat, la cathédrale Saint-Pierre a lancé les festivités de son centenaire (20 novembre 2021 – 29 juin 2022), en y associant tout particulièrement les personnes migrantes. Prêtre du diocèse de Dijon et curé de la cathédrale, Daniel Nourissat raconte.

Comment l’ouverture du Centenaire s’est-elle passée ?

Nous l’avions fait coïncider avec la rencontre annuelle des prêtres, qui se retrouvent, pendant trois jours, pour un temps d’échanges et de formation. Près d’une trentaine des prêtres étaient présents soit une large majorité d’entre eux. C’est leur cathédrale ! Mgr Cristóbal López Romero, SDB, notre actuel archevêque, est le seul évêque à y avoir été ordonné.

Les communautés religieuses s’étaient bien mobilisées : elles avaient préparé les intentions de prière, pour les différents moments de la célébration. C’était précieux. Ces religieux et religieuses stimulent notre prière, dans un pays de priants musulmans. Les cinq chorales paroissiales de Rabat se sont unies pour nous aider à vivre une célébration très chaleureuse. A cette occasion, l’orgue s’est réveillé ! Il était en panne depuis vingt ans… L’organiste, un franco-marocain musulman, m’a dit avoir été très ému. Il a senti, depuis la tribune, beaucoup d’amour jaillir de l’église.

Nous avions demandé à des personnes migrantes, qui ont fait une formation de pâtisserie (grâce à Caritas et une association qui donne des cours à Salé, ville jumelle de Rabat), de nous préparer un bon gâteau d’anniversaire. Ce fut un bon moment. Cent personnes de l’assemblée, à qui on avait donné une bougie, sont venues l’entourer. Nous l’avons sorti sur la place pour le partager avec tous, y compris des Marocains qui passaient par là, surpris mais contents de goûter un bon gâteau !

Pendant le confinement de 2020, alors que toutes les institutions étaient fermées, la cathédrale était devenue un haut-lieu de distribution de nourriture, comme une Eglise de la multiplication des pains. Là ce sont les personnes migrantes qui nous ont nourris. Elles sont actrices de nos vies, pas simplement des personnes qu’on aide.

Le soir, un magnifique concert a été donné par le Chœur de chambre du Maroc, son premier. Cet ensemble, surtout composé de choristes marocains donc musulmans, a chanté des motets chrétiens, en jouant avec l’écho entre la tribune de l’orgue et le chœur. C’était très beau de voir des Marocains associés à la joie du centenaire de cette cathédrale. Elle n’aurait d’ailleurs pas pu être construite si deux familles marocaines musulmanes n’avaient donné le terrain, il y a cent ans, pour que les communautés chrétiennes puissent se ressourcer et servir Jésus, auprès des personnes qui vivent dans ce pays.

Que représente la cathédrale dans la ville ?

Construite pendant le Protectorat français, elle est aujourd’hui située au croisement des deux lignes de tramway : c’est un lieu de convergence. A l’occasion de sa venue au Maroc, en mars 2019, le pape François y a rencontré les religieux et religieuses, ainsi que les personnes des autres confessions chrétiennes. Or la visite a été retransmise à la télévision. Cela a permis aux Marocains d’entrer dans l’église, d’une certaine façon. Depuis, nous avons décidé de l’ouvrir largement. Un lieu d’accueil a été mis en place pour offrir une présence chrétienne. Beaucoup de monde vient, notamment les élèves du collège et du lycée non loin. Lorsque nous avons installé la crèche, tout le monde est venu voir. Elle est sous une tente berbère qui parle au cœur des personnes.

Comment la visite du pape François au Maroc sera-t-elle commémorée ?

Nous voudrions la commémorer fin mars, peut-être par une plaque sur la statue de Saint Pierre. Mais surtout nous organisons un temps pour relire les importants discours échangés par le Commandeur des croyants et Sa Sainteté durant cette visite, dans le haut lieu national au Maroc qu’est la Tour Hassan. Nous souhaiterions faire une relecture croisée avec un représentant du Ministère des affaires religieuses pour relire le discours du Pape et le cardinal, pour celui du roi Mohammed VI. Ça a été un moment important. En particulier, Sa Majesté a dit que le temps de la tolérance était dépassé et que nous devions entrer dans le temps de la co-connaissance mutuelle. « Nous ne sommes pas une terre d’islam car il y a aussi chez nous des Juifs et des Chrétiens qui doivent avoir leur place » a-t-il souligné. Le Pape et le roi ont insisté sur la collaboration entre croyants au service de l’éducation, pour éradiquer le terrorisme et l’intolérance religieuse.

Comment les migrants seront-ils associés à ce centenaire ?

Ils ont été associé dès l’ouverture du centenaire avec le gâteau partagé. Le 19 décembre, a eu lieu un temps devant la crèche, avec des cadeaux pour les enfants des familles migrantes. Nous avions sollicité la générosité des uns et des autres pour cela. Ce sont les louveteaux de la paroisse qui ont préparé ce temps et distribué les cadeaux aux enfants : certains, émerveillés, recevaient un cadeau pour la première fois de leur vie.

Deux fois par semaine, avec le service d’accueil de la cathédrale, nous tâchons de prendre du temps pour parler avec les migrants, les renseigner sur leurs droits au Maroc, les aider à concevoir un projet, leur donner une petite aide alimentaire. Nous fournissons aussi des couvertures car aucun migrant n’imagine qu’il peut faire froid ici. Nous les orientons vers le service d’aide psychologique mais aussi vers l’OIM qui peut les rapatrier chez eux.

Nous recevons jusqu’à 70 personnes par semaine… sur les 150 qui font la queue. Nous avons accueilli récemment deux enfants guinéens de 10 ans, qui disent qu’un « grand frère » est avec eux, ce qui est assez ambigu. Le risque de traite humaine existe. Nous avons baptisé ce service « La cigogne de la cathédrale » car cet oiseau est très présent au Maroc. La cigogne est migrante !

Comme le Pape l’a dit en Grèce, la Mare Nostrum devient une « Mare Mortuum ». Combien de fois ai-je entendu parler de noyades ? C’est terrifiant. Les crédits accordés aux institutions diminuent. Caritas restreint beaucoup ses programmes, faute d’argent. Or il est compliqué de trouver du travail au Maroc. Beaucoup de Marocains en cherchent aussi et certains rêvent de venir en France !

Le diocèse de Rabat est en Synode. Qu’attendez-vous de cette démarche ?

Notre archevêque, Mgr Cristóbal, avait décidé d’un synode à la Pentecôte, bien avant que le pape François en parle pour toute l’Eglise. Le précédent synode remonte à vingt-cinq ans. Des étudiants étrangers commençaient à arriver au Maroc. Nous avons donc monté l’Aumônerie des Etudiants Catholiques au Maroc (AECAM) dont je suis l’aumônier national et inter-diocésain car elle est commune aux diocèses de Rabat et de Tanger. Ils sont nombreux au Maroc, à tel point que certaines paroisses sont constituées uniquement d’étudiants. Dans la petite ville de Settat, plus de soixante étudiants participent à la messe tous les dimanches. Comme il n’y a pas d’église, nous avons a acheté une maison pour qu’ils se rassemblent. Comme à l’époque de Saint Paul ! Nous formons aussi des animateurs pastoraux pour les accompagner car nous avons un peu de mal à faire venir des prêtres.

Lors du premier synode, il n’y avait pas de personnes migrantes. Ce Synode aura entre autres pour tâche de dire ce qu’il convient de vivre avec elles et de construire des orientations communes par rapport à elles. Dans la paroisse de Rabat, le 28 septembre, pour lancer le synode, nous avons formé des petits groupes de cinq à six personnes – dont des migrants – pour échanger et apprendre à nous connaître. Nous avons mélangé au maximum les communautés. Les gens ont partagé leur pique-nique ensemble. Tous ceux qui ont participé à cette journée sont partis en disant que c’était intéressant et formidable d’avoir découvert les autres, en dépassant les préjugés.

La société marocaine s’ouvre. La Constitution de 2011 fait plus attention aux droits humains. Son préambule stipule que les lois marocaines sont soumises aux pactes internationaux signés par le Maroc, dont la Déclaration universelle des droits de l’homme qui parle de la liberté religieuse. C’est plus « en creux », qu’en plein. Pour une personne marocaine qui devient chrétienne, cela devient très compliqué.

Il existe des couples mixtes : surtout des femmes chrétiennes avec des maris musulmans. Elle peut rester chrétienne, même si c’est encore compliqué en terme de statut juridique, lors d’une succession, pour la garde des enfants en cas de divorce…  Nous avons prévu un événement pour eux, à la fin du Ramadan, lors de la rupture du jeûne.

Vous avez participé à la fondation de l’Institut Al Mowafaqa qui fête ses 10 ans !

Il est toujours unique au monde ! Catholiques et protestants y enseignent ensemble la théologie chrétienne, dans le contexte du dialogue avec l’islam, dans le respect des différences, avec le meilleur de l’œcuménisme, en s’écoutant les uns les autres et en découvrant tout ce qui les unit déjà. Les professeurs accourent de partout. Suivre un cours de liturgie sacramentelle en présence d’un protestant peut être assez inattendu. L’idée est de témoigner de l’originalité de chaque confession.

A l’origine, il a été fondé pour former des animateurs en pastorale, en proposant à des jeunes de donner quatre ans de service à l’Eglise, tout en suivant une formation théologique de très bon niveau. Les Protestants y ont formé sept ou huit pasteurs.

Nous formons aussi les acteurs du dialogue interreligieux, à travers un certificat qu’on obtient après cinq mois en immersion au Maroc. On peut y préparer un diplôme « Dialogue des cultures et des religions » de la Catho de Paris. L’archevêque demande à tous les prêtres qui viennent servir au Maroc de suivre cette formation.

En particulier chez les personnes migrantes, il existe des « Eglises de maison ». On nous a demandé un peu de formation. Nous rendons ce service en animant une rencontre par mois, tout au long de l’année.

Jusqu’à présent nos formations sont en lien avec la Catho de Paris et la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. En février 2022, si les frontières ouvrent à nouveau, nous lancerons un Master sur deux ans, avec l’Université catholique de Yaoundé, en collaboration avec l’Université Internationale de Rabat et celle d’Oujda, autour des questions religions et politiques, dans le contexte de la mobilité actuelle.

Nous sommes en train de réfléchir à comment fêter les 10 ans d’Al Mowafaqa, sans doute par une journée d’étude, avec des intervenants de stature internationale.

Au Maroc, nous sommes un peu plus catholiques qu’ailleurs !  Chaque dimanche se rassemblent à l’église une cinquantaine de nationalités.

Où puisez-vous l’espérance pour poursuivre votre mission ?

En fidélité à notre présence au Maroc depuis 800 ans, je suis aumônier de prison. Vous savez peut-être que les Franciscains sont venus au Maroc à la demande du Sultan pour s’occuper en particulier des détenus chrétiens. Dans une prison de Rabat, quatre détenus ont demandé le baptême, et un détenu Français m’a dit : « Il a fallu que je sois en prison pour lire la Bible. Eh bien, c’est vraiment intéressant ». On a du temps quand on est en prison…

Pendant le confinement, 200 personnes migrantes, accrochées aux grilles de la cathédrale, nous ont réclamé de l’aide : « On n’a rien à manger ». C’est arrivé pendant le Ramadan. J’ai été étonné du nombre de Marocains qui nous ont envoyé leur « zakât » (aumône). Fratelli Tutti, c’est concret. C’est une réalité !

Dans le cadre du Centenaire, j’ai donné une conférence sur l’Eglise au Maroc. Je l’ai faite avec Driss Khrouz, un ami marocain, éminent professeur d’économie, qui a voulu témoigner de tout ce qu’il devait à l’Eglise, aux hommes et femmes d’Eglise, pour ce qu’il est aujourd’hui. Il dit toujours : « Vous êtes l’Eglise du Maroc. Même s’il y a très peu de Marocains dans cette Eglise, vous contribuez à ce qu’elle le soit ».

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

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