« Charles de Foucauld et Tamanrasset » par Mgr Claude Rault

L’Assekrem est un haut plateau situé dans les montagnes du Hoggar, dans le sud de l’Algérie.

A l’occasion de la canonisation de Charles de Foucauld, retour à Tamanrasset (Algérie) avec Mgr Claude Rault, évêque émérite de Laghouat-Ghardaia. De nos jours, des migrants originaires d’Afrique subsaharienne y font étape sur leur parcours de migration.

La question peut être posée, et elle l’est souvent : que reste-t-il des traces de Charles de Foucauld, à Tamanrasset ? C’est dans cette localité du grand sud algérien qu’il a donné sa vie le soir du 1er décembre 1916, après y avoir  vécu une dizaine d’années au milieu des Touaregs. De son vivant, il n’a pas pu laisser de postérité spirituelle, et il a fallu attendre la fin des années 1930 pour voir apparaître les premières fondations se recommandant de lui. Deux d’entre elles continuent à poser leur marque  discrète dans ce lieu qui de son temps ne regroupait pas plus qu’une bonne vingtaine de familles ; et maintenant la population peut être estimée à 150.000 habitants !

A Tamanrasset, il a laissé derrière lui deux ouvrages marquants, comme signe de son attachement à cette localité du Hoggar: son dictionnaire de Touareg en quatre volumes et un borj monumental encore visible aux yeux des passants. Mais l’empreinte la plus vivante  ce sont les membres de deux branches de la grande famille spirituelle qu’il a suscitée : la Fraternité des Petits Frères de Jésus et celle des Petites Sœurs du Sacré-Coeur. Les Petits Frères assurent aussi une présence permanente à l’Ermitage de l’Assekrem, à environ 70 km de là, dans la montagne. Sur un vaste plateau désertique leur vie se déroule sous le signe de la prière, de la présence et de l’accueil   pour les touristes, les pèlerins et les gens du pays. Dans un quartier de  la ville, les Frères vivent à la façon du « Frère Charles » : une existence « sur les pas de Jésus à Nazareth », une vie de proximité avec la population et de partage de l’humble quotidien. La Fraternité des Petites Sœurs, assez réduite, s’active entre l’accueil de personnes migrantes, le service et l’accueil des femmes du voisinage. Après plusieurs mois d’attente, un prêtre lié à la Fraternité Sacerdotale « Jesus Caritas », est enfin arrivé. Chargé de la petite paroisse, il assure l’Eucharistie et l’accueil. Ce sont deux grands axes qui animaient le quotidien du Frère Charles.

La petite communauté chrétienne est bien modeste, mais vivante, composée des deux Fraternités et de quelques personnes en migration venant de l’Afrique subsaharienne. Elles ont rejoint ce lieu après une traversée du désert éprouvante, parfois très dangereuse et elles en portent les marques. Leur rêve est de continuer cette traversée jusqu’en Europe, sans redouter pour autant les périls de la mer où tant des leurs ont laissé leur vie. J’ai toujours été impressionné par la foi étonnante de ces personnes qui souvent ont revivifié la mienne. Leurs chants me rappelaient ceux de leurs ancêtres soumis à l’ esclavage sur les terres d’Amérique : psaumes de supplication, de louange et d’espérance. Leur retour en arrière est impossible : ils se sont endettés pour la traversée, et les leurs attendent en retour un soutien nécessaire à leur quotidien dans des pays marqués par la précarité climatique, l’économie incertaine, voire même l’insécurité due à la guerre.  Leur but est bien d’aller jusqu’au bout quoi qu’il en coûte. Souvent soumis à des passeurs sans scrupule, ils vont donc reprendre la route malgré les nouveaux dangers qui les attendent. Leur étape à Tamanrasset est souvent pour ces chrétiens en chemin une halte bienfaisante pour refaire leurs forces et leur foi, du moins pour ceux et celles qui connaissent ce lieu de réconfort et de fraternelle amitié.

Bien sûr, la figure et la vie de Charles de Foucauld leur sont inconnues. Ils les découvrent à travers cette fragile communauté marquée par l’esprit de cet homme de Dieu venu partager la vie d’une population musulmane dont il a voulu se faire le « Frère Universel ». A sa plus grande surprise, il va être canonisé le 15 mai à Rome, et j’imagine sa protestation. Mais il l’a bien cherché : pourquoi donc a-t-il tenu à mener une existence au risque de l’Evangile ?

Mgr Claude Rault, évêque émérite de Laghouat-Ghardaia (Sahara algérien)

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