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« Et maintenant, va ! » L’Écriture, source de la Mission

« J’ai vu… Et maintenant, va, je t’envoie ! » (Ex 3, 7…10)

Olivier BourionDans la Bible, Dieu fait tout pour son peuple, mais il ne fait jamais rien sans lui. C’est pourquoi, quand il intervient en sa faveur, il choisit toujours quelqu’un comme interlocuteur et collaborateur. L’exemple-type de cette action commune se trouve déjà dans le chapitre 3 de l’Exode, lors de l’épisode du Buisson ardent, où Moïse, en même temps qu’il entend le Seigneur annoncer sa décision de libérer Israël, reçoit de lui la mission d’être le médiateur de cette libération : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple […] Maintenant donc, va ! Je t’envoie […] (Ex 3, 7.10) ». Moïse, comme tous ceux qui sont réellement appelés, ne comprend pas immédiatement pourquoi Dieu a besoin de lui. À cinq reprises, il formule une objection, comme s’il voulait tout faire pour éloigner de lui la responsabilité que Dieu lui donne. D’abord la question de la légitimité (« Qui suis-je ? » : Ex 3, 11), puis celle du contenu du message (« Quel est ton nom ? » : Ex 3, 13), la peur de l’échec (« Ils ne me croiront pas. » : Ex 4, 1), l’incompétence du missionnaire (« Je n’ai jamais été doué… » : Ex 4, 10), et enfin la tentation de se faire remplacer (« Je t’en prie […] envoie n’importe quel autre émissaire. » : Ex 4, 13). À chacune de ces objections Dieu donne la même réponse : « Je suis avec toi », ou tout simplement : « Je suis ». Il n’y a pas de plus grande force pour l’envoyé que la présence de Dieu au cœur de sa mission.

Le prophète : un envoyé trop mal ou trop bien reçu

Le cas de Moïse n’est pas le seul. D’un bout à l’autre des Écritures, Dieu agit et fait agir. Il intervient en choisissant des hommes et des femmes qu’il envoie en son nom. C’est en particulier le cas des prophètes, dont Moïse est en quelque sorte le « saint patron ». Or, à quoi servent les prophètes, sinon à porter la Parole là où elle n’est pas attendue ? C’est le cas de Jérémie envoyé vers les nations païennes (Jr 24, 15), d’Ezéchiel envoyé vers les fils d’Israël révoltés et endurcis (Ez 2, 3-4), ou encore de Jonas, envoyé vers les habitants de Ninive, réputés irrécupérables, pour une mission impossible d’appel à la conversion.  Le cas de Jonas est très intéressant, car il nous dit les deux grandes tentations du missionnaire : d’abord la peur de l’échec qui conduit Jonas à s’enfuir vers l’ouest quand Dieu lui demande de partir à l’est ; puis la révolte, non moins grande, devant un succès pour lequel le missionnaire semble avoir peu de mérite : Jonas n’a pas fini de traverser la ville que tout le monde s’est déjà converti ! Le prophète-missionnaire s’est laissé déborder, il n’est plus maître des fruits de son travail. Rien n’aurait eu lieu sans lui, mais désormais on n’a plus besoin de lui. Plus tard, la Samaritaine entendra elle aussi cette parole à la fois frustrante et magnifique : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. » (Jn 4, 42). Tout missionnaire, évangélisateur, catéchiste, pasteur ou évêque devrait rêver de devenir un serviteur de plus en plus inutile…

« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »

Car le vrai missionnaire, c’est le Christ. C’est bien lui que le Père envoie dans le monde pour accomplir son œuvre. Là où Moïse transmettait les paroles de Dieu, Jésus manifeste dans sa propre personne la présence vivante de la Parole faite chair. Dès le début de son ministère public, il ne cesse de « sortir » pour aller annoncer, par les mots et par les actes, la Bonne Nouvelle du Royaume. Mais il n’agit pas seul. Le Père qui l’envoie lui donne d’envoyer à son tour, avec la force de l’Esprit, ceux qu’il choisit comme les témoins de sa résurrection. C’est le soir du premier jour. Il est déjà tard et pourtant tout reste à venir. Jésus vient alors que les disciples s’étaient soigneusement verrouillés dans un réflexe d’anti-mission. Il leur donne la paix et leur montre son corps blessé et vivant. Tout est dit du paradoxe chrétien où la vie surgit toujours du lieu le plus vulnérable et le plus pauvre. Puis il leur dit ces paroles qui résument à elles seules toute la mission chrétienne : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. (Jn 20, 21) » Or, il ne s’agit pas du même verbe « envoyer ». Dans le premier cas (l’envoi divin du Fils par le Père), Jean utilise le verbe grec apostellô, réservé d’habitude à l’envoi des apôtres. Dans le deuxième cas (l’envoi humain des apôtres par Jésus), nous avons le verbe pempô, réservé d’habitude à l’envoi du Fils par le Père ! Ce renversement des termes suggère qu’il n’y a qu’un seul envoi : Jésus, apôtre du Père, fait de ses apôtre ses envoyés divins !

À la suite de ses paroles, Jésus souffle sur ses apôtres, ou plus exactement en eux. Ce verbe « insuffler » n’apparait qu’une seule autre fois dans la Bible, lorsque Dieu souffle dans les narines d’Adam pour en faire un être vivant (Gn 2, 7). En recevant en eux l’Esprit du Ressuscité, les apôtres-missionnaires sont donc recréés comme de nouveaux vivants, capables de transmettre à leur tour cette vie nouvelle en déliant leurs frères, au nom du Christ, des liens du péché. La respiration missionnaire a commencé.

                                                                                               Olivier Bourion

Le Père Olivier Bourion, bibliste, est prêtre du diocèse de Saint-Dié et curé de deux paroisses rurales (69 communes). Sa mission l’a conduit pendant 18 ans au service de la formation des prêtres, notamment comme supérieur du Séminaire de l’Institut Catholique de Paris.

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