Au Maroc, une Eglise en mouvement

Directeur de l’Institut Œcuménique Al Mowafaqa à Rabat depuis quatre ans, le pasteur luthérien camerounais Jean Koulagna participera à une Journée d’étude le 25 novembre 2022 à l’Institut catholique de Paris. Etat des lieux de la vie des Chrétiens au Maroc.

Qu’est-ce qui vous a conduit du Cameroun au Maroc ?

Je fais partie de l’Eglise évangélique luthérienne du Cameroun. Enseignant en théologie, j’ai soutenu ma thèse sur l’Ancien Testament à Strasbourg, en 2007. J’ai ensuite enseigné à l’Institut luthérien de théologie de Meiganga (ILTM) qui appartient à l’Eglise évangélique luthérienne du Cameroun, dont j’ai été le Doyen, de 2009 à 2018.

Mon arrivée au Maroc relève un peu pour moi du hasard, même si cela ne l’a pas été tout à fait… En octobre 2017, j’ai été invité par mon prédécesseur, le pasteur Bernard Coyault, à donner un cours d’introduction à l’exégèse de la Bible. Il se trouve qu’à ce moment-là, l’Institut recherchait son nouveau directeur. Quelques semaines après, il m’a appelé pour savoir si je serais intéressé de revenir à Al Mowafaqa pour le remplacer. J’ai d’abord dit « non » mais il a insisté et j’ai fini par céder ! J’ai terminé mon année au Cameroun et j’ai commencé ici en juillet 2018.

Comment se passent le dialogue œcuménique à Al Mowafaqa et le dialogue avec l’islam qui est la religion d’État au Maroc ?

Créé en 2012, l’Institut œcuménique est une initiative de l’Eglise protestante au Maroc, avec son président de l’époque, le pasteur Samuel Amedro, et de l’Eglise catholique, avec Mgr Vincent Landel, archevêque de Rabat. Depuis, nous proposons un programme commun pour la Licence, avec une double tutelle – la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg et le Theologicum de l’Institut catholique de Paris. Mêmes cours, mêmes professeurs et mêmes évaluations ! A la fin, les notes des Protestants vont à Strasbourg et celles des Catholiques, à Paris.

Il paraît qu’au début, faire des choses ensemble suscitait des tensions ! Petit à petit, les étudiants en ont pris l’habitude ; ils y ont pris goût. Quand je suis arrivé, cela fonctionnait déjà. Ce n’est bien sûr pas acquis : les promotions – autour de vingt étudiants en théologie par an – changent et ne se ressemblent pas toujours. Nous recrutons tous les deux ans. Cette année, nous comptons 22 étudiants : 13 en 2ème année et 9 en 4ème année.

A côté de la théologie, nous dispensons des formations qui vont dans le sens du dialogue interreligieux. Nous avons un programme d’un semestre, placé sous la tutelle de l’ICP et supervisé par l’ISTR (Institut de Science et de Théologie des Religions), qui s’appelle « Certificat Al Mowafaqa pour le dialogue des cultures et des religions ». Il aborde des questions de dialogue islamo-chrétien et interreligieux de façon générale.

Nous proposons également chaque année un séminaire d’islamologie de 10 jours, destiné aux personnes qui veulent connaître les bases de l’islam : Comment l’Islam est né, comment il a évolué, qui est le prophète Mahomet, quelles sont les questions et les grands débats qui traversent l’islam aujourd’hui, etc. Il est longtemps resté assez théorique. Aujourd’hui nous essayons de faire visiter aux étudiants ce qu’on appelle ici les « zaouïa », des sortes de « mosquées-écoles » des confréries. L’Islam marocain est très marqué par les confréries soufies. Le contact avec l’Islam officiel est beaucoup plus difficile mais les lignes bougent petit à petit. Au mois de septembre, nous avons signé une convention avec un institut de théologie musulmane, ici à Rabat. Nous nous sommes rendus visite mutuellement. Désormais, nous ferons un certain nombre d’activités ensemble.

Comment se vit le fait d’être chrétiens en terre d’Islam ?

Ça se passe plutôt bien tant qu’on est chrétien et étranger. C’est plus compliqué si on est Marocain. Cette question est sensible ! Les membres de nos Eglises sont majoritairement originaires d’Afrique sub-saharienne. Au départ, c’était des Eglises d’Européens, en raison de l’histoire coloniale. Ce basculement vers l’Afrique remonte aux trois dernières décennies, avec l’arrivée d’Africains pour leurs études et le début des grandes migrations internationales vers l’Europe, qui passent par le Maroc. Certains migrants n’ont pas continué. Ils se sont installés ici de façon durable et ont constitué l’Eglise au Maroc aujourd’hui. C’est une Eglise en mouvement.

Que dire des « églises de maison » au Maroc ?

Elles sont en général liées au phénomène migratoire. Des migrants, qui pour des raisons diverses ne trouvent pas leur place dans l’Eglise protestante officielle ni dans l’Eglise catholique, créent leur église dans les maisons où ils logent. Au départ, ce n’était pas lié au fait d’être mal à l’aise dans les Eglises officielles mais plutôt à la problématique d’être sans-papiers. Dans ce cas-là, il est toujours risqué de sortir pour aller à l’église. Donc c’était aussi pour des raisons de sécurité. La vie y est plus communautaire. Beaucoup d’entre elles sont congolaises, camerounaises, ivoiriennes… Même s’il ne faut pas absolutiser ce fonctionnement. J’en ai visité qui sont internationales. Je ne connais que celles qui viennent à Al Mowafaqa, soit une petite quinzaine. Nous leur offrons une formation, un samedi par mois. Mon prédécesseur, anthropologue, en avait fait son terrain d’étude. Déjà en 2012, il avait identifié plus d’une cinquantaine d’églises de maison, seulement à Rabat. Il y en aurait deux fois plus à Casablanca. Et plus de dix ans plus tard, il y en aurait partout !

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

L’évangile pour boussole
« Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi » (Jn 17, 21) Dans ma pratique œcuménique, je retiens le vœu du Christ qui prie pour que son Eglise soit une.
Sur le terrain de l’interreligieux, c’est plus difficile ! En resituant la Bible dans son contexte, il faut dire que la Bible n’est pas très interreligieuse ! Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans une nouvelle situation. Et en même temps, la Bible nous parle de l’amour qui n’est pas restreint. Jésus dit : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? » (Mt 5, 46) L'évangile m'invite plutôt à une posture.

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